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Irak : le cercle se resserre

vendredi 16 février 2007 - 13h:52

David Smith-Ferri - Electronic Iraq

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Dans son récent discours télévisé adressé à la nation, George Bush a annoncé et cherché à justifier le déploiement de 21 500 femmes et hommes américains supplémentaires à Bagdad et dans la province d’Al-Anbar, deux des endroits les plus inhospitaliers sur terre pour des Américains portant l’uniforme. Contre l’avis du peuple américain, contre l’avis des militaires en Irak, contre l’avis du peuple irakien. Et contre l’avis du Groupe d’Etude sur l’Irak [Iraq Study Group]. Ce sont nos fils et nos filles, nos mères et nos pères qui vont servir de cibles aux bombes artisanales, aux balles des tireurs isolés, aux voitures-suicide. Leur mission ? Calmer le cyclone qui tourbillonne en Irak. Dans l’esprit de Bush, l’armée américaine grâce à ses missiles de croisière, ses hélicoptères Apache et ses F-16, grâce à sa droiture, dispose de pouvoirs messianiques. Même les forces de la nature lui obéiront. Aucune importance qu’il ait joué un rôle central dans le déclenchement de cet ouragan et dans m’échec complet à le calmer au cours des quatre dernières années. De tous les côtés les gens poussent le président à chercher des solutions politiques au chaos en Irak, mais il s’obstine à renforcer l’action militaire.

Dans son discours, le président Bush a justifié le renforcement des troupes américaines comme étant une réponse à une menace contre le peuple américain, contre les intérêts américains et la sécurité mondiale. « La situation en Irak est inacceptable pour le peuple américain - et elle et inacceptable pour moi ... Un échec en Irak serait un désastre pour les Etats-Unis ... Pour la sécurité de notre peuple, l’Amérique doit réussir en Irak. » Il a exprimé clairement le fait que notre armée est engagée dans un effort pour « protéger les intérêts américains au Moyen-Orient. » Et, dans une rhétorique trop familière, il déclara à la fin de son discours : « Dans le long terme, le voie la plus réaliste pour protéger le peuple américain est de fournir une alternative d’espoir à l’idéologie détestable de l’ennemi, en faisant avancer la liberté dans une région troublée. »

Du moment que c’est le travail de n’importe quel président de se préoccuper de « sécurité nationale », beaucoup d’Américains vont écouter ses paroles et immédiatement convenir de son autorité pour discerner qu’est-ce qui est ou n’est pas une menace pour leur pays. Mais essayez de voir cela en partant du point de vue des Irakiens au Moyen-Orient, et c’est alors difficile à accepter.

Rentrant juste de trois semaines passées à Amman où j’ai rencontré des réfugiés irakiens, dont beaucoup d’entre eux paieraient n’importe quel prix pour vivre aux Etats-Unis, je me pose la question : que pensent-ils du discours du président et de cette « menace » contre l’Amérique et ses citoyens ?

Pour un Irakien d’Amman fuyant une menace de mort et dont la famille reste exposée au chaos qui règne à Bagdad, parler de danger pour les vies américaines doit certainement paraître cruel et risible. Beaucoup des Irakiens que j’ai rencontrés à Bagdad m’ont dit que « la vie à Bagdad est impossible ». Comment vont réagir au discours de Bush et à son souci de « protéger le peuple américain », les gens qui vivent encore à Bagdad et qui sont confrontés à une menace quotidienne de violence et à « l’impossibilité » de protéger leurs familles ? Comment vont-ils réagir à l’idée que l’occupation américaine « fait avancer la liberté dans une région troublée ? » L’occupation de l’Irak et les paroles de notre président ont fait plus que planter des graines pour faire pousser le sentiment anti-Américain en Irak ; elles ont arrosé ces graines et ont consolidé leurs pousses, et cette subite augmentation du nombre de soldats est un engrais dans le sol.





