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Hamas : interview de Mahmoud al-Mabhouh

mercredi 10 février 2010 - 06h:50

Al Jazeera

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« Les Israéliens m’ont torturé pendant 33 jours, puis ils m’ont laissé deux jours, puis l’interrogatoire a recommencé, et ça a duré pendant 46 jours. »

Il y a environ 10 mois, Al Jazeera a interviewé un homme à Damas, en Syrie, supposé avoir fait partie d’une cellule qui a capturé et tué deux soldats israéliens, Avi Sasportas et Ilan Sa’adon, en 1989. Al Jazeera a appris depuis que l’homme en question - qui avait le visage couvert durant l’entretien - était Mahmoud Abdul Raouf al-Mabhouh, un commandant militaire du Hamas qui a été assassiné à Dubaï le 20 Janvier dernier.

Al-Mabhouh avait été l’une des personnes les plus recherchées par Israël depuis 20 ans et il a été accusé d’être responsable d’un certain nombre d’opérations, y compris la capture et la mort des deux soldats. Le Hamas a déclaré que al-Mabhouh, a été assassiné par des agents israéliens.

Ci-dessous l’interview d’al-Mabhouh réalisé l’an dernier.

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Des membres de la famille de Mahmoud al-Mabhouh siègent sous une série de ses portraits - Photo : EPA

Je ne suis pas le seul homme recherché. Des dizaines et des centaines de personnes qui ont combattu les Israéliens sont recherchées. Je ne suis pas le seul.

Dieu seul détermine le moment de la fin. Nous connaissons le prix pour aller dans cette voie. Et nous n’avons aucun problème avec cela.

Il y avait un état [de] réveil. Les groupes ont continué à combattre les Israéliens pendant trois ou quatre ans, mais ensuite c’était fini. Tous ces groupes ont été éliminés par l’assassinat et les liquidations.

Une nouvelle situation est apparue et les groupes l’appelait la « Ikhwanjiyeh » qui vient de « Ikhwan » [frères]. L’une des personnes qui avaient l’habitude de venir à notre maison était mon frère aîné, Hassan, ou Abu Abdullah, et Ibrahim Maqadna, l’un des fondateurs [des brigades de combattants]. Je connaissais la plupart d’entre eux, comme Abou Maher Tedras, Abdul al-Hafez al-Silawi et Abdul Hafez al-Sharif.

Depuis ce temps, j’ai connu l’amour et la piété. Dieu merci, tous les membres de ma famille étaient des gens pieux. Mon père a créé une atmosphère particulière de sentiment religieux dans notre maison avec certains de ses amis ; l’un d’entre eux avait l’habitude de nous faire une lecture tous les jours sur le « fiqh » [doctrine islamique], sur le « djihad », sur la patience et d’autres concepts, c’était Idris Awda Abu Mujahid, qui a été blessé par balle à deux reprises pendant la guerre de 1948, à l’épaule et aux reins. Il avait férocement combattu avec Hassan al-Banna [fondateur des Frères Musulmans en Egypte, assassiné en 1949].

Nous avons vécu dans une atmosphère religieuse dans notre maison.

J’ai gagné dès cette l’époque un engagement religieux de fer. J’avais l’habitude d’accomplir toutes les prières à la mosquée, en particulier la prière de l’aube [Fajr], et j’ai eu de bonnes relations avec tout le monde. J’ai été familiarisé avec les armes, je savais qui les vendait et qui les faisait venir d’Égypte. Nous recevions nos armes en provenance d’Égypte, et non des Israéliens.

Nous sommes restés comme ça pendant un long moment. Un de ceux qui étaient très proches de moi et avaient une grande influence sur moi a été le cheikh Salah Shehada [assassiné par les Israéliens en juillet 2002 avec toute sa famille], avant sa première détention en 1981.

Je me souviens qu’en 1981, moi et un de mes amis, qui est toujours en vie, avons apporté un paquet d’armes qui n’avaient pas été saisies et j’en ai livré une au Cheikh. J’ai apporté l’arme et il a pu s’échapper.

Les frères se préparaient à une action militaire. J’étais très proche de cheikh Salah. Il avait l’habitude de venir souvent me voir, chaque fois qu’il voulait une voiture, ou une réparation pour sa voiture ou autre chose.

