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Transformer l’Afghanistan

jeudi 27 août 2009 - 07h:42

Gamal Nkrumah

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Gamal Nkrumah analyse la place de l’Afghanistan dans l’arène politique mondiale alors que le pays tient des élections présidentielles en plein scandale international sur le fiasco de l’Otan dans ce pays déchiré par la guerre.

Le peuple pashtun, toujours avec une fierté quelque peu suffisante et ses traditions religieuses conservatrices, montre une véritable diversité, avec la métamorphose de la clique au pouvoir, au sein d’un mouvement populaire qui profite d’une vague de soutien de la part des paysans et des pauvres des villes. Quoi qu’il en soit, si un décideur politique occidental croit que la nation productrice d’opium va finalement se comporter en lieutenant au service des intérêts des Etats-Unis et de leurs alliés occidentaux en Asie centrale, c’est que ce décideur politique a dû fumer quelque chose à base d’herbes.

A défaut de la moindre catharsis à l’horizon, il est de plus en plus évident que la route tourmentée de l’Afghanistan vers la démocratisation le mène à la poubelle de l’histoire, sauf à être rapidement rectifiée par un Islam politique du style Taliban. Les politiciens occidentaux hésitent dangereusement entre débiter des informations fallacieuses sur l’Afghanistan et les Talibans, et exprimer une naïve ignorance. Leur tendance à interpréter faussement les réalités sur le terrain en Afghanistan est déconcertante. Les dirigeants des Talibans, eux aussi, devraient réfléchir vers où la violence qu’ils instrumentent entraîne leur peuple.

Les chefs talibans croient en l’efficacité de la violence révolutionnaire militante du style islamique. Le défi auquel ils sont confrontés aujourd’hui, c’est que ce n’est pas de la force dont ils ont besoin pour se développer, mais de la force morale de leur foi. L’Islam politique fait des adeptes non seulement en Afghanistan mais aussi dans tout le monde musulman. Les Talibans ont menacé de faire sauter les bureaux de vote pendant les élections présidentielles, prétendant que les votants étaient des « infidèles ».

Le président afghan en exercice, Hamid Karzai, lui-même Pashtun, n’inspire pas le respect à la majorité de son peuple. Et pourtant, selon toute vraisemblance, il sera le vainqueur des élections présidentielles. Il préside une démocratie malade et peu brillante, criblée de contradictions fondamentales. Les USA se prennent pour Dieu et Karzai est largement considéré comme le laquais de Washington, une position qui lui vaut les critiques de ses concitoyennes et concitoyens.

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A chaque fois que Karzai rate une occasion, les Talibans marquent un point.
(Photo : Claire Billet)

Pire, Karzai apparaît comme cédant et acceptant les aspects les moins efficients de l’idéologie islamiste militante. Non seulement il n’a rien à dire pour son léchage de bottes de ses maîtres et bienfaiteurs de Washington, mais il flirte aussi régulièrement avec les Talibans. Un récent faux pas a attiré l’attention internationale quand Karzai a approuvé un projet de loi permettant aux époux de ne pas nourrir leurs épouses si elles refusaient des relations sexuelles, une loi dont les critiques affirment qu’elle légalisait le « viol marital ». La loi s’appliquait seulement aux minorités musulmanes chiites d’Afghanistan qui constituent 15% de la population du pays. Mais toute femme afghane était tenue de par la loi de demander la permission à son époux pour rechercher un emploi. Voilà le genre de pratiques qui scandalisent ceux à l’étranger qui veulent organiser la démocratie en Afghanistan. « A l’évidence, ils tiennent les élections dans des circonstances défavorables, » a prévenu le secrétaire d’Etat US, Robert Gates.

En effet, à chaque fois que Karzai rate une occasion de se mettre en avant, les Talibans marquent un point et prospèrent. Karzai n’est pas en position de faire des sermons. Les Talibans propagent leur orientation idéologique militante. Mais ce qu’il faut faire en priorité, c’est mettre fin au désordre provoqué par les forces occupantes de l’OTAN. La guerre en Afghanistan n’est pas seulement une tragédie pour l’Afghanistan mais pour tout le monde musulman.

Karzai n’est pas le premier dirigeant afghan à être en état de disgrâce. Mais même lorsqu’il a voulu renégocier une démocratisation et une réforme politique à l’Afghane, ce qui était peu vraisemblable étant donné tout son passif par ailleurs, même alors une telle démarche aurait été vaine s’il n’impliquait pas la masse de son peuple, les Pashtun. Ce qui aurait été un vote présidentiel historique, évitant à l’establishment politique post-taliban de s’enfoncer davantage dans la corruption et le manque de pertinence nationale, a été largement tronqué par les déclarations hors propos et les débats. Et une telle confusion a été alimentée avec, comme toile de fond, des accusations largement répandues d’achats d’électeurs et de fraude électorale.

