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Les Palestiniens gagnent la bataille de la légitimité : cela va-t-il compter ?

mercredi 7 avril 2010 - 17h:24

Richard Falk

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Richard Falk argumente qu’une victoire palestinienne dans la guerre de la légitimité avec Israël ne produirait pas nécessairement les résultats politiques désirés et qu’il est vital que les Palestiniens exercent « la patience, la résolution, le leadership et la vision, ainsi qu’une pression suffisante » s’ils veulent acquérir leurs justes droits.

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Richard Falk

Depuis que la déclaration Balfour de 1917 à donné l’approbation formelle du gouvernement britannique pour l’établissement d’un « foyer national juif », de profondes questions de légitimité ont été présentes dans le conflit connu aujourd’hui sous le nom de conflit israélo-palestinien.

Cette approbation colonialiste originelle du projet sioniste a produit une érosion constante de la place du peuple palestinien dans la Palestine historique, érosion qui a empiré dramatiquement au cours des 43 années d’occupation de la Cisjordanie, de Jérusalem Est et de la bande de Gaza. Elle a empiré à cause d’une occupation militaire oppressive par Israël qui met en jeu des négations fondamentales des droits palestiniens et des violations omniprésentes de la loi humanitaire internationale, et parce qu’Israël a été autorisé à établir des « faits sur le terrain », à juste titre considérés comme des violations des droits palestiniens, spécialement l’établissement d’un réseau de colonies et du mur de séparation, construit sur les territoires palestiniens occupés en violation de la quatrième Convention de Genève. Ces développements ont été ouvertement illégaux, et ont rendu illégitime l’ensemble du traitement du peuple palestinien, et ils ont occasionné une souffrance énorme et généralisée.

Pendant des décennies, les forces politiques palestiniennes ont exercé leur droit à la résistance de diverses manières, y compris l’extraordinaire Intifada non-violente de 1987, mais elles se sont engagées aussi dans la résistance armée pour la défense de leur territoire. Les Palestiniens ont un droit absolu à la résistance, quoique soumis aux limitations de la loi humanitaire internationale, qui exclut de viser délibérément les civils et les cibles non militaires. De telles tactiques de résistance s’en prennent à Israël dans son domaine d’avantages comparatifs maximal, dû à la fois à sa domination militaire totale, réalisée en partie par de larges subsides des États-Unis, et à son impitoyable mépris de l’innocence des civils.

Ces dernières années, particulièrement depuis l’expérience brutale de la guerre du Liban de 2006 est encore plus spectaculairement au lendemain de l’invasion israélienne de Gaza en 2008-09 (27 décembre 2008 — 18 janvier 2009), un changement d’accent notable de la stratégie palestinienne a eu lieu. La nouvelle stratégie a été de commencer ce qu’on pourrait appeler une seconde guerre, une « guerre de la légitimité » qui s’appuie essentiellement sur diverses tactiques de résistance non-violente. La résistance armée n’a pas été abandonnée par les Palestiniens, mais elle a été mise à l’écart par cette insistance sur les tactiques non-violentes.

L’essence de cette guerre de la légitimité est de jeter un doute sur plusieurs facettes de la légitimité israélienne : son statut d’acteur moral et respectueux de la loi, de puissance occupante vis à vis du peuple palestinien, et le sujet de sa disposition à respecter les Nations unies et à se conformer à la loi internationale. Ceux qui mènent une telle guerre de la légitimité cherchent à s’emparer du terrain de la moralité supérieure sur le conflit, et depuis cette base, à gagner le soutien pour une gamme de mesures coercitives mais non-violentes conçues pour faire pression sur Israël, sur les gouvernements du monde entier et sur les Nations unies pour refuser à Israël des droits de participations normaux à la société internationale.

Ces tactiques visent aussi à mobiliser la société civile mondiale pour qu’elle montre sa solidarité avec la lutte palestinienne pour la réalisation de ses droits légitimes, avec pour forme principale la campagne Boycott Désinvestissements et Sanctions (BDS) qui opère dans le monde entier et qui sert de champ de bataille symbolique.

Mais il y a aussi d’autres formes d’action, telles que le mouvement Free Gaza et Viva Palestina qui visent spécifiquement à rompre symboliquement le blocus de la nourriture, des médicaments et du carburant imposé mi-2007, une forme de punition collective qui a causé de grandes souffrances à toute la population de 1,5 millions de la bande de Gaza, endommageant la santé physique et mentale de tous ceux qui vivent sous l’occupation.

Quoique l’ONU ait été jusqu’à présent défaillant (au-delà de son rôle essentiel d’aide humanitaire à Gaza) à protéger les Palestiniens sous les occupations et même à propos de la réalisation des droits palestiniens selon la loi internationale, c’est un lieu vital de la lutte dans la guerre de la légitimité. Toute la tempête déclenchée par le rapport Goldstone concerne le défi mis sur l’ONU d’imposer la mise en cause de la direction politique et militaire israélienne pour leurs crimes de guerre supposés et crimes contre l’humanité liés aux attaques de Gaza à la fin de 2008. Même si les États-Unis protègent les Israéliens de leur mise en cause selon les procédures de l’ONU, y compris de la Cour Criminelle Internationale, la confirmation par le rapport Goldstone des allégations de criminalité est une victoire majeure pour les Palestiniens dans la guerre de la légitimité, et elle donne de la crédibilité aux appels pour des initiatives non-violentes dans le monde entier.