J’allais au camp de réfugiés de Jabalya et faisait les prières du vendredi midi avec lui. Il était à l’époque récemment arrivé d’Égypte ; il était resté à Arish, puis il est venu à Beit Hanoun. Il a ensuite bâti sa propre maosquée et j’ai pris l’habitude de venir prier à ses côtés.

Il a été emprisonné dans les années 1980 avec un groupe de neuf personnes. Ma relation avec lui s’est poursuivie, même après qu’il ait été libéré.

Détention et tortures

J’ai ensuite été détenu en 1986. Je n’ai rien avoué. Je suis resté pendant 46 jours soumis aux interrogatoires. Ils avaient l’habitude de me transférer, soit à Askalan, soit à la prison centrale de Gaza. Ils m’ont torturé pendant 33 jours, puis ils m’ont laissé deux jours, puis l’interrogatoire a recommencé, et ça a duré pendant 46 jours.

Steve, un tortionnaire bien connu dans la prison d’Askalan, a tenté avec trois de ses aides d’exercer sur moi des pressions et des tortures si dures que je m’évanouissais. Une fois que je disais la shahada [profession de foi], je l’ai entendu dire en hébreu : « Cet homme va mourir et ce n’est pas le moment », puis il a cessé l’interrogatoire.

Puis ils m’ont renvoyé à la prison centrale de Gaza. Merci à Dieu de m’avoir donné une forte volonté et de la patience. Nous n’avons rien avoué ni rien dit à personne.

Bien entendu, ma relation avec Cheikh Salah s’est retrouvée renforcée après j’ai été libéré, il fut même l’un de ceux qui se tint aux côtés de mon père et lui a fourni un avocat pour le représenter. Il était l’un de ceux qui m’attendaient alors que j’étais en prison.

Nous avions l’habitude de planifier chaque étape, petite ou grande. Notre travail était bien planifié et non selon les circonstances. Nous avions l’habitude de prévoir de tuer d’abord, puis de capturer [les soldats] vivants.

Nous avions seulement besoin d’un lopin de terre, généralement dans une ferme ou un dans un élevage de volailles, et nous l’utilisions pour creuser une prison secrète sous la terre, et y garder certains soldats ou officiers, comme dans le cas de Shalit [soldat israélien capturé par la résistance palestinienne].

Nous étions déguisés et habillés comme des juifs religieux, comme des rabbins. Un des endroits où nous nous postions était le rond-point de Hidaya. Une voiture est arrivée, a déposé ses passagers, y compris Avi Sasportas qui a été capturé et tué le 16 février 1989.

J’étais le conducteur, et il y avait des places dans la voiture. Il est monté dans la voiture et s’est assis sur le siège arrière. Il y avait un signal spécial entre moi et Abu Suhaib. Après avoir passés Hidaya, j’ai fait signe à Abu Suhaib qui avait une arme et qui lui a tiré dessus deux fois, une au visage et une fois dans la poitrine. J’ai entendu son soupir au premier coup puis il est mort.

Nous l’avons ensuite emmené à l’endroit déjà préparé et enterré là.

On lui a enlevé ses vêtements et effets personnels avant de l’enterrer. Il avait un portefeuille, une carte d’identité et une carte militaire, il avait même une arme spéciale de nuit avec un viseur à laser. C’était une arme M15.

L’opération a été découverte 11 jours plus tard.

Nous avons essayé de prendre la responsabilité de l’opération, mais aucune agence d’informations ne l’a signalé.

Motivation

Sheikh Salah était au courant de l’opération alors qu’il était encore en prison. Certains des frères qui lui avaient rendu visite ont écrit sur les murs et revendiqué la responsabilité de l’opération. Ils ont signé le « mouvement palestinien Mujahidin » et d’autres slogans qui indiquaient qu’il faisait partie de notre groupe.

Les Israéliens ont alors diffusé un certain nombre de noms, ils voulaient savoir qui était derrière l’opération, mais c’était du bluff. Nous avions l’habitude d’en rire.

Je pense que le cheikh Salah était au courant. Sheikh Salah Shehada avait l’habitude de motiver les autres cellules et groupes qui étaient à Bureij et Zeitoun, mais ils ont été capturés après la deuxième opération, et le cheikh était à ce moment-là en détention.

Muhammad Shawatha faisait le lien entre les groupes de détenus dans les prisons et ceux du dehors. Il a été condamné à la prison à vie.