Que penseront les sunnites dont je parle lorsqu’ils liront la citation suivante tirée du discours du président Bush ? « Nos forces militaires à Al Anbar tuent et capturent les chefs d’Al Qaeda et protègent la population locale. Récemment, les chefs tribaux locaux ont commencé à montrer leur volonté de s’attaquer à Al Qaeda. Et le résultat est que nos commandants pensent que nous avons une opportunité de porter un coup sérieux aux terroristes. J’ai par conséquent donné des ordres pour que les troupes américaines dans la province d’Al Anbar soit renforcées par 4000 soldats. »

Les sunnites irakiens savent bien mieux que moi combien complexe est la situation dans la province d’Al Anbar. Ils savent qu’il y a une lutte entre les tribus locales concernant le support aux forces de la coalition. Ils savent qu’Al Qaeda tire sa force de l’opposition à l’occupation militaire américaine. Mais ils éprouvent aussi des sentiments mélangés et des points de vue différents vis-à-vis d’Al Qaeda. Ils savent que la présence d’Al Qaeda dans la province d’Al Anbar attire l’armée américaine et qu’Al Qaeda exerce des pressions sur les jeunes irakiens pour qu’ils les rejoignent et sur les jeunes filles irakiennes — même âgées d’à peine 12 ans — pour qu’elles les épousent. Ils savent que « porter un coup sérieux aux terroristes » signifie tuer des Irakiens, des gens dont l’engagement dans la résistance est le résultat de forces complexes et puissantes — une sorte de combinaison, sans doute, de pressions de la part d’Al Qaeda, d’une profonde opposition à l’occupation et de la conviction que l’actuel gouvernement en Irak est illégitime, infiltré par les milices chiites et soutenu par l’occupation étrangère.

Le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies (UNHCR) a reçu des rapports récents venant d’équipes sur le terrain selon lesquels les Forces multinationales (FMN) continuent à occuper l’immeuble des services d’éducation de Ramadi, et que leurs tireurs isolés (« snipers ») sont positionnés sur les toits de l ?hôpital général et de la faculté de médecine de Ramadi. Sont également rapportées les récentes démolitions par les FMN dans Ramadi du centre du Conseil du Gouvernorat et de deux mosquées (Abd Al-Qadir Al-Geelany et Al-Hajj) ; sont aussi rapportées les démolitions de maisons civiles et de magasins dans des zones où ont eu lieu des attaques à la bombe. Les Irakiens que j’ai rencontrés sont bien au courant des actes des militaires américains dans la province d’Al Anbar. Comment se pourrait-il qu’ils soient séduits par l’augmentation de la présence militaire américaine dans cette région ?

Alors que j’étais à Amman, j’ai eu plusieurs rencontres avec l’équipe du UNHCR, des personnes dévouées et très capables qui bien trop au courant du chaos qui règne en Irak pour être rassurées par une augmentation subite du nombre de troupes américaines. Ce qu’ils partagent, c’est l’inquiétude. Avant l’invasion de mars 2003, il y avait déjà un million de personnes déplacées à l’intérieur de l’Irak. Après les 3 premières années de guerre et d’occupation, 148 000 autres personnes supplémentaires se retrouvaient déplacées. Mais dans les dix derniers mois, le taux de personnes déplacées a augmenté de façon exponentielle : 470 000 personnes (une estimation basse selon l’équipe du Haut Commissariat aux Réfugiés) ont fui la violence en Irak entre le 22 février et le 14 décembre de l’annéee 2006. Ceci représente plus de 10 000 personnes par semaine fuyant pour sauver leur vie et chercher un endroit sûr en Irak.

Imaginez-vous vous réveillant demain matin avec cet impératif : trouver un refuge en Irak pour vous et votre famille ? Ce simple exercice imaginaire vous sera d’ une grande utilité. Il aurait été d’une grande utilité aussi pour George Bush, plutôt que d’imaginer une croisade divine contre l’islamisme radical et une floraison de liberté installant la démocratie à travers le Moyen-Orient, comme il l’a imaginé ces quatre dernières années ; il aurait mieux fait de se concentrer sur les conditions réelles de la vie quotidienne en Irak.





