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Les prisons israéliennes : des universités révolutionnaires

dimanche 13 décembre 2009 - 06h:39

Khaled al-Azra

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Prison de Nafha - Je voudrais tout d’abord vous dire que le rôle du mouvement des prisonniers palestiniens dans l’éducation des cadres et par conséquent dans « l’éducation nationale » palestinienne est un vaste sujet qui mérite un débat et des recherches beaucoup plus larges.

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Députés du mouvement Hamas au Conseil Législatif Palestinien, enlevés et emprisonnés par les troupes israéliennes d’occupation.

En tant que prisonnier politique palestinien, j’ai passé les 20 dernières années dans les prisons israéliennes et à ce titre je voudrais vous faire part de certains aspects de la lutte du mouvement des prisonniers pour constituer un système d’éducation individuelle et collective afin de développer une culture patriotique et révolutionnaire qui puisse être le pilier du mouvement de libération.

C’est à un âge très précoce que j’ai commencé à comprendre l’occupation et la situation dans laquelle l’occupation me plaçait. Mes premiers contacts avec l’occupation ont été des conversations que j’ai entendues dans ma famille, évoquant par exemple le cas de mon frère aîné qui n’était pas autorisé à entrer en Jordanie à cause de son « dossier de sécurité » chez les occupants. Et j’ai appris ce que signifiait l’occupation au fil des journées de couvre-feu imposées trop fréquemment dans notre camp de réfugiés.

Chaque fois que je posais une question au sujet de ces difficultés, on me répondait la même chose « c’est Israël, c’est l’occupation ». Petit à petit, j’ai appris ce que signifiait la Palestine en écoutant les histoires racontées par mon père et ma grand-mère au sujet de la Nakba et des premières années difficiles de l’exil et de l’état de réfugié.

Je suis tombé amoureux de la Palestine à cause des histoires sur « al-blad » (la terre), les souvenirs de l’époque d’avant la Nakba ou de la « vraie vie » comme l’appelait ma grand-mère. Je plongeais dans les histoires des anciens - à la fin des années 70 - et je n’avais pas d’autres sources pour connaître la Palestine si ce n’est ces histoires et quelques mots murmurés en secret par un enseignant qui risquait de perdre son emploi et son gagne-pain si le commandant militaire de district venait à l’apprendre.

Au début des années 80, la société palestinienne est devenue un volcan de protestation contre les tentatives du régime israélien d’imposer des « ligues de village », une espèce de leadership politique qui remplacerait les dirigeants municipaux élus et l’Organisation de Libération de la Palestine. Cette période de contestation a changé ma vie. J’ai commencé à participer au mouvement populaire croissant. Mon militantisme ne se limitait pas à la participation aux grèves, aux meetings et aux manifestations car j’avais commencé un long processus d’auto-didactisme politique. Ce fut plus difficile qu’il n’y paraît. Il fallait beaucoup d’efforts et de discrétion pour trouver des livres sur l’histoire politique de la Palestine et la colonisation sioniste de la Palestine ; tous ces livres étaient interdits par Israël et l’armée avait brûlé ou confisqué la plupart d’entre eux.

Il était très difficile de trouver un livre sur la Palestine ou sur les Palestiniens, voire un roman de Ghassan Kanafani ou un recueil de poèmes de Mahmoud Darwish. J’étanchais ma soif de ces textes en consommant des livres et des brochures clandestins qui, vous serez surpris de l’apprendre, n’étaient pas des modes d’emploi pour la fabrication d’explosifs, mais plutôt des écrits historiques, littéraires, et politiques de plusieurs auteurs palestiniens et internationaux que nous nous passions en catimini. Si un soldat israélien attrapait l’un de nous avec un de ces textes, c’était le plus probablement la prison.

Pendant ces années, j’ai alimenté ma ferveur révolutionnaire avec des chants patriotiques. J’avais particulièrement besoin des compositions de Marcel Khalife et de Ahmad Qaabour, ainsi que de la voix de Muthaffar al-Nuwwab récitant ses propres poèmes. Des cassettes de musique patriotique, tout comme les paroles imprimées, étaient également illégales aux yeux des Israéliens. Nous enregistrions ces textes sur des chansons d’amour étrangères pour le cas où un soldat les vérifierait. C’est par le biais de ces chansons et de ces poèmes interdits que j’ai appris la signification de la lutte pour la liberté, le sens de la solidarité internationale et comment la victoire d’un seul peut être une victoire pour tous.

