16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

Un musée à Gaza : les enfants prennent les amphores pour des bombes

samedi 12 septembre 2009 - 06h:58

Ulrike Putz - Spiegel Online

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


Que se passe-t-il quand des enfants vivant dans la pauvreté visitent un musée ? A Gaza, un collectionneur a fait une triste découverte : les amphores deviennent des bombes, les vases, des missiles. Il n’en est que plus important, pour ce tout premier musée dans la région, de poursuivre le travail.

JPEG - 25 ko
Remarquables poteries et lampes à huile, conservées dans le musée.

Des déesses antiques de la fécondité aux seins nus opulents, des chapiteaux de forteresses des Croisés ornés de croix sculptées, des sceaux avec des inscriptions perses : les pièces exposées dans l’unique musée de la bande de Gaza racontent la longue histoire de cette étroite région côtière dont le nom, ces dernières décennies, est devenu synonyme de chaos et de violence.

Les trésors que l’entrepreneur de travaux et collectionneur Jawadat Khoudary a rendus accessibles au public depuis un an constituent un témoignage de la riche diversité culturelle qui a caractérisé la côte du Levant pendant des millénaires. Et c’est précisément ce qui pourrait devenir problématique pour le gérant de ce musée privé.

Khoudary devient très silencieux quand on lui parle du Hamas qui contrôle la bande de Gaza et de sa doctrine islamique. « Pas de commentaire » dit-il à propos des rumeurs selon lesquelles ils voient d’un mauvais ?il les trésors de l’ère pré-islamique. Plusieurs notables auraient visité l’exposition et examiné les objets païens et chrétiens, dit Khoudary. « Il n’y a pas eu de plaintes, pas encore ».

Si le Hamas, qui n’est certainement pas un défenseur de l’hétérogénéité culturelle, autorise les activités du riche entrepreneur, cela a ses raisons : avec son grand restaurant-jardin, l’institution, simplement appelée « Mathaf » (« musée » en arabe), a non seulement apporté un certain lustre dans le nord misérable de la bande de Gaza. Elle est aussi une arme dans la guerre de propagande entre les Palestiniens et Israël, qui tous deux revendiquent cette terre. Sous l’égide de Khoudary, les Palestiniens peuvent se prévaloir de leur très longue histoire sur la côte du Levant, essayant de battre les Israéliens avec leurs propres moyens.

Des ruines au fond de la mer

En Israël il appartient à la doctrine d’Etat d’extrapoler le droit à l’existence du peuple juif en Palestine historique de l’occupation juive millénaire de la région. Quand les fouilles ne suffisent plus, le bricolage historique y pourvoit, comme le dénoncent sans relâche de grands archéologues israéliens. Dans le cas de la « Cité de David » à Jérusalem par exemple, des ruines de palais découvertes dans le quartier arabe de Silwan et difficiles à assigner avec précision, ont été tout simplement attribuées au roi biblique David.

Entre temps, un parc à thème a été créé autour des ruines, et les guides touristiques expliquent aux honorables visiteurs juifs que les fouilles justifient la revendication sur cette partie de la ville (->voir article d’info-palestine->/spip.php ?article6251]). Depuis 1991 des colons israéliens profitent de cet amalgame pour progresser dans la partie arabe de la ville, ce qui entraîne des conflits durables avec les autochtones.

Les antiquités et les musées en Israël sont en majorité du ressort de l’Etat, lequel revendique aussi pour son propre compte le niveau d’interprétation des différentes découvertes et fait valoir la diffusion de sa propre version de l’histoire ancienne du Proche-Orient. Le musée Khoudary à Gaza est la tentative d’une personne privée de contrecarrer au moins quelque peu la lecture israélienne de l’histoire.

Des preuves d’existence artistiques

« Les pièces de ma collection sont la preuve de notre existence » dit Khoudary. Les Palestiniens auraient de profondes racines dans la région, ils seraient établis à Gaza et en Palestine depuis des millénaires. « Mon peuple n’a pas émigré ici de Russie ou de Pologne après la Seconde Guerre Mondiale ».

C’est par hasard que Khoudary est venu à l’archéologie, il y a 22 ans. Sur l’un de ses chantiers, lors de travaux d’excavation, des ouvriers trouvèrent une amulette de verre avec une inscription paléo-islamique qu’ils apportèrent à leur chef. Celui-ci fit faire un pendentif avec la trouvaille ancienne et il encouragea ses employés à être vigilants par rapport à d’autres objets. En deux décennies ils trouvèrent des vestiges de tous les peuples qui ont fait de Gaza, au cours des 5.000 dernières années, une des places de commerce les plus importantes de la Méditerranée orientale.

