16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

L’attaque de la flottille et les vues de la Turquie sur la Palestine

dimanche 6 juin 2010 - 18h:04

Murat Dagli - The Electronic Intifada

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


La question de la Palestine est une des rares, sinon l’unique question qui fasse consensus en Turquie, écrit Murat Dagli.

JPEG - 25.1 ko
Des manifestants à Beyrouth portent des drapeaux turcs et des photos du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, le lendemain des attaques d’Israël sur la Flottille de la Liberté - Photo : Matthew Cassel

La société turque a été profondément divisée sur de nombreuses questions, depuis celle des allégeances politiques jusqu’aux préférences culturelles. La sphère publique en Turquie est plus un domaine d’appropriation et d’exclusion que celle d’un accord mutuel et de construction d’un consensus. Cependant, quand il s’agit de la Palestine - comme le démontre l’actuelle colère après l’attaque israélienne contre la Flottille de la Liberté pour Gaza - il existe un surprenant consensus.

Le fait que la gestion des affaires par le parti de la Justice et du développement (AKP), du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, représente un changement radical dans la structure politique ne fait qu’ajouter plus d’intensité à des divisions sociales profondément ancrées ; principalement entre les partisans de la laïcité kémaliste - attachés à la philosophie fondatrice de la République turque - et les islamistes de l’AKP et de ses prédécesseurs. Les médias, comme dans beaucoup d’autres contextes, sont l’un des principaux champs de bataille de cette lutte permanente. Cette guerre des tranchée a été particulièrement intense dans les dernières années, après qu’un certain nombre de ceux communément perçus comme les chantres de la laïcité kémaliste, aient été arrêtés. En outre, le système judiciaire a fait l’objet de sévères critiques pour avoir voulu préparer le terrain pour un changement de régime. Se trouvent aussi à l’avant-scène politique les très attendus amendements constitutionnels, pour ne pas mentionner le persistant problème kurde.

Pourtant, les sondages, après montre qu’Israël est l’un des pays les moins appréciés de la population turque et qu’il y a un soutien massif à la cause palestinienne. Lorsque les commandos israéliens ont fait irruption sur le Mavi Marmara, le navire transportant plus de 600 militants dans les premières heures de la matinée du 31 mai, et assassiné, selon les dernières informations, au moins 9 militants et en a blessé environ 30, la dénonciation a été quasi unanime dans le presse turque. Tous les détails ne sont totalement connus du fait que les forces israéliennes aient coupé toutes les communications avec le Mavi Marmara et les autres navires de la Flottille de la Liberté transportant de l’aide humanitaire vers Gaza. Il est clair que cela représente la crise la plus grave entre la Turquie et Israël, peut-être le point culminant d’une série de tensions de ces deux dernières années.

La réponse du Premier ministre Erdoðan a été rapide. Dans sa première déclaration, il a qualifié le raid « un acte de terrorisme d’Etat », et le ministère turc des Affaires étrangères a dit dans sa déclaration que « cet incident déplorable, qui a eu lieu en haute mer et constitue une flagrante violation du droit international peut provoquer des conséquences irréparables dans nos relations bilatérales. » Le ministre des Affaires étrangères, Ahmed Davutoglu, a demandé que le Conseil de sécurité convoque une réunion d’urgence et a traité le raid israélien « d’acte de piraterie. » Les deux principaux partis d’opposition, le Parti républicain du peuple, et le Parti du mouvement nationaliste, ont également condamné Israël et déclaré qu’ils étaient en accord avec l’AKP de soumettre la question aux institutions internationales.

Les rues ont aussi été très actives. Bien que les manifestations semblent avoir été soutenues principalement par les islamistes, elles ont duré jusque tard dans la soirée avec de 5 à 10 000 personnes. En bref, depuis les médias jusqu’à la rue elle-même, il y a eu une mobilisation nationale contre le raid israélien depuis le moment où les informations sont arrivées en Turquie.

Cependant, derrière la façade consensuelle, de subtiles nuances et des réserves mineures révélent les lignes de démarcation dans la politique turque. Malgré le fait que la condamnation du raid israélien soit sans réserve dans les pages de garde, et qu’aucun des grands médias ne prenne au sérieux les allégations israéliennes de « légitime défense » ou une stratégie planifiée de « provocation », des nuances et leur signification sont exprimées par les chroniqueurs de journaux. Cette forme particulière turque de « journalisme » a toujours été un lieu privilégié pour faire des déclarations de rédaction, ou pour s’engager dans un débat public. Même si les éditorialistes et les chroniqueurs jouent un rôle important dans les médias et la vie publique dans d’autres pays, ils en sont arrivés à exercer une influence sans précédent dans la vie publique turque et, par conséquent, dans la vie politique turque.