Les démocraties à dominante musulmane, là où elles existent, sont trop fragiles pour être traînées dans la boue comme cela. Les pays à majorité musulmane comme l’Indonésie ou le Bangladesh sont aux prises avec les dynamiques même d’une démocratie pluripartite du style occidental. La démocratie naissante au Pakistan voisin est pour le moins boiteuse, et c’est un euphémisme. Pourtant, en Afghanistan, personne, à l’intérieur ou à l’extérieur du pays, ne croit sincèrement que le pays est prêt pour une démocratie complète à la mode occidentale. La triste vérité est que l’Afghanistan a un long chemin à faire avant qu’une démocratie ne puisse y être consacrée institutionnellement. D’abord et avant tout, il faut travailler à une solution négociée avec les Talibans. Peu d’Afghans sont attirés par la démocratie, d’autant qu’elle a exacerbé les tensions sociales et créé des écarts de revenus inacceptables dans l’une des nations les plus pauvres et les moins développées du monde.

Le drame de l’Afghanistan ne va pas s’estomper avec les élections présidentielles de jeudi. La plupart des Afghans se rendent compte que la présidence de Karzai n’a pas été irréprochable. Assurément, beaucoup d’Afghans ne supportent pas qu’il leur ait été imposé par l’Occident. Karzai a été choisi par Washington pour faire avancer la cause de la démocratie. Le risque en Afghanistan où islamistes militants et islamistes modérés ont été à couteaux tirés pendant des années est que le pays se retrouve avec des lois et un cadre institutionnel sexistes et moins démocratiques, et avec des législateurs misogynes en charge du pays, fixant le rythme et l’orientation des changements.

Les Afghans doivent se faire à l’idée de la nécessité d’un compromis. Karzai a promis d’inviter les dirigeants talibans à un grand conseil tribal, la loya jirga, s’il était réélu. Les Talibans ont intensifié leurs tirs de grenades autopropulsées sur les bâtiments du gouvernement et sur les troupes de l’OTAN. La seconde vérité de base est que réformer le système politique afghan oblige à en changer. Des signes montrent que certains éléments de la direction afghane résistent farouchement à cette idée.

S’en prendre aux Patchoun pour les pressions subies des Talibans est une réaction prévisible. Le Pentagone américain a publié cette semaine une liste de 367 tués ou capturés, des dirigeants tribaux - la plupart Pashtun - impliqués à la fois dans le trafic de stupéfiants et l’insurrection des Talibans. Il est vrai que beaucoup de dirigeants pashtun veulent être bien vus des Talibans.

Avec un tel système, la démocratie locale reste un rêve lointain. L’invasion de l’Afghanistan a été entérinée par les Nations unies, elle a été menée par les Etats-Unis et l’OTAN, les Nations unies n’étant qu’un simple observateur passif. C’est dans ce contexte que la controverse en Grande-Bretagne sur la présence militaire britannique en Afghanistan a soulevé un tollé. La vive sévère de la guerre conduite par le gouvernement du Premier ministre britannique, Gordon Brown, en Afghanistan a atteint son paroxysme.

« Nous devons continuer la lutte » insistait le Premier ministre Brown. Et d’expliquer que l’engagement britannique dans la guerre en Afghanistan était incontournable dans la lutte contre le terrorisme international, arguant que les trois quarts des actes terroristes en Grande-Bretagne venaient d’Afghanistan et de son voisin le Pakistan. « C’est pour la sécurité de la Grande-Bretagne et du reste du monde que nous devons absolument honorer notre engagement à maintenir un Afghanistan libre et stable, » a défendu Brown, quoiqu’un peu mollement.

Néanmoins, Brown a réitéré son appel à l’Europe pour que « l’Europe partage le fardeau » de la lutte contre le terrorisme en Afghanistan.

Mais alors, pourquoi l’Afghanistan est-il si capital pour la Grande-Bretagne, l’Europe et le monde ? Contrairement à l’Iraq, l’Afghanistan n’a pas de réserves de pétrole importantes. Oui, mais le pays a une situation stratégique, au carrefour de l’Asie centrale, du Moyen-Orient et de l’Asie du Sud.

« Nous aurons besoin de plus de police et par conséquent d’un programme de formation de la police, » a extrapolé Brown. Son intention était sans doute de permettre au gouvernement afghan et à ses forces de police de mieux faire face au défi posé par l’islam politique militant dans le pays.

On estime à 95 le nombre de soldats blessés dans une action en juillet, mois qui fut le plus sanglant jusqu’à aujourd’hui de l’invasion et de l’occupation de l’Afghanistan par les troupes de l’OTAN en 2001. Le nombre de soldats tués a augmenté de façon spectaculaire, passant de 4 en juin de cette année à 22 en juillet. A ce jour, la guerre en Afghanistan a coûté la vie à 201 soldats britanniques, depuis le début en 2001. La remontée des Talibans fait ses marques. A ce rythme, le Président des Etats-Unis, Barack Obama, va inévitablement rencontrer les mêmes critiques chez lui. Après tout, en mettant ses pas dans ceux de l’ex-Président Bush, il a inscrit l’Afghanistan en tête de l’ordre du jour mondial.

Du même auteur :

- Un bon indien est un indien mort
- Les empreintes de l’histoire (avec M. El-Sayed et R. Fisk)

Al-Ahram/Weekly publication n° 961, 20 au 26 août 2009 - traduction : JPP


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