Essayant de me faire comprendre la portée et la dureté des conditions de vie auxquelles les gens font face en Irak, Michelle Alfaro, officier de protection à l’UNHCR m’expliqua : « Il y a des situations qui nécessiteraient des convois d’aide humanitaire massive — nourriture, médicaments, vêtements. » Bien évidemment, étant donné la violence, ceci n’est pas possible.

Les documents du Bureau International des Migrations (International Office of Migration : IOM) peignent une réalité bouleversante. De façon non surprenante, en plus d’abandonner leurs maisons, les « personne déplacées internes » (internally displaced persons : IDP) laissent en général derrière elles beaucoup de leurs biens, leur source de revenu et leur service de sécurité sociale. Souvent, après avoir fui, ils se retrouvent dans des situations où ils ont du mal à se procurer du fuel, de la nourriture, de quoi se soigner et des services d’éducation pour leurs enfants. Certaines familles connaissent des difficultés supplémentaires telles que la condition mono-parentale, de sérieux problèmes de santé, et des incapacités mentales ou physiques.

Au nord-est de Baghdad, par exemple, dans le gouvernorat de Kirkuk, 60% des personnes déplacées louent des appartements. Ces habitations manquent le plus souvent des services de base : sanitaires, eau courante, électricité ; ces personnes peuvent à peine supporter le prix d’un loyer, les prix pour un abri augmentant en même temps que la demande. Selon un rapport de « Bookings Institution », le travail des enfants s’étend à travers l’Irak, que ce soit parmi les déplacés ou parmi toute la population. Ceci est tout à fait visible dans Kirkuk, où le personnel d’IOM a constaté qu’un grand nombre d’enfants de déplacés mendiaient dans les rues de la ville pour tenter d’aider leur famille. Les enfants sont obligés de travailler, et spécialement dans les familles où le père a été tué. Dans les zones rurales du gouvernorat de Kirkuk, un large pourcentage d’enfants souffre d’anémie à cause de la malnutrition. Les deux tiers des personnes déplacées aujourd’hui dans Kirkuk n’ont pas accès aux distributions faites par le gouvernement de rations alimentaires, un problème qui est courant à travers tout l’Irak ; 83% n’ont aucun accès au fuel, 8% n’ont pas accès à l’électricité, et 71% ont de l’électricité seulement de 1 à 3 heures par jour. Aucune famille de déplacés n’a accès au diesel ni au kérosène. Comme le kérosène est ce qui est le plus utilisé pour cuisiner et se chauffer, sa pénurie est particulièrement problématique maintenant en hiver.

La vie politique et sociale en Irak est énormément plus compliquée aujourd’hui qu’elle ne l’était quatre années auparavant, mais essayer de comprendre à quoi les Irakiens font face est toujours un exercice extrèmement important. Les options sont réduites pour les Irakiens qui sont sous la menace de la violence. De plus en plus, et spécialement dans le sud de l’Irak, les personnes déplacées fuient vers des communautés qui sont déjà débordées par ce mouvement. Dans ces communautés, même les bâtiments publics — bâtiments gouvernementaux, mosquées, centres de jeunesse, écoles — sont remplis de ces déplacés. La charge qui consiste à absorber tous ces gens crée des conditions qui peuvent amener encore plus d’instabilité et de violence.

George Bush veut que les américains pensent à eux-mêmes, qu’ils pensent aux menaces vis-à-vis de leur sécurité, aux intérêts américains, et qu’ils mettent leur confiance dans l’armée américaine pour nous protéger, nous et notre prospérité future. Je pense plutôt aux Irakiens que j’ai rencontrés et qui cherchent à s’établir à l’étranger, en Australie, au Canada, en Amérique, sans réel espoir d’y arriver. Je pense à Ammar, talentueux, plein de ressources, un homme qui a quitté deux fois l’armée de Saddam Hussein dans les années 1980 et qui et a suffisamment vécu pour pouvoir en parler. L’an passé, lui et sa femme fuyant des menaces de mort ont emmené leur famille trois fois dans un autre endroit, la dernière fois étant dans un petit village de cultivateurs. Il y a juste deux jours il m’a envoyé un courrier électronique depuis Amman dans lequel il me disait : « J’ai parlé à ma femme. Elle pleurait au téléphone. Il y a eu des combats toute la nuit entre les chiites et sunnites du village voisin. Les chiens hurlaient. Nos enfants se sont réveillés en pleurant, terrifiés. »

