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Un retour à Gaza pour 24 heures

vendredi 7 août 2009 - 06h:47

Dr Mona El Farra

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Mais je veux que le monde se souvienne de ce qui a été fait ici à Gaza, et que nous tous qui sommes en train de recoller les morceaux de toutes nos forces, nous ne puissions pas oublier.

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Comment vous transmettre ce que j’ai vu sur ces petits visages ?
(Photo MECA)




Sitôt arrivée chez moi, j’ai ressenti comme un immense soulagement, si c’est le mot juste. Je n’avais pu revenir à Gaza depuis avant les 23 jours de bombardements de Gaza, au début de cette année, à cause de l’état de siège permanent. Je ne suis pas sûre que le mot soulagement résume mes émotions intenses et contradictoires. Des sentiments qui mêlent soulagement, bonheur, mais aussi perte de repère, ont continué à me submerger. Gaza, ma belle maison, oui, ma superbe maison, mon merveilleux peuple qui a tant de mal à vivre. Mais qui continue, jour après jour. Malgré l’isolement, les privations, la surdité du monde.

Le jour même de mon arrivée chez moi, le 9 juillet dernier, j’ai vu de mon balcon les décombres de ce qui fut autrefois le quartier général d’Arafat. Tout le bâtiment avait été détruit, rasé au niveau du sol, emportant avec lui les fenêtres de tout un côté de mon immeuble. C’est à cet endroit que l’un de mes cousins a été tué, le premier jour de l’agression de décembre/janvier derniers contre Gaza.

Je vois aujourd’hui une autre Gaza, ce n’est pas la Gaza que j’ai connue ; elle ressemble à une ville après un tremblement de terre.

De nombreux bâtiments historiquement importants ont été rasés. Je décidai de reporter mes visites dans les différents secteurs où les assauts avaient été les plus violents et les plus sauvages. Je pensai que ce serait une bonne idée d’attendre l’arrivée de la délégation de citoyens états-uniens qui avait dû passer la frontière.

En attendant, je rencontrai des amis chers et des confrères venus me dire bonjour. Tous étaient remplis de récits de guerre et de la panique qu’ils avaient connue durant les attaques sur Gaza. Un ami, ancien prisonnier politique - il a passé 15 ans dans les prisons israéliennes - m’a dit, «  Je n’ai jamais connu la peur comme cette fois-ci  ». Je trouve cette phrase étrange, même à l’écrire, car bien que nous, Palestiniens, soyons déterminés à continuer notre lutte, la réalité est que cet assaut contre Gaza fut sévère et féroce et qu’il ne peut s’oublier : nous ressentirons ses conséquences en tant que peuple pendant un long moment.

Nos amis des Etats-Unis n’ont obtenu qu’un visa de 24 heures pour Gaza. En les attendant, je réfléchissais, « Comme pourrons-nous condenser, ou commencer à comprendre ce que les enfants, les femmes et les hommes ont vécu pendant ces 23 jours d’agressions, en une visite de 24 h ? »
Quand la délégation Viva Palestina USA est arrivée, je me trouvais à la frontière pour recevoir la délégation de quelques collègues du PNGO (Réseau des organisations non gouvernementales palestiniennes). Ce fut un moment touchant et tendre pour moi de voir ces militants américains, britanniques et français, d’origines et d’âges différents, réunis dans un même objectif : clamer à la face du monde, « Gaza, tu n’es pas seule, tu n’es pas oubliée, malgré les positions honteuses des gouvernements du monde, nous sommes avec toi, peuple de Gaza ! »

Nous avons dû nous mettre tout de suite au travail, et nous avions la chance d’avoir une équipe solide de collègues. J’étais accompagnée de Barbara Lubin, directrice de l’Alliance des enfants du Moyen-Orient (MECA), Reem Salhi, avocate militante et conseillère pour les droits de l’homme, Danny Muller, un ami de MECA, Ehab Musalam, formateur et bénévole de MECA à Gaza, Travis Wilkerson, cinéaste et professeur, Jaiel Kayeed, informaticien et américain palestinien, Talal Abu Shaweesh, directeur de News Horizons, et Mohammed Magdalawi, étudiant gazaoui et bénévole de MECA.

Dans le camp de réfugiés de Nussierat, nous avons été invités par News Horizons pour voir les activités de leur projet, présenté sommairement ainsi, Laissez-les jouer et guérir, un programme qui traite les traumatismes de l’enfance et qui est parrainé par l’Alliance des enfants du Moyen-Orient. Nous avons eu la chance de voir des centaines de petits visages heureux d’enfants, chantant et interprétant la dabkeh - danse palestinienne -, ce qui est l’une des nombreuses activités pour aider les enfants à récupérer après les traumatismes de la guerre. Il y avait environ 500 gamins, de 6 à 12 ans, des garçons et des filles, avec leurs mères, car le projet vise autant les mamans que leurs enfants.

Puis nous avons visité l’école Albureeg, où MECA a réalisé la purification de l’eau et le système de dessalement pour fournir de l’eau potable pour les élèves. C’est l’un des trois projets de traitement de l’eau que MECA a récemment réalisés dans les camps de réfugiés, et nous voulons en monter encore beaucoup d’autres avec l’aide de nos amis et alliés. Nous sommes partis ensuite vers le nord et alors que nous roulions, nous avons vu clairement toutes ces maisons démolies, partout, et ces villages de tentes autour des maisons où les familles vivent aujourd’hui.

Nous ne pouvions pas ne pas aller dans le secteur de Zaytoun, là où des évènements tragiques se sont déroulés durant la guerre, à la maison de la famille Samouni. Notre fourgonnette a traversé, quartier après quartier, toutes ces vastes zones de destructions. Comment vous transmettre ce que j’ai vu sur ces petits visages, dans ces yeux où se mêlent tristesse et espoir, et excitation ? En plus de cela, certains des gamins avaient des bras et des jambes brisés, ou amputés, des cicatrices post-opératoires, ils vivent dans les ruines de ce qui fut leur maison et avec leur petite voix, ils essayaient de nous raconter leur histoire.

J’ai écouté leur histoire. J’ai alors arrêté d’écrire sur nos autres activités le temps qui nous restait à passer ici, de mon retour à la maison. A ce moment-là, j’ai senti, et je sens encore, «  Je ne veux pas entendre ni écouter, je veux juste câliner ces enfants et les aider à oublier. »

Mais je veux que le monde se souvienne de ce qui a été fait ici à Gaza, et que nous tous qui sommes en train de recoller les morceaux de toutes nos forces, nous ne puissions pas oublier.


Mona El-Ferra est doctoresse palestinienne et militante des droits humains et des droits des femmes. Elle est née à Khan Younis, dans la bande de Gaza, et consacre sa vie à l’amélioration de la situation des femmes, des enfants et des familles dans Gaza. Directrice des projets MECA pour Gaza, elle supervise la distribution de nourriture et d’aide médicale et le soutien aux programmes éducatifs et récréatifs pour les enfants. Elle est aussi membre du conseil d’administration de la société du Croissant-Rouge palestinien de la bande de Gaza et de l’Union des comités des travailleurs de la santé. Le Dr El-Farra est aussi maman d’un garçon et de deux filles.

Du même auteur :

- Palestine : "Je ne peux pas traverser la frontière de Rafah"

Gaza, le 24 juillet 2009 - Palestine Chronicle - traduction : JPP


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