Le rapport Goldstone soutient aussi la « juridiction universelle » comme moyen de rendre responsable, et encourage les cours criminelles nationales de tous les pays à faire usage de leurs autorité légale pour rendre les leaders politiques et militaires Israéliens criminellement responsables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.

Tzipi Livni, l’actuelle leader de l’opposition Kadima en Israël, ministre des affaires étrangères pendant les attaques de Gaza, a annulé une visite en Grande-Bretagne après qu’elle ait appris qu’un mandat d’arrestation à son arrivée avait été délivré. Même si l’impunité israélienne n’est pas abolie, la valeur reconnue du rapport Goldstone donne du poids aux appels autour du monde pour rompre les relations normales avec Israël en boycottant ses activités culturelles et universitaires, en disloquant les relations commerciales par des actions de désinvestissement ou en refusant de charger et de décharger les bateaux et les avions transportant du fret vers et depuis Israël, et en faisant pression sur les gouvernements pour imposer des sanctions économiques.

L’inspiration historique de cette guerre de légitimité est la campagne anti-apartheid menée avec tant de succès contre le régime raciste d’Afrique du Sud. Il ne fait aucun doute que la motivation politique des Palestiniens pour concentrer leurs énergies dans une guerre de la légitimité provient de plusieurs causes : désillusion sur les efforts de l’ONU et des États-Unis pour trouver une solution juste du conflit ; réalisation que la résistance armée ne peut pas produire une victoire palestinienne et donne des atouts à la tactique de diversion israélienne qui fait du « terrorisme » la question centrale ; perception de la colère mondiale contre Israël et de la sympathie pour les Palestiniens après les événements du Liban et de Gaza, qui affaiblit graduellement la déférence européenne et nord-américaine à Israël due à la victimisation juive lors du Génocide ; et impression montante que les communautés palestiniennes de la diaspora et leurs alliés pourraient entrer dans la lutte si sa nature essentielle était celle d’une guerre de la légitimité.

Des groupes israéliens, officiels ou non, ont admis récemment la menace posée à leur grande stratégie d’expansionnisme colonial par ce recours des Palestiniens à une guerre de la légitimité. Les think-tanks israéliens ont décrit « le mouvement de justice mondiale » associé à ces tactiques comme une menace plus grande pour Israël que la violence palestinienne, et ont même traité l’appui sur la loi internationale de forme dangereuse de « guerre de la loi ». Le gouvernement israélien et les organisations sionistes dans le monde se sont lancées dans la bataille par un investissement massif dans des activités de relations publiques qui incluent des efforts de propagande pour discréditer ce qu’ils appellent parfois « l’approche de Durban ». Comme pour les autres tactiques israéliennes, dans leur approche défensive de cette guerre de légitimité, il n’y a pas d’autocritique basée sur une évaluation des demandes palestiniennes essentielles selon la loi internationale. Pour Israël, une guerre de légitimité n’est qu’une affaire de relations publiques, pour proclamer sa vertu et son innocence nationale et discréditer l’adversaire. Malgré l’énorme avantage en moyens consacrés à cette campagne, Israël perd manifestement la guerre de la légitimité.

Même si les Palestiniens gagnent la guerre de la légitimité, c’est sans garantie que cette victoire produira les effets politiques désirés. Il faut aux Palestiniens de la patience, de la résolution, un leadership et une vision, ainsi qu’une pression suffisante pour forcer à un changement de fond en Israël, et probablement aussi à Washington. Dans le cas présent, ceci semble requérir une disposition israélienne à abandonner le projet sioniste central d’établissement d’un État juif, et ceci ne semble pas vraisemblable dans la perspective actuelle. Mais les buts d’une guerre de légitimité semblent toujours inaccessibles jusqu’à ce qu’ils se réalisent mystérieusement par la capitulation brutale et totalement inattendue du côté perdant.

Jusqu’à son effondrement, le côté perdant prétend être immuable et invincible, une affirmation renforcée habituellement par sa domination policière et militaire. C’est ce qui s’est passé en Union soviétique et en Afrique du Sud, auparavant avec la domination militaire française en Indochine et en Algérie, et des États-Unis au Vietnam.

C’est à nous tous, engagés pour la paix et la justice, de faire tout ce que nous pouvons pour aider les Palestiniens à l’emporter dans la guerre de la légitimité et à mettre fin à leurs longues épreuves.

* Richard Falk est professeur émérite de droit international à l’université Princeton et auteur de « Crimes of War : Iraq and The Costs of War : International Law, the UN and World Order after Iraq ». Il est aussi actuellement rapporteur pour la Palestine de l’ONU.

5 avril 2010 - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.redress.cc/palestine/rfa...
Traduction de l’anglais : Jean-Pierre Bouché


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