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Comment les médias propagent une fausse représentation du monde

vendredi 7 mai 2010 - 07h:00

Ramzy Baroud

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On lit rarement des choses positives sur la Chine ou un autre pays "non occidental" à moins que cela ne soit nécessaire pour des raisons précises, écrit Ramzy Baroud.

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Août 2007 - Yang Liwei, premier astronaute chinois à bord du vaisseau Shenzhou V. Les médias occidentaux continueront de minimiser ce qui est non-occidental, car ils ont tout intérêt à le faire...

Je ne sais pas très bien faire voler un cerf-volant mais pendant une récente visite au Village Olympique de Beijing, je me suis senti obligé de le faire. En dépit du froid et de l’heure tardive, nous étions nombreux à faire voler des cerfs-volants. Un vendeur avait insisté pour que j’en essaie un avant d’en acheter et je l’ai fait. Après en avoir acheté dix petits, je prêtais celui avec lequel je m’étais entraîné à un adorable petit garçon. Il me remercia puis me demanda de ne pas jouer avec ses cheveux.
Plus tôt dans la journée, au Square de Tiananmen, j’avais regardé les foules de gens qui se promenaient avec insouciance en se photographiant sans arrêt devant les grilles de la Paix Céleste de la Cité Impériale et tous les monuments du square.

Une formation d’une dizaine de soldats se décomposa instantanément quand je leur demandais si je pouvais les photographier. Ils étaient plus enthousiastes que moi.
Rien de tout cela ne doit faire oublier la violente répression de la manifestation du Square de Tiananmen en 1989. Il faut s’en souvenir et en tirer les leçons. Mais pourquoi tout réduire ? Quand on pense à Tiananmen pourquoi ne voir qu’une horde de manifestants et des troupes de soldats ? On utilise encore et encore la sanglante altercation pour stigmatiser le caractère antidémocratique de la Chine en l’opposant complaisamment aux "valeurs démocratiques" occidentales.

On lit rarement des choses positives sur la Chine ou un autre pays "non occidental" à moins qu’il ne soit nécessaire, pour des raisons politiques, de promouvoir des réalisations positives spécifiques de ces pays, par exemple les soit disant élections démocratiques en Afghanistan réalisées grâce à la présence de l’armée américaine.

En Thaïlande, la semaine dernière, je n’ai vu aucune Chemise Rouge pas plus que de Chemise Jaune d’ailleurs. J’ai vu par contre quelques Thaïlandais sans chemise. Vu la chaleur et l’humidité ce n’était pas étonnant. En fait, à part une grève avec occupation dans un grand centre commercial de Bangkok, le reste de la capitale semblait fonctionner normalement. Un Thaïlandais a essayé de m’exposer ses opinions politiques en anglais. Je l’avais trouvé en train de regarder une vidéo sur un site Internet d’un réseau social. La vidéo représentait un chat et un chien : le chat représentait les Chemises Rouges, et le chien le gouvernement en place. Ils aboyaient, miaulaient et sifflaient mais ne se battaient pas vraiment. L’homme m’a dit en riant : "Voilà comment ça se passe en Thaïlande". Puis d’une voix plus grave : " Tout cela c’est pour le pouvoir et le contrôle ; tout le monde se fiche pas mal des Thaïlandais qui ne peuvent pas s’acheter une chemise, qu’elle soit rouge, jaune ou d’une autre couleur".

C’est vrai et qui plus est les médias occidentaux se fichent pas mal de ces pays sauf dans un contexte particulier. Ce qui se passe en Chine n’est digne d’intérêt que s’il est question de restrictions gouvernementales (par ex Google) ou économiques : par exemple, comment le développement économique de la Chine va affecter la reprise de l’économie occidentale. Et même si l’on parle d’art plutôt que de politique, on revient toujours au même thème central : par exemple, la censure d’artistes d’opposition.

