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L’école palestinienne de cirque

mardi 3 avril 2007 - 20h:50

Lorenza Sebastiani et Federica Battistelli

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L’objectif commun de l’Ecole du cirque est de donner aux élèves toutes leurs capacités, et, à travers eux, à la société palestinienne. Pour eux, cela signifie de faire tomber les murs dans la société palestinienne, au sein de leur famille et même de l’individu, dans un processus de véritable réhabilitation.

Spectacles de l’Ecole Palestinienne de Cirque à Fresnes les 8 et 9 avril 2007 : /spip.php?article1221

Al-Am’ari est un camp de réfugiés palestiniens, près de Ramallah, dans les Territoires occupés ; environ 9 000 Palestiniens y vivent depuis que l’Etat d’Israël s’est établi en 1948. Ils ont été forcés de venir ici et d’autres encore, plus nombreux, en 1967, quand le gouvernement israélien a occupé Jérusalem-Est et la Cisjordanie. Un nombre considérable de ceux qui vivent dans le camp sont des jeunes, entre 3 et 15 ans, à qui l’occupation militaire israélienne a volé tous les droits mais pas leur capacité à sourire et à découvrir la mesure du divertissement.

Une centaine de gosses d’Al-Am’ari se sont réjouis et ont profité d’un spectacle, le vendredi 13 janvier, grâce aux garçons et aux filles de la première Ecole de cirque palestinienne qui avaient apporté avec eux la magie des couleurs du cirque à l’école du camp de réfugiés de l’UNRWA.

Jonglages, ballons multicolores, acrobaties, et un clown pataud, sont les parties essentielles du projet artistique - avec une connotation politique - imaginé par Shadi Zmorrod, le directeur de la première Ecole de cirque palestinienne, en août 2006. Derrière ce projet, il y a l’idée de rendre aux jeunes palestiniens un espace où ils puissent s’exprimer librement, agir les uns avec les autres, et développer leur propres capacités et talents dans un cadre paisible de respect mutuel. Ceci afin de les laisser retrouver leur amour-propre, altéré quotidiennement par l’humiliation de l’occupation israélienne. Le but de l’Ecole de cirque est de prouver que le peuple palestinien est toujours capable de sourire et de se réjouir, malgré tout.

Ce n’est pas un défi si simple, surtout parce que le cirque (spécialement celui sans animaux) est vue comme une forme d’expression artistique très peu familière avec la culture palestinienne et du Moyen-Orient. En réalité, cette forme d’art est un phénomène tout à fait nouveau en Palestine ; c’est pourquoi l’école a beaucoup de difficultés à trouver des entraîneurs, du matériel de cirque et un espace disponible pour répéter. Mais il y a un dicton palestinien qui dit : « Ce que vous plantez dans la terre n’est jamais perdu, à la fin vous le récupérerez ». De fait, l’Ecole de cirque palestinienne commence actuellement à récupérer des fruits agréables de son dur travail. Elle va recevoir du nouveau matériel de cirque par d’autres écoles de cirques dans le monde, surtout d’Europe, et accueillir des entraîneurs qui pourront enseigner leurs techniques et leurs secrets de l’art du cirque.

L’intérêt du projet de Shadi Zmorrod s’est trouvé confirmé par la chaleur manifestée par l’assistance lors de la dernière représentation des 28 et 29 décembre à Ramallah, au théâtre Al-Kasaba, où de nombreuses familles sont venues voir Le Cirque derrière le Mur .

Le Mur est le thème principal de cette représentation. Illustrée par différentes chorégraphies et des tableaux faits de corps humains, elle montre principalement le Mur raciste israélien, physiquement, mais aussi comme des barrières, sociale, culturelle et mentale qui divisent le peuple. En se servant de tous les outils disponibles dans l’art du cirque, les artistes affrontent le Mur dans un acte de résistance créatif, montrant comment il est possible de briser le Mur qui s’interpose entre les peuples israélien et palestinien.

