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Les dépossédés de Dahaniye

samedi 1er juillet 2006 - 14h:30

Aryeh Dayan

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Dans une des baraques en tôle sur le haut de la colline dénudée, Khaled Armilat cache ses trésors...

...Dans la baraque étouffante de chaleur qui est utilisée pour le stockage, entre les plis d’une vieille tente dans laquelle l’armée les a obligés de vivre et parmi les restes d’outils de ferme devenus inutiles dans cet endroit, Armilat se rend vers un grand coffre en plastique et en sort un lourd sac enveloppé dans du tissu et attaché avec une corde. Il dénoue la corde, plonge la main et en sort une poignée de terre meuble. « Regarde, regarde » dit-il excité, « regarde quelle bonne terre nous avions là-bas, pas comme la terre dure et dégoûtante d’ici ».

Il avait rempli le sac de terre de Dahaniye dans la Bande de Gaza, le village duquel lui, sa famille et ses voisins ont été déplacés avec le désengagement, le jour ou les forces de défense israéliennes lui ont demandé d’aller sur une colline près de Tel Arad dans le Néguev. « Ils nous ont sorti de nos belles maisons qui avaient tout le nécessaire » se lamente-t-il, « et ils nous ont jeté ici, sans rien, au milieu de nulle part. » On peut voir sur Tel Arad les restes rouillés de la vie confortable qui avait été la leur à Dahaniye. Ils sortent des amas d’ordures empilés près des baraques : une antenne de satellite cassée couchée à côté de climatiseurs en train de se désagréger.

A la fin du mois d’août dernier, quand ils ont été amenés ici par les camions de l’armée, on leur a dit que cet arrangement était temporaire jusqu’à ce que les autorités décident de leur statut en Israël et qu’ensuite ils pourraient aller dans une commune permanente. Le Ha’aretz avait publié un article à l’époque décrivant la réception glacée qu’ils avaient reçue de leurs nouveaux voisins, les habitants de villages bédouins non reconnus de la région. Ces derniers étaient en colère à cause de la réputation de collaborateurs des évacués de Dahaniye et aussi parce qu’une infrastructure avait été installée pour eux telle qu’une connection au réseau d’eau, chose que l’état a depuis des années refusé de faire pour les villages non reconnus.

Après que des coups de feu aient été tiré sur leurs tentes, les évacués ont fui et se sont réinstallé dans la région de Kerem Shalom. Ils sont restés là quelques semaines puis ils sont retournés à Tel Arad sous la pression des officiels du ministère de la défense. Depuis, tout a changé : leurs relations avec les voisins bédouins se sont stabilisées et leurs enfants vont même à l’école avec les enfants des voisins ; mais leur relation avec les autorités de l’Etat se détériorent régulièrement : 10 mois sont déjà passés mais leur statut en Israël n’est toujours pas défini.

Sans « dédommagement pour évacuation »

L’histoire des familles évacuées de Dahaniye et abandonnées sur Tel Arad renferme l’essence même des tragédies humaines qui existent dans les relations entre l’Etat d’Israël et les Arabes qui collaborent avec les services de sécurité. Dans ce cas précis, la collaboration s’est déroulée pendant près de 40 ans. Les 68 familles bédouines (environ 500 personnes) évacuées de Dahaniye, viennent de la tribu Armilat originaire des côtes nord de la péninsule du Sinaï.

Au début des années 70, Israël convoitait déjà les terres des Bédouins qui vivaient dans les environs de Rafah, y compris celles de la tribu Armilat, terres sur lesquelles elle voulait construire la ville de Yamit et les moshavim avoisinants. Le fait qu’ils soient des collaborateurs n’a pas empêché le vol de leurs terres mais a adouci quelque peu le coup : alors que toutes les autres tribus ont été expulsées de force de la région sans dédommagement, ils ont reçu en échange de leurs terres dans le Sinaï, une autre terre dans la Bande de Gaza. Près de cette terre, à plusieurs centaines de mètres à l’ouest de la Ligne verte dans la région de Kerem Shalom, a été construit pour eux le village de Dahaniye.