Je pense à Fadila, une veuve avec quatre enfants dont le mari a été tué par un homme armé à Bagdad. « Mon mari est mort par la faute de votre gouvernement. Vous ne pourriez avoir rendu ma vie pire que ce que vous en avez fait. »

Je pense à Rafi, un électricien qui vient d’arriver à Amman avec sa femme et ses trois enfants. Rafi a travaillé sur des projets avec l’armée américaine et des entrepreneurs américains. « Ils nous ont toujours traités correctement moi et mon équipe. Ils étaient honnêtes et professionnels. » Deux mois auparavant, il a reçu une lettre d’ « Al Qaeda » lui disant qu’il était maintenant visé pour avoir travaillé avec l’ennemi. Il pris alors la fuite en emmenant sa famille. Son travail, sa maison, tout est maintenant perdu. « Si vous travaillez pour l’armée américaine, ils vous tueront. Si vous travaillez pour une entreprise américaine, ils vous tueront. Si vous êtes chrétien, ils vous tueront. Ou alors ils vont venir une nuit et vous tuer sans raison. Les choses sont impossibles maintenant. Il ne reste rien de Bagdad. »

Je pense à Adeela qui se bat pour fournir le nécessaire à ses trois enfants et les maintenir à l’abri à Amman. Sans exception, chaque Irakien que j’ai rencontré en Jordanie est très inquiet pour les membres de sa famille qui vivent en Irak. Je pense à la nièce d’Adeela, Sa’diya, et à son bébé, fuyant les menaces de mort venant d’une milice, vivant dans la peur à Bagdad, grelottant dans son appartement glacial, récupérant des morceaux de bois car elle ne peut pas acheter de kérosène. Je pense à la mère et aux s ?urs d’Um Heyder qui ont été terrorisées par des hommes armés la semaine dernière dans leur appartement de Bagdad et forcées de s’enfuir. Je pense à la femme d’Abdullah, à Baquba, qui a donné le jour à son troisième enfant il y a dix jours.

Dans son discours, George Bush a fait référence à deux reprises au « cercle de la violence. » Je pense au cercle de la violence qui entoure les Irakiens. Le cercle devient de plus en plus serré. Le cercle se resserre autour d’Ammar et de sa famille, autour d’Um Heyder. Le cercle devient de plus en plus étroit.


David Smith-Ferri appartient à l’organisation « Voices for Creative Nonviolence » et auteur du livre récemment publié « Battlefield without Borders ». Il peut être contacté à : david@battlefieldwithoutborders.org.


Note ajoutée par la rédaction :

Les Etats-Unis ont annoncé, mercredi 14 février, qu’ils allaient accueillir 7 000 nouveaux réfugiés irakiens d’ici à octobre, soit 10 fois plus que la totalité des réfugiés admis depuis l’invasion de l’Irak en 2003. Washington a également promis une aide d’urgence de 68 millions de dollars (52 millions d’euros) pour les Irakiens déplacés à l’intérieur du pays.

Selon le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés, plus de 2 millions d’Irakiens sont réfugiés à l’étranger, auxquels s’ajoutent 1,8 million de déplacés à l’intérieur du pays. Quelque 50 000 Irakiens fuient leur foyer chaque mois. Les Etats-Unis n’ont accordé le statut de réfugiés qu’à 466 Irakiens depuis 2003.

Le revirement de l’administration américaine a été annoncé après une rencontre à Washington de la secrétaire d’Etat, Condoleezza Rice, avec le Haut commissaire de l’ONU pour les réfugiés, Antonio Guterres. Ce dernier a annoncé la tenue, en avril à Genève, d’une conférence de donateurs pour les réfugiés et déplacés irakiens. - (AFP, le 16 février 2007)

7 février 2007 - Electronic Iraq - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electroniciraq.net/news/2893...
Traduction : Claude Zurbach [Info-Palestine.net]


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