« Si nous pouvions fouiller selon la méthode scientifique, nous trouverions de vrais trésors à Gaza » dit Khoudary. On sait qu’il paie pour des « choses anciennes », c’est pourquoi des pêcheurs, des paysans et même des ouvriers du bâtiment viennent le voir avec leurs trouvailles et leurs observations. « Les pêcheurs disent que par mer calme ils voient au fond de la mer des ruines et des colonnes » nous dit cet homme de 49 ans. Il est convaincu que devant la côte de Gaza des découvertes attendent, qui éclipseront les trésors égyptiens d’Alexandrie

Des artefacts romains bazardés au mètre

Khoudary pourrait être dans le vrai. Dans son histoire de la bande de Gaza « Gaza à la croisée des civilisations », l’expert britannique du Proche-Orient Gerald Butt écrit combien il est « surprenant qu’il ait pu arriver que Gaza ne s’est pas vu attribuer une place significative dans l’historiographie ». Car Gaza est l’un des endroits du monde qui ont connu une occupation ininterrompue des plus anciennes ; d’abord un village, puis une ville créée au carrefour stratégiquement important de plusieurs routes commerciales.

En effet, on mentionne une ville nommée Gaza dès le 15ème siècle avant JC. Dans l’Antiquité le commerce prospérait entre Gaza et les principales villes de Méditerranée. Dans le port, on expédiait par bateau le vin renommé de Gaza, des légumes, du poisson séché et des minéraux de la Mer Morte. Depuis environ 1500 ans avant JC les Philistins, dont les Palestiniens se considèrent comme les descendants, régnaient temporairement sur le territoire de l’actuelle bande de Gaza. Dans les siècles suivants le pouvoir a changé de main, Gaza étant le théâtre de batailles historiques.

Comme toutes les villes qui ont connu des millénaires de combats, Gaza a inévitablement perdu une partie de ses trésors archéologiques, écrit Butt. Les derniers à s’être servis dans les antiquités de Gaza seraient les Israéliens. « Le musée d’Israël à Jérusalem par exemple possède une excellente collection de pièces antiques ».

Les plus beaux artefacts disparaissent sur le marché noir, explique Khoudary, qui n’est qu’un archéologue amateur mais dont la collection de 3.000 pièces est cependant si importante qu’elle a déjà été exposée en Suisse et le sera l’an prochain en Allemagne. « A Gaza on bazarde des colonnes romaines au mètre » dit Khoudary. Le mètre vaut de 100 à 150 dollars. « Les gens sont sans travail, ils ont beaucoup d’enfants à nourrir. L’argent leur importe plus que la culture ».

Des colonnes de la Croix-Rouge

Les Khoudary se voient comme des philanthropes qui veulent aussi permettre à des gens pauvres le plaisir des arts. La fille Jasmine, 19 ans, qui étudie les sciences politiques à l’Université Américaine du Caire a consacré ses vacances semestrielles à guider quelque 5.000 enfants des plus pauvres familles de Gaza à travers la grande salle du musée.

Comme toujours, Jasmine Khoudary est choquée par la pauvreté de ces familles. « Nous avions ici des enfants de six ans, quand nous leur avons servi des hamburgers, ils ont prétendu avoir déjà mangé ». Ils voulaient emporter la nourriture à la maison et la partager avec leurs frères et soeurs. « La bande de Gaza n’a que 12 km de large au maximum, et certains enfants n’ont encore jamais vu la mer ». dit l’étudiante.

Mais ce qui l’a le plus impressionnée, c’est combien le quotidien des enfants marque leur regard sur les pièces exposées. « Devant les amphores, ils disaient qu’elles ressemblaient aux bombes et aux roquettes ». Pour expliquer aux jeunes hôtes du musée que dans le passé des gens de différentes cultures vivaient ensemble à Gaza, elle a montré aux enfants des colonnes de forteresses croisées. « La vue des croix sculptées ne leur a aucunement évoqué le christianisme, dit Jasmine Khoudary, les enfants pensaient que c’étaient des colonnes de la Croix-Rouge ».

6 septembre 2009 - Spiegel Online - Vous pouvez consulter cet article ici :
http://www.spiegel.de/kultur/gesell...
Traduction de l’allemand : Marie Meert


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.