Certains d’entre eux travaillaient dans l’agriculture à Dahaniye ou dans des moshavim sur le côté est de la Ligne verte. D’autres travaillaient en Israël comme entrepreneurs dans le bâtiment ou dans d’autres entreprises. Même si un petit nombre d’entre eux continuaient à collaborer avec les services de sécurité israéliens, la « souillure » de la collaboration restait collée sur eux tous. Le fait qu’après le déclenchement de la première Intifada, Israël ait réinstallé les collaborateurs de la Cisjordanie là-bas a encore accentué l’image négative du village aux yeux des Palestiniens de Gaza.

En 1994, avec la formation de l’Autorité palestinienne, Dahaniye a été entièrement clôturé et transformé en un camp militaire fermé. La plupart des membres de la tribu Armilat travaillaient en Israël et vivaient, tout comme les colons, dans une enclave israélienne dans la Bande de Gaza : le Centre médical Soroka de Beer Sheba par exemple assurait leur service de santé.

L’année dernière, alors que la mise en route du désengagement approchait, ils ont tout à coup réalisé que l’attitude qu’avait Israël envers eux était différente de celle qu’elle avait envers les colons. Israël s’est abstenu de promettre qu’ils auraient la possibilité de déménager en Israël et la loi sur le Dédommagement pour évacuation n’incluait pas Dahaniye. Tous les efforts des villageois pour s’informer sur leur sort après le désengagement restaient vains.

Dans une requête déposée par les avocats Haïm Mandelbaum et Yoram Melman au nom de 70 des villageois, il a été demandé à Israël de permettre aux habitants de Dahaniye de déménager à l’intérieur des frontières de l’Etat, de leur accorder un statut légal et de les dédommager pour les maisons qu’ils allaient être obligés d’abandonner.

Même après que la requête ait été déposée, l’organisme du ministère de la Défense a continué à s’opposer à la relocalisation des habitants de Dahaniye en Israël et finalement, dans les derniers jours précédant la fin du désengagement, l’affaire a été présentée au premier ministre Ariel Sharon pour qu’il prenne une décision.

Sharon décida de les laisser entrer en Israël et, dans un document que le bureau du procureur général a présenté à l’époque à la haute cour de Justice, la décision a été formulée ainsi : « Il a été décidé d’accorder des permis de résidence temporaire en Israël aux habitants du village de Dahaniye qui prétendent que leurs vies seraient en danger s’ils devaient déménager dans la Bande de Gaza après l’évacuation des forces de défense israéliennes et ceci restera effectif tant que les arguments concernant le danger pour leurs vies ne sont pas clarifiés ».

Aucune assurance médicale

La « clarification » continue à ce jour et entre temps il semble que l’Etat d’Israël fait tout ce qui est en son pouvoir pour leur faire comprendre qu’il préférerait qu’ils retournent volontairement à Gaza.

Au début, on leur a demandé de vivre dans des tentes sur Tel Arad et l’administration civile, l’organisme du ministère de la défense autorisé par le gouvernement à s’occuper de leur cas, a rejeté toutes leurs demandes visant à leur permettre de construire des structures en pierres. Ce n’est qu’après l’arrivée de l’hiver, qu’ils ont eu la permission de construire des baraques en tôle. Même les toilettes chimiques et les douches qui avaient été initialement installées là ont été enlevées.

Shlomo Dror, le porte-parole pour l’administration civile, a dit au Ha’aretz que le ministère de la Défense avait loué des bâtiments d’une compagnie privée et s’est débarrassé de ceux-ci quand il s’est trouvé que les évacués de Dahaniye avaient refusé de payer les loyers. L’assurance médicale qu’ils ont pu avoir au moment de l’évacuation a été annulée après 3 mois ; les premiers mois, ils pouvaient acheter et vendre des voitures et transférer les titres de propriétés mais ensuite le bureau des permis a arrêté de les servir. En pratique, ils n’ont pas le droit de se marier ou de divorcer car le tribunal de la Shari’a islamique à Beer Sheva n’a le droit de s’occuper que de citoyens de l’Etat.