Malgré la dureté et la difficulté de cette époque, elle me manque. Aujourd’hui, après 20 ans d’isolement en prison, je dis « si seulement je pouvais revivre cette époque ! ».

Je suis allé en prison la première fois en 1982, à l’âge de 16 ans. En prison, j’ai trouvé ce à quoi je ne m’attendais pas : j’ai trouvé en prison ce que je ne pouvais pas trouver à l’extérieur. En prison j’ai découvert une université palestinienne politique, nationale, révolutionnaire. C’est en prison que je me suis rendu compte que la connaissance prépare la voie vers la victoire et la liberté.

En prison, au prix d’une lutte longue et ardue, le mouvement des prisonniers a pu obtenir et maintenir son droit à une bibliothèque. Les membres du mouvement des prisonniers ont trouvé des moyens ingénieux pour introduire des livres en fraude dans les prisons israéliennes, par des méthodes que les gardiens de prison n’ont jamais pu découvrir.

Le mouvement a systématiquement organisé des ateliers, des conférences et des cours en prison afin d’éduquer les prisonniers à toutes les matières imaginables. Chaque jour, le prisonnier faisant office de « bibliothécaire » passait dans les différentes cellules et sections pour l’échange de livres. Le bibliothécaire avait un registre de la bibliothèque où étaient enregistrés les livres disponibles et la liste des demandes des prisonniers.

A ce sujet, cela me rappelle un des moments les plus mémorables du mouvement des bibliothèques en prison. Nous avions découvert que le mouvement avait réussi à introduire en fraude Men in the Sun de Ghassan Kanafani dans la vieille prison de Naplouse. Nous nous sommes tous précipités pour inscrire nos noms sur la liste de ceux qui voulaient lire ce livre et nous l’avons attendu pendant des semaines ! Plusieurs fois, nous avons copié des livres aussi recherchés que celui-là. Bien entendu les copies se faisaient à la main, avec encre et papier et je me souviens avoir transcrit cinq fois The Palestinian National Movement de Naji Aloush. Je me souviens comment nous nous précipitions tous sur les livres de Gabriel Garcia Marquez et Jorge Amado, Tolstoï et Dostoïevski, Hanna Mina, Nazim Hikmet, et beaucoup, beaucoup d’autres.

La volonté et la persévérance des prisonniers ont transformé la prison en une école, une véritable université offrant une formation en littérature, en langues, en politique, en philosophie, en histoire etc. Les diplômés de cette université excellaient dans plusieurs domaines. Je me souviens encore de ce que disait Bader al-Qawasmah, un de mes compatriotes que j’ai rencontré dans la vieille prison de Naplouse en 1984 ; il me disait « avant la prison, j’étais un portefaix qui ne savait ni lire ni écrire. Maintenant, après 14 ans en prison, j’écris en arabe, j’enseigne l’hébreu et je traduis de l’anglais ». Je me souviens de ce que disait Saleh Abu Tayi (réfugié palestinien en Syrie qui a été prisonnier politique dans les prisons israéliennes pendant 17 ans avant d’être libéré lors d’un échange de prisonniers en 1985) qui m’a raconté des histoires d’aventures passionnantes de prisonniers passant en fraude des livres, du papier et même des cartouches de stylos.

Les prisonniers transmettaient ce qu’ils savaient et ce qu’ils avaient appris de façon organisée et systématique. Bref, apprendre et transmettre les connaissances et faire comprendre ce qui concernait la Palestine et les sujets en général était considéré comme un devoir patriotique nécessaire pour assurer notre fermeté et notre persévérance dans la lutte pour nos droits contre le sionisme et le colonialisme. Il n’y a pas de doute que le mouvement des prisonniers politiques palestiniens a joué un rôle de pointe dans le développement de l’éducation nationale palestinienne.

* Khaled al-Azraq est un réfugié qui a vécu dans le camp de Aida (Bethléem) avant d’être capturé et emprisonné par Israël. Il est prisonnier politique depuis 20 ans dans la prison de Nafha (Hadarim) dans le sud de la Palestine.

Cet article, initialement publié à l’automne de 2009 dans al-Majdal, bulletin trimestriel du Centre Badil (Badil Resource Center for Palestinian Residency and Refugee Rights) a été reproduit ici avec l’autorisation de ce Centre.

Cet article peut être consulté ici :
http://www.badil.org/en/al-majdal/i...
Traduction : Anne-Marie Goossens


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