Dans l’influent quotidien Hürriyet, le chroniqueur libéral Hadi Uluengin appelle au bon sens juif avec des citations et des commentaires de l’Ancien Testament. (« Israël et l’Exode, 1e Juin) Ertuðrul Özkök, un chroniqueur connu pour créer la controverse et ancien directeur général de Hürriyet, a écrit une lettre ouverte aux « amis israéliens » pour leur demander d’arrêter le cycle de la violence (« Je fais appel à vous mes amis israéliens, » - 1 Juin). Toutefois, dans le même journal, le chroniqueur Fatih Çekirge a mis l’accent sur les intérêts nationaux de la Turquie et mis en garde le gouvernement et le public, de ne pas tomber dans « le piège d’Israël » qui est de provoquer une violente « réponse islamique » afin de resserrer les liens de la Turquie avec l’Occident. (« C’est un piège israélien »).

D’autres soutiennent que dans cette veine, la Turquie est en quelque sorte forcée de prendre un rôle qui est disproportionnée par rapport à ses capacités ou ses intérêts nationaux. Ecrivant dans un autre grand quotidien, Sabah Mehmet Barlas a averti que le conflit israélo-palestinien ne devrait pas être considéré comme un combat personnel par Erdogan, (« Nous avons assisté à deux actes terroristes en un seul jour, » 1 Juin). S’exprimant dans « Vatan », le chroniqueur Göngör Mengi, a exprimé une opinion similaire mais avec un accent plus nationaliste. (« Israël est un problème pour le monde, pas pour nous, » 1 Juin).

Des voix encore plus critiques envers le gouvernement soulignent aussi la contradiction que, tandis que la place Taksim, le lieu le plus important pour y faire une déclaration publique, avait été fermée à de grandes manifestations, (les manifestations du 1er mai ont été une source majeure de discorde entre les syndicats et les gouvernements qui se sont succédés, et elles ont conduit à une violente répression policière, pour être finalement autorisées uniquement cette année, après presque trois décennies), la foule « islamiste » était presque la bienvenue sur la place (mine Kýrýkkanat, dans Vatan, « La maturité de l’Etat », 1 Juin).

Situé plus à droite du spectre politique turc, le chroniqueur Hasan Celal Güzel a fait valoir que le raid israélien a été un exemple des « excès sionistes ». Son analyse vantait l’héroïsme du nationalisme turc, avec une pointe de nostalgie de la tradition d’État impérial (Radikal, « Rage sioniste, » 1 Juin). Indépendamment de leurs affiliations politiques, la plupart des chroniqueurs ont convenu qu’Israël avait fait sa dernière grossière erreur et que ce dernier acte de brutalité serait un tournant non seulement dans les relations bilatérales entre la Turquie et Israël, mais aussi dans la façon dont Israël sera perçu par le monde .

Derrière la façade d’un consensus se voit également une autre faiblesse majeure des médias turcs : un véritable intérêt pour la région. Les pages de couverture des médias turcs peuvent être catégoriques aujourd’hui pour ce qui est de leur position politique et les chroniqueurs inébranlables dans leurs analyses, le fait demeure qu’il y a très peu de formes institutionnalisées d’information sur le Moyen-Orient en général et sur la Palestine en particulier. Il y a uniquement une poignée de journalistes des médias pour grand public qui peuvent prétendre à un véritable intérêt et une connaissance approfondie de la région, en laissant de côté la question des compétences linguistiques adéquates pour y faire des reportages.

Ainsi, même si les médias turcs semblent faire un seul et même front contre la brutalité israélienne, et démontrent un ferme support pour la cause palestinienne, il est important de distinguer entre un véritable engagement pour une position politique cohérente avec une pratique du journalisme reposant sur des principes solides, d’une ferveur nationaliste qui alimenterait une rhétorique vide qui sera ensuite facilement oubliée. Il convient de rappeler que la récente attaque contre une base navale par le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et qui a tué six soldats, a été effectuée le même jour que le raid israélien et a créé les conditions idéales pour propager une mentalité de siège qui ne fait qu’accentuer le discours nationaliste.

On ne sait pas quel sera l’impact sur l’opinion publique lorsque les militants de la Flottille de Liberté seront de retour chez eux (trois des membres de l’équipage du cargo, Gazze, qui suivait de près le Mavi Marmara, sont déjà rentrés et ont été interviewés par l’une des les grandes chaînes de télévision) et que plus de détails sur le raid auront été rendus public. Encore plus important sera la réaction du public aux funérailles des personnes assassinées par les forces israéliennes. La façon dont les médias et le gouvernement vont représenter et gérer cette réaction est également susceptible de déterminer la forme et le contenu de la politique de crise dans le court terme.

Le véritable espoir, cependant, réside dans l’apparition d’un discours et d’une pratique de la solidarité fondée sur une véritable tentative de comprendre les circonstances qui prévalent en Palestine, et qui soit en même temps un motif d’auto-réflexion. Que cela puisse ou non être attendu de la part des médias turcs grand public est difficile à prévoir.

* Murat Dagli est doctorant en Histoire du Moyen-Orient at l’Université de Berkeley en Californie

1e juin 2010 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electronicintifada.net/v2/ar...
Traduction : Claude Zurbach


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.