La grande majorité des évacués de Dahaniye détiennent la carte d’identité orange des habitants de l’Autorité palestinienne. Ils sont donc obligés chaque trois mois d’aller chercher un nouveau permis pour rester en Israël, permis qui est délivré au check-point d’Erez.

« Chaque trois mois, quand nous venons chercher les permis » raconte Khaled Armilat, « ils nous disent qu’il y a encore trois ou quatre personnes qui sont interdits de permis ». Les quelques membres qui ont une carte d’identité bleue, c’est-à-dire qu’ils sont des citoyens de l’état ou qu’ils sont reconnus comme résident permanents, sont supposé bénéficier de tous les services que l’Etat fournit à ses citoyens, mais la plupart sont mariés à des conjoint(e)s à carte d’identité orange. « Ils veulent tout simplement que nous abandonnions et que nous retournions à Gaza » dit Khaled Armilat. « Mais je ne peux pas retourner à Gaza, ma vie y serait en danger ».

Certains membres de la tribu sont néanmoins retournés à Gaza. Il ne s’agit que de plusieurs douzaines de personnes qui ont été d’accord ces derniers mois pour accepter des dédommagements pour les maisons laissées à Dahaniye et qui ont déménagé à Rafiah. « Fantastique » dit Khaled cyniquement, « l’Etat fait des affaires avec des gens qui ont risqué leur vie pour lui ». Selon lui, des représentants de l’état sont venus « voir les gens ici et leur a dit qu’ils recevraient un peu plus de dédommagement s’ils acceptaient de partir dans la Bande de Gaza ».

Dror nie cela. « Nous n’avons pas l’intention de forcer les gens à retourner à Gaza ni de laisser entendre que cela serait bénéfique financièrement s’ils y retournaient » promet-il. « Mais en fait, il y en a parmi eux qui y sont retournés et le fait que nous n’avons pas entendus dire qu’ils y ont été massacrés » ajoute-t-il rapidement « prouve que tous ne font pas face à une menace réelle. »

L’avocat Mandelbaum dit qu’il s’est penché sur cette question et qu’il a trouvé que « c’était des personnes qui avaient un lien de clan très fort avec Rafiah, des personnes qui, avec l’argent reçu en Israël, pouvaient apparemment s’acheter une sécurité. Mais c’est l’argent qui va éventuellement arriver à manquer ». Le document le plus récent soumis par le bureau du procureur général à la Haute Cour déclare que « les organismes professionnels ont presque totalement terminé le processus d’examen qu’ils avaient entrepris sur la question des déclarations des villageois concernant les risques d’atteintes à leurs vies » et que leurs recommandations seront bientôt présentées au gouvernement en vue d’une décision. Depuis que le document a été présenté, presque 2 mois se sont passés, et les recommandations n’ont toujours pas été soumises.

Il semble d’après les entretiens officieux avec les officiels du ministère de la Défense impliqués dans cette question, que « les organismes professionnels » sont divisés. Alors que le ministère de la défense a décidé d’accorder un statut légal à tous les membres de la tribu Armilat, la police et le service de sécurité général du Shin Bet continuent à s’y opposer.

Les officiels du Shin Bet prétendent que certains membres de la tribu Armilat ont gardé des contacts avec des « éléments hostiles » et la police prétend qu’il y a au sein de la tribu plusieurs « éléments criminels ». Si le désaccord persiste, alors vraisemblablement aucune décision ne sera prise.

« Finalement, quelque chose de très simple va arriver » dit un officiel du ministère de la Défense. « Ils resteront ici et seront ’avalés’ par la population de résidents illégaux dans le Néguev. Après tout, c’est très clair, personne ne peut les expulser à Gaza ».

Par Aryeh Dayan, 29 juin 2006,
vous pouvez lire ce texte :
Ha’aretz : http://www.haaretz.com/hasen/spages...
Traduction : Ana Cléja


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