Par conséquent, un cirque avec l’objectif d’amuser les enfants et les jeunes, mais aussi un cirque qui sait s’adresser aux jeunes, raconter leur souffrance quotidienne, les aider à prendre leur place, à remplir leur vie quotidienne avec une force qui leur fera faire des miracle.

Comme c’est souvent le cas, quand les politiques et les médias n’arrivent pas analyser en profondeur ni à représenter les sociétés, à comprendre et communiquer leurs besoins, l’art vient à la rescousse. Dans un contexte tel que la réalité palestinienne, où tout est touché par la politique, l’art remplit un rôle qui en interpelle beaucoup : il présente une réalité sociopolitique et, avec une sensibilité étrangère à la politique, il évoque ses problèmes et ses complexités. En plus d’être une allégorie de la réalité et un canal alternatif de communication, l’art peut aller plus loin et devenir une expérience, une analyse, une planification et un laboratoire. C’est ce que transmet, comme beaucoup d’autres choses, l’Ecole du cirque palestinienne : le sentiment d’être au premier plan d’un processus de changement.

A propos de la place que tient la politique dans cette expérience artistique, le directeur, Shadi, dit : « En tant que Palestinien, je ne crois pas que les enfants palestiniens boivent du lait quand ils naissent. Si vous parlez à un enfant de 5 ans de Sharon, Olmert, Bush, etc., il vous dira qui ils sont. Il est au courant pour la caricature de Muhammad. Les bébés ne boivent pas le lait de leur mère, ils boivent la politique. Plus de 60% d’entre eux sont des proches de martyr : leur père, leur frère, leur cousin, leur voisin. La politique, elle fait partie de notre vie, elle en est une partie cruciale. ».
Etre heureux et s’amuser sont une partie essentielle de l’enfance. Le but principal de Shadi est de faire se dessiner un sourire sur le visage des enfants palestiniens. « Je ne voulais pas monter une représentation qui parle de la souffrance du peuple palestinien. Mon projet initial était L’Enfant rêveur mais les élèves m’ont amené à parler de la vie quotidienne. »

Dans l’expérience artistique palestinienne, il existe une tension entre devoir et liberté. Des intellectuels qui essaient d’être indépendants de la politique peuvent se trouver écartés de la réalité et sans contact avec l’expérience quotidienne du peuple ordinaire. De cette façon, un intellectuel peut non seulement se tromper lui-même mais encore tromper sa communauté. Un intellectuel en Palestine ne peut échapper à ce dilemme. La perception de l’obligation de défendre la cause nationale a plus d’une fois entraîné un intellectuel palestinien à cantonner son travail créatif et culturel à des sujets liés à la crise politique. L’artiste palestinien souffre sous l’occupation, il la combat et cherche la liberté et l’indépendance politiques afin de soulager sa souffrance.

Shadi n’aime pas les dessins sur le Mur. Particulièrement, il n’aime pas ceux qui représentent de beaux paysages. « Pourquoi les rendre beaux ? » demande-t-il ? L’Ecole du cirque palestinien n’a pas comme but seulement de donner du bien-être aux gens et de leur faire oublier un moment leur souffrance quotidienne. A travers l’art du cirque, dit-il, elle pourrait entraîner les gens à traverser le Mur mais l’objectif final de l’Ecole du cirque n’est pas de voir au-dessus du mur, mais de le faire tomber. De ce point de vue, l’expérience artistique n’est pas qu’une valeur esthétique, elle est une forme de résistance. L’objectif commun de l’Ecole du cirque est de donner aux élèves toutes leurs capacités, et, à travers eux, à la société palestinienne. Pour eux, cela signifie de faire tomber les murs dans la société palestinienne, au sein de leur famille et même de l’individu, dans un processus de véritable réhabilitation.

