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Quand la diplomatie saoudienne s’active

samedi 10 février 2007 - 22h:52

Gilles Paris

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Il est encore trop tôt pour mesurer les conséquences de l’accord interpalestinien conclu à La Mecque, jeudi 8 février. Rien n’assure qu’il sera à même de combler le fossé de haine qui s’est creusé à Gaza entre les miliciens des deux principaux mouvements palestiniens. Ni qu’il recevra le soutien des Etats-Unis, qui ont ostensiblement préféré jusqu’à présent l’affrontement au compromis. En revanche, cet accord constitue un indéniable succès pour une diplomatie saoudienne qui cultive d’ordinaire la discrétion.

Un succès obtenu, qui plus est, sur un dossier qui relève traditionnellement des bons offices égyptiens. Siège de la Ligue arabe, allié aux Etats-Unis et lié à Israël depuis plus d’un quart de siècle par les accords de Camp David, Le Caire présente en effet un profil de courtier idéal pour les deux parties en présence. C’est d’ailleurs dans la capitale égyptienne que le "dialogue national" palestinien avait débuté, puis s’est enlisé. C’est au contraire à La Mecque, après une invitation pressante des deux factions palestiniennes par le roi Abdallah, qu’il a débouché, au moins temporairement, sur un véritable accord.


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Le roi Abdallah d’Arabie Saoudite


A dire vrai, le dossier palestinien n’en est qu’un parmi d’autres, tout aussi brûlants, pour la diplomatie saoudienne. Cette dernière est en effet engagée dans les quatre conflits majeurs qui simultanément - et c’est là une configuration inédite - travaillent le Proche et le Moyen-Orient. Les Saoudiens suivent de très près l’évolution de la crise libanaise. Le président de la République française, Jacques Chirac, a salué leur rôle lors de la conférence organisée à Paris le 25 janvier pour la reconstruction du Liban. Ils sont tout aussi attentifs à ce qui se passe en Irak, à leur frontière, et ils observent enfin avec inquiétude la gestation du dossier nucléaire iranien. Cette omniprésence saoudienne sera d’ailleurs consacrée à la fin du mois de mars par la réunion à Riyad des dirigeants de la Ligue arabe dans le cadre de son sommet annuel.

"Nous avons toujours été actifs", estime un diplomate saoudien, qui rappelle que la guerre civile libanaise s’est achevée en 1990 avec les accords conclus à Taëf sous l’impulsion du roi Fahd, "ce sont la région et les circonstances qui ont changé". Abdallah, alors prince héritier, fut d’ailleurs à l’origine de la résolution adoptée par la Ligue arabe à Beyrouth, en mars 2002, qui proposait à Israël la normalisation des relations avec tous les membres de la Ligue en échange de la création d’un Etat palestinien dans les frontières de 1967.

Mais la localisation des plus graves fractures régionales explique en grande partie la prépondérance saoudienne actuelle. Si l’inquiétude des intentions jugées hégémoniques de l’Iran est sans doute la chose la mieux partagée par les capitales arabes dites "modérées", c’est-à-dire alliées à Washington, l’Arabie saoudite est la mieux placée pour y répondre, par sa taille et sa puissance économique. Téhéran et Riyad maintiennent enfin et surtout ouvert un canal officiel de discussion, ce qui n’est pas le cas, et depuis longtemps, de l’Egypte. Cette relation avec l’Iran est ambivalente et complexe, puisque la République islamique est impliquée également - directement ou par le truchement d’un tiers - dans les quatre grandes crises régionales.

Téhéran a su utiliser à son profit l’intransigeance des Etats-Unis et des Européens vis-à-vis du Hamas palestinien, comme l’a souligné récemment un rapport du Parlement britannique, pour s’introduire, grâce aux pétrodollars, dans un dossier qui ne relevait auparavant que du slogan post-révolutionnaire proche de la rengaine. L’Iran dispose au Liban avec le Hezbollah d’un outil incomparable, hier fer de lance de "la résistance" contre Israël, aujourd’hui pilier de l’opposition au gouvernement de Fouad Siniora. Ce dernier est l’ancien bras droit de Rafic Hariri, qui avait bâti en Arabie saoudite la fortune et les relations qui allaient lui ouvrir les portes du pouvoir à Beyrouth en 1992.

Dépourvu de force militaire

L’Iran dispose également de relais en Irak, où la communautarisation des institutions politiques, voulue par les Etats-Unis, a propulsé aux avant-postes la majorité chiite, dont certaines composantes politiques sont liées à Téhéran. Enfin, l’Iran n’entend rien rabattre de ses ambitions nucléaires.

Dépourvue historiquement d’une véritable force militaire - la protection américaine est au coeur de la relation entre Washington et Riyad -, l’Arabie saoudite ne peut pas non plus user, face à un pays chiite, de la puissance symbolique attachée au titre de Protecteurs des lieux saints (La Mecque et Médine) qui échoit à ses souverains sunnites. Le royaume est donc plus tenté par le "containment" de l’Iran que par la confrontation. Cette ligne officielle semble faire l’objet d’un consensus parmi les figures les plus connues à l’étranger de la famille royale, le roi Abdallah, le prince héritier Sultan, le ministre des affaires étrangères Saoud Al-Fayçal, ou bien Bandar bin Sultan, ancien ambassadeur aux Etats-Unis, aujourd’hui secrétaire général du Conseil de sécurité nationale, et quelles que soient par ailleurs les différences de sensibilités.

Les intérêts saoudiens dans la région ne coïncident d’ailleurs pas toujours avec ceux des Etats-Unis. A la satisfaction de Washington, Riyad participe à l’isolement diplomatique de la Syrie, surtout depuis les propos virulents tenus à l’été 2006 par le président syrien, Bachar Al-Assad, à l’encontre des Saoudiens qui avaient critiqué ouvertement l’enlèvement de deux soldats israéliens par le Hezbollah, le 12 juillet 2006, ce qui allait déclencher une guerre de six semaines. Au Liban, les vues sont identiques. Ce n’est pas le cas à propos de l’Irak, "où la politique américaine heurte de plein fouet les intérêts de ses alliés régionaux traditionnels", à commencer par les Saoudiens, selon un expert. Le doute persiste sur l’attitude de Riyad dans le cas d’une frappe américaine préventive contre les installations nucléaires de l’Iran.

Une telle initiative serait de nature à répondre aux inquiétudes exprimées officieusement par les responsables saoudiens, mais le royaume et les autres membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG) en redoutent les conséquences régionales, de la probable fermeture du détroit d’Ormuz à d’éventuelles frappes de représailles en passant par la réaction des minorités chiites saoudiennes et koweïtiennes (pour ne pas parler de la majorité chiite irakienne ou bahreïnie ni du Hezbollah). Une perspective apocalyptique qui pousse donc le CCG à privilégier officiellement la voie de la diplomatie.

Gilles Paris - Le Monde, le 10 février 2007


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