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Israël : mythes et légendes à l’épreuve de la vérité historique

vendredi 17 juillet 2009 - 10h:33

BabelMed

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Dans les couloirs de l’université de Tel Aviv, où il enseigne depuis de longues années l’histoire contemporaine, certains de ses collègues et amis ne le saluent plus, tandis qu’en France le livre a subi un véritable boycott (1).

Pourtant cet essai volumineux a déjà commencé son tour du monde. Il est aujourd’hui traduit dans une dizaine de langues, dont l’arabe, après avoir régné, plusieurs mois d’affilé, en tête du top ten des livres les plus vendus en Israël.

Présent à la première rencontre de l’ULM (université Libre de la Méditerranée) à Casablanca où il a donné une conférence devant un parterre d’universitaires venus de 16 pays du pourtour de la Méditerranée, Shlomo Sand s’est également prêté à l’interview collective d’une vingtaine d’étudiants avant de se laisser happer par la multitude de rendez-vous qui lui avaient été concoctés avec le public et la presse marocaine.

Le personnage est médiatique. Regard rieur, gesticulations accompagnant des floppées de mots, goût prononcé pour la provocation, ce juif d’origine autrichienne, débarqué bébé à Jaffa en 1948, n’hésite pas à déclamer haut et fort son antisionisme et à dénoncer le racisme anti arabe qui existe dans son pays.

Mais pourquoi son dernier livre a-t-il choqué à ce point ? "J’ai voulu decomposer l’historiographie de mon pays en m’attaquant aux grands mythes d’Israël", explique Shlomo Sand. "J’ai pris l’histoire nationale telle qu’elle nous est proposée et j’ai tenté de démontrer qu’il s’agissait de légendes et de mythes, qu’il ne fallait pas confondre la bible avec un livre d’histoire, qu’il était grand temps de la remettre au rayon théologie."

Pour l’historien israélien, le peuple juif n’existe pas, c’est une invention qui remonte à 150 ans et qui participe à la fabrication d’un passé imaginaire dont le but est de consolider le sentiment national en Israël. "Tous mes étudiants sont persuadés d’être des descendants du royaume de David, que les juifs auraient été, il y a deux mille ans, contraints de s’exiler, et bien l’exode, ce fondement même de l’identité juive, n’a jamais existé. C’est pourquoi on ne trouve aucun livre de recherche scientifique s’attaquant au sujet. En fait, l’écart entre l’historiographie professionnelle et l’imaginaire collectif est immense".

La diaspora juive, que l’on relie de manière erronée à cet exode, trouve, selon l’universitaire, son explication ailleurs. Ainsi, le judaïsme qui fut une religion très prosélytiste aurait produit de nombreuses conversions qui se seraient à leur tour répandues un peu partout dans le monde.

En démontant les uns après les autres les grands mythes de “l’Etat ébreu”, Shlomo Sand remet en cause la notion la légitimité politique d’un Etat Ebreu. "Le peuple juif n’existe pas, répète-t-il, "comment pourrait exister un peuple qui n’avait pas de langue, pas de culture commune, si ce n’est une religion. Or la religion ne suffit pas. Parle-t-on par exemple de peuple chrétien ? Non."

Si l’antisionisme de l’historien est accueilli favorablement par son auditoire arabe, ce dernier ne mâche toutefois pas ses mots sur la douloureuse question du droit au retour de quelques 6 millions de Palestiniens sur leur terre. "Israël ne peut être la patrie de tous les juifs du monde, elle ne peut se déclarer juive et démocrate en même temps, c’est antinomique, car en imposant une dimension juive à l’Etat d’Israël, on finit par exclure 1,4 million d’Arabes israéliens. Ceci étant dit, l’Etat d’Israël est difficilement capable d’accueillir le retour de 6 millions de Palestiniens."

"Je suis attaché à cette terre que nous avons volée mais qui n’en demeure pas moins ma patrie. Je suis très pessimiste sur l’avenir de la region, mais s’il y a une solution, elle commence par cesser de tout confondre. C’est pourquoi j’affirme qu’il n’y a pas d’Etat juif. Seul l’Etat d’Israël existe, il faut le “désioniser” en attendant la création de deux Etats."

En Israël, Shlomo Sand n’est pas le seul intellectuel à avoir malmener les mythes sionistes. D’autres historiens comme Idith Zertal (2), Benny Morris, Ilan Pappé, ou encore Tom Segev, ont sérieusement désacralisé l’histoire officielle de leur pays. Leurs travaux portent essentiellement sur l’utilisation de la shoah dans la construction de l’Etat d’Israël, ou sur la “Naqbah” (catastrophe en arabe), c’est à dire l’expulsion massive des Palestiniens de leurs villages par les milices sionistes.

Shlomo Sand a raison d’être pessimiste. A Tel Aviv, la ville dont il se plait à louer les mérites d’ouverture, les vieux panneaux routiers sont au fur et à mesure remplacés par une nouvelle ségnalitique désormais dépouillée de la langue arabe. Mais c’est pourtant à Tel Aviv que des intellectuels comme Schlomo Sand permettent encore de nourrir quelques lueurs d’espoirs pour la paix au Moyen Orient.

(Propos recueillis par les étudiants de l’ULM, Casablanca juillet 2009)


(1) Comment le peuple juif fut inventé, Fayard, 2008.
En France, le livre a subi une sorte de censure jusqu’aux massacres de Gaza, lorsqu’indignés, journalistes et éditeurs ont tenté de mieux cerner une question qui leur avait échappé, il a été alors largement médiatisé.

(2) La nation et la mort : La Shoah dans le discours et la politique d’Israël, Paris, Éditions La Découverte, 2008.

Sur le même sujet :

- Shlomo Sand : Comment le peuple juif fut inventé de Michel Staszewski
- "Nous errons", qu’ils disaient... Qui ça, "nous" ? de Gilad Atzmon
- Comment fut inventé le peuple juif de Shlomo Sand (Le Monde diplomatique)

De Shlomo Sand :

- Les mots et la terre. Les intellectuels en Israël

17 juillet 2009 - BabelMed


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