Bien que l’art du cirque soit étranger à la culture palestinienne, l’activité de l’Ecole du cirque est très bien accueillie par les gens. Les artistes mettent de vraies histoires en scène et les gens s’y reconnaissent. Alternant les scènes amusantes réalisées par des clowns et des jongleurs, avec des exercices acrobatiques stupéfiants symbolisant le Mur, les acteurs transmettent les problèmes rencontrés par les Palestiniens et éclairent les effets de l’occupation sur leurs vies quotidiennes.

En outre, l’Ecole du cirque prend grand compte des traditions palestiniennes et, dans le même temps, elle essaie d’initier une évolution dans les consciences. « Nous avons prouvé aux gens que nous ne sortions pas du cadre de nos traditions. Cela nous donne du crédit. Nous n’avons pas mis une fille en bikini au trapèze. Nous n’avons pas évoqué le sexe dans nos représentations... naturellement, nous essayons de faire évoluer. Nous avons des groupes d’élèves mixtes et ils font les exercices d’acrobatie ensemble. » En effet, dans le spectacle, le Mur est représenté par des hommes et les femmes parviennent à le traverser en s’insinuant physiquement dans les fissures. Cette image rappelle les grandes potentialités révolutionnaires des femmes dans la société palestinienne. Peut-être plus que quiconque, les femmes palestiniennes ont été affectées par l’occupation israélienne et sa politique de ségrégation. Avec leur participation à la marche d’une société civile active, leur soutien au combat politique et leur participation dans le processus de construction nationale, leur nombre a diminué dramatiquement avec le temps, spécialement depuis le début de la seconde Intifada.

La première Ecole de cirque palestinienne est aussi la première à avoir une approche pédagogique claire en tant que critère important pour l’enseignement. L’art du cirque exige une coordination et une coopération au sein des individus. Il aide à construire un équilibre physique et mental et apporte la conscience de son propre corps en se familiarisant avec l’espace et la gravité. Pour agir, vous avez besoin de confiance en vous et en votre partenaire. En fait, une des choses les plus intéressantes est que n’importe qui pourrait le faire et l’apprentissage donne confiance en soi et dans les personnes impliquées. Les élèves d’aujourd’hui seront les entraîneurs de demain, cela veut dire pour eux qu’ils seront responsables de quelqu’un d’autre.

A cet égard, l’art du cirque, du moins tel que le voit l’école du cirque palestinienne, est semblable au Théâtre de l’Opprimé. Les propres mots d’Augusto Boal : « Tout le monde peut faire du théâtre... les acteurs aussi... Il est possible de faire du théâtre partout... aussi dans un théâtre. ». L’emploi d’un langage de théâtre diffus, d’un espace esthétique et de ses accessoires, signifie un début d’une évolution collective des consciences qui envisage le changement social et personnel. Autrement dit, l’un des buts est de développer la théâtralité humaine, d’analyser et transformer les situations de maladie, de mal-vivre, de conflit et d’oppression.

Pour pouvoir combattre l’oppression et l’occupation, la société palestinienne a besoin d’être unie, d’objectifs et de stratégies communs dans un effort collectif de confiance. Il n’y a pas de confiance dans la société palestinienne aujourd’hui. Conflit et violence ont commencé dans les familles, dans les rues, et se reflètent au niveau national. Ces dernières années, l’occupation israélienne a fait s’empirer la situation et instillé la suspicion parmi les familles et les amis.
L’idée de l’Ecole de cirque palestinienne est de s’intégrer au processus de ressaisissement, qui redonnera confiance et assurance entre les gens. Le secret du succès de ce projet repose sur sa durabilité et l’effet multiplicateur qu’il initie.

Les mots de Shadi : « La promotion de la cause palestinienne exige une longue et lente évolution. Je commence avec les élèves, et les élèves avec leurs parents et leurs amis, cela s’étend, s’étend, doucement, doucement. »

15 février 2007, pour Alternative Information Center (AIC)
http://www.alternativenews.org/engl...
Traduction : JPP


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