Le 3 mai 1989, il y avait deux voitures de police de stationnées, et ils [les soldats] étaient dans un restaurant près d’une station service d’Al Qods, c’était après 4 heures de l’après-midi. Un bus militaire s’arrête là et deux soldats descendent ; il était clair que ces deux étaient en week-end. Ils nous ont demandé comment ils pouvaient rejoindre le rond-point Majdal, et je leur ai répondu que nous avions qu’une seule place, pour assurer le succès de l’opération.

Alors que nous allions sur la route de Majdal, Abou Suhaib s’est retourné et lui a tiré dessus et lui a pris son arme. Nous avions des couteaux tranchants et j’avais un fusil. Je voulais l’abattre, mais Abou Suhaib a été plus rapide que moi.

Son sang était partout dans la voiture. Nous sommes arrivés à la place préparée pour cela et l’y avons laissé.

Nous sommes entrés dans la bande de Gaza, à Jabalya, et nous avons quitté la voiture dans le quartier Jabal al-Kashef.

La mission de Shawatha était de boucler la place et de nettoyer la voiture. Les Israéliens ont appris qu’une voiture était entrée dans la place et ont commencé à tirer dans toutes les directions. Je suis parti en rampant, puis j’ai couru de la route Salah al-Din jusqu’au camp. J’avais les armes avec moi. Les Israéliens se doutaient que quelque chose s’était passé, mais ne ils ne savaient pas ce que c’était. C’était un mercredi.

Le samedi, son camarade [du soldat israélien tué] qui était avec lui, a demandé à ses parents de ses nouvelles et dit qu’il l’avait vu monter dans une Subaru blanche quand il l’a quitté. Ils ont informé la police et ont commencé à le rechercher. Ils ont alors compris qu’il avait dû connaître le même sort que le premier [soldat], et ils savaient qu’il devait être dans la bande de Gaza. Shawatha a ensuite été emprisonné.

Départ

Nous avons quitté nos maisons dès que la voiture a été retrouvée. Je n’ai pas passé une nuit chez moi depuis ce moment, car il y avait nos empreintes digitales dans la voiture.

Shawatha a avoué après avoir été très sévèrement torturé. Les groupes que nous ont été utilisés pour communiquer ont tous été pris ; le cheikh Ahmed Yassine, a été alors arrêté et [les Israéliens] savaient que Abou Suhaib et al-Mabhouh étaient à l’origine de la capture du soldat.

Les recherches contre nous ont commencé à ce moment. Les Israéliens n’ont pas essayé de prendre d’assaut nos maisons, ils essayaient de les surveiller de loin, mais nous avons senti que nous étions poursuivis.

Nous sommes restés dans la bande de Gaza pendant encore deux mois, puis on nous a dit de partir pour l’Egypte.

Cela en valait la peine. Ceux qui ont détenus et torturés dans les prisons le savent mieux que ceux qui ne l’ont pas été. J’ai été arrêté plusieurs fois, je sais ce que cela signifie. Ces gens [les Israéliens] doivent être chassés par tous les moyens, même si finissons martyrisés. Toutefois, la prudence est nécessaire, et je remercie Dieu car je suis très très patient.

Tentative d’assassinat

Les Israéliens ont essayé de me faire assassiner à trois reprises. Le jour où Izz a été martyrisé, j’allais à ma voiture, et je les ais vus s’échapper ; ils étaient en train de coller une bombe sous la voiture.

Et ils ont essayé de m’assassiner au Liban en 1991.

Et un mois après qu’Imad [Moghniyeh] ait été martyrisé, le 14 mars, j’ai vu une personne qui me surveillait et qui s’est enfuie quand elle a remarqué que je l’avais vue.

Je suis très prudent, Dieu merci. Finalement, Dieu seul détermine le moment où nos vies se terminent. Nous connaissons le prix à payer pour aller dans cette voie.

Que Dieu nous rende plus forts, et j’espère devenir un martyr.

Pour les Israéliens, mes mains sont tâchées de sang, mais pour Dieu ? C’est ce qui importe.

Les Israéliens sont les assassins et les criminels. Ils ont pris notre terre, tué nos enfants, commis des massacres dans Gaza.

Si Dieu le veut, la résistance sera plus forte et ripostera durement.

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Traduction : Naguib


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