Dès que les Chemises rouges et Jaunes auront résolu leurs problèmes, la Thaïlande sortira du champ de nos radars. Elle n’y reviendra que s’il survient une crise économique, des élections truquées ou un tsunami. En attendant le pays retrouvera le rôle commode qu’il joue pour les voyageurs occidentaux qui ont un peu d’argent : une destination touristique bon marché et un bon sujet de blogs (comment tirer le meilleur partie de son séjour ou comment échapper aux escrocs thaïlandais du marché de l’art).
La Chine et la Thaïlande sont la norme, pas l’exception. Je disais l’autre jour à un journaliste de l’agence Reuters que je déplorais que toutes les nouvelles de Malaisie aient quelque chose de négatif comme, par exemple : Musulmans et Chrétiens s’opposent sur l’emploi du mot "Allah" ; le procès d’Anwar Ibrahim ; le sale jeu politique. En écoutant les nouvelles on a l’impression que la société malaysienne est la plus inadaptée et la plus malheureuse du monde.

Or ce n’est pas du tout l’impression que j’ai eu pendant ma dernière visite en Malaisie. C’est à beaucoup d’égards une société florissante. Elle a ses enjeux internes, comme partout, mais les Musulmans et les Chrétiens semblent s’entendre fort bien depuis de nombreuses années.
Les médias télévisés - spécialement ceux qui diffusent les nouvelles dans les différentes capitales occidentales - ne se contentent pas de sélectionner les informations sensationnelles, ils dramatisent intentionnellement les nouvelles tout en les adaptant au contexte occidental. Ainsi "démocratie", "élections", "restrictions gouvernementales" et "terrorisme" sont les mots qui reviennent le plus.

C’est triste à dire, mais le Sud est tout autant stéréotypé par le Sud même. Les journaux des pays non occidentaux dépendent des agences occidentales d’information pour les informations internationales. Un ami indonésien me complimentait l’autre jour sur mon "courage" parce que j’allais en Afrique du Sud. Pour lui, l’Afrique du Sud c’est juste "l’Afrique" où des peuples "primitifs", des lions et autres animaux sauvages attaquent les innocents touristes blancs.

De la même manière, certaines personnes ne veulent pas croire que l’Iran est une des destinations touristiques les plus prisées au monde - peut-être pas des Américains et des Israéliens, mais de voyageurs du monde entier. Oui l’Iran a beaucoup à offrir en terme de culture, d’histoire, de paysage et de société. L’Iran est beaucoup plus que les heurts entre jeunes et soldats ou les déclarations incendiaires sur les armes atomiques, Israël et l’Holocauste.

Il y a quelques années à Stockholm, j’ai demandé à un groupe d’officiels quelles images leur venaient à l’esprit quand ils pensaient aux Palestiniens. Je leur ai demandé d’être honnêtes, leur jurant que rien de ce qu’ils pourraient dire ne n’offenserait. Mais quand ils me le dire, cela me blessa profondément. Leurs représentations étaient toutes sanglantes. Mêmes les représentations "positives" étaient troublantes et stéréotypées.

Les médias occidentaux continueront à présenter une image réductrice des pays non occidentaux parce que c’est leur intérêt et qu’ils en ont pris l’habitude. Pour empêcher cela, un premier pas serait de reprendre le contrôle de nos médias locaux et régionaux et de créer des liens entre eux. Nous ne réussirons à combattre les représentations exécrables que l’on fait de nous que si nous parvenons à diffuser notre vérité et notre expérience et à encourager les autres à faire de même.

Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est chroniqueur syndiqué international, et rédacteur en chef de PalestineChronicle.com. Son dernier livre est : Mon père était un combattant de la liberté : l’histoire indicible de Gaza (Pluto Press, Londres), actuellement disponible sur Amazon.com

Du même auteur :

- Tu écris avec quelle main ? - 28 avril 2010
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- Le lobby pro-israélien contre l’Amérique : à propos des mensonges de Netanyahu et de la lâcheté des politiciens - 5 avril 2010
- Afghanistan : et l’agonie continue - 1er avril 2010
- Une autre lecture de l’assassinat d’Al-Mabhouh - 14 mars 2010
- Défier l’Histoire : pourquoi les opprimés doivent construire leur propre récit - 5 avril 2010

29 avril 2010 - transmis par l’auteur
Traduction de l’anglais : Dominique M.


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