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Une vie en ruines

jeudi 9 juillet 2009 - 07h:06

Peter Beaumont - The Guardian

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Au lendemain des trois semaines de la sanglante guerre israélienne contre le Hamas en janvier, Peter Beaumont a séjourné à Gaza pour rencontrer les Palestiniens ravagés par la mort de leurs familles et la destruction de leur voisinage.

Six mois plus tard, il les retrouve toujours dans l’attente de pouvoir reconstruire à la fois leurs maisons et leurs vies.

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Shifa Salman dans les ruines de sa maison familiale, détruite par l’incursion israélienne dans la Bande de Gaza en janvier 2009. Photographe : Antonio Olmos

La puissance de l’explosion qui a détruit la maison de Shifa Salman dans le nord de Gaza, district de Jabal al-Rayas, a plié étage sur étage comme une simple pâtisserie. Elle a poussé les piliers à travers le béton, reconfigurant la maison en dôme hérissé. L’aileron d’une des bombes israéliennes responsables se trouve toujours au sommet des ruines, inoffensif comme un vieux jouet d’enfant. Ces jours-ci, pigeons et moineaux nichent dans l’espace en forme de grotte creusé par la détonation à l’intérieur des ruines, où sont stockés des matelas et des sacs de farine, ces derniers estampillés aux initiales du Programme Alimentaire Mondial. Des jeunes coqs lustrés, agressifs, patrouillent sur le terrain et se précipitent vers les intrus.

Six mois après la guerre d’Israël contre Gaza, Shifa, une étudiante de 20 ans, dort avec sa famille derrière la maison écroulée. A travers les décombres, un sentier de terre battue mène à une rangée de petits abris délabrés ouverts aux quatre vents et couverts de toiles à sac. Ils sont identiques aux enclos à bétail qui les jouxtent.

De plus près, je puis voir que les charpentes ont été construites à partir d’assemblages de sections de bois et de métal dépareillées. Les quelques cloisons existantes sont fabriquées à partir de vieilles palettes et de branches tressées en claies rudimentaires. Ou plus grossièrement, plantées dans le sol pour faire des brise-vent sommaires.

La famille de Shifa est bédouine. Jusqu’à récemment, ils exploitaient cette terre proche de la barrière, dans une zone naguère utilisée pour lancer des missiles contre les communautés juives de l’autre côté. C’était une des rares zones de Gaza destinées à la production agricole sur un territoire urbain très peuplé, abritant 1,4 million de personnes. A cause des missiles, ce voisinage de fermes et de petites manufactures a été traité par une politique de la terre brûlée.

A l’intérieur de la minuscule « enceinte » au sol sale de Shifa, un foyer a été creusé dans la terre et empli de brindilles. Par-dessus se trouve la casserole noircie dans laquelle Shifa et sa mère préparent des ragoûts de molokhiya [corète potagère] - des légumes ressemblant à des épinards - avec du poulet, de l’ail et des oignons. « Voilà ma cuisine », dit timidement Shifa, en anglais. Un panneau brisé est posé sur deux bidons pour servir de table. Dans un pot à confiture, il y a un pilon et un unique couteau bien aiguisé.

Je suis venu dans cette maison pour la première fois en janvier, juste après la guerre d’Israël contre Gaza, rendant visite à la famille de Shifa presque chaque jour. La famille dormait dans les ruines pour être à l’abri de la pluie, entourée des corps puants de leurs moutons tués pendant l’assaut. Shifa se plaignait que les enfants plus jeunes restent éveillés la nuit à cause du bruit des meutes de chiens fouillant les charognes à l’extérieur.

Shifa, une jeune femme jolie et menue aux sourcils foncés, marche le long d’une rue où les maisons en ruines du voisinage s’alignent de chaque côté, comme des tombes de pierres entassées dans un désert. Il est 7 heures du matin et elle va prendre le bus pour se rendre à l’université. Elle porte une abaya noire, le voile couvrant de la tête aux chevilles qui est l’uniforme de l’université, et une pile de livres. Livres et voile sont été offerts par la faculté après que la famille de Shifa eut perdu presque tout ce qu’elle possédait. « Il y avait une usine ici » dit Shifa en montrant une structure effondrée en métal peint. Je me souviens de la dernière fois où j’ai vu cette construction. Un troupeau de vaches abattues gisait dans le champ au-dehors.

« Ma vie était si bien quand nous avions une maison. Maintenant, c’est horrible ». Elle écrase subrepticement une larme. “Cette rue était toujours pleine de voitures” explique Shifa. “C’était facile d’aller à l’université. Maintenant je dois marcher une demie-heure avant d’avoir un bus. Il y avait des maisons ici, mais après l’attaque des F-16, tout le monde a fui. Après, les tanks ont attaqué. Seuls quelques-uns d’entre nous sont restés ».

Tellement peu, en fait, j’ai vite appris leurs noms. Il y a la famille de Khader, qui a construit un abri compliqué avec des murs de toile, au sommet des ruines d’une de leurs maisons, une structure qui, au fil des mois, s’est agrandie de nouvelles pièces. Un jour j’ai trouvé les hommes de la famille rampant dans un trou sombre au-dessous de la maison pour y retirer des tommettes de ce qui était naguère leur rez-de-chaussée, afin de les vendre pour de la nourriture, dérangeant un nid grouillant de souriceaux roses nouveaux-nés.

Il y a le propriétaire de la crèmerie, Mohammed al-Fayoun, dont le bétail a été tué. Il a réinstallé son commerce en bas du virage et a tordu des chevrons de son toit métallique, où il est assis chaque jour sur une chaise en plastique. Il se plaint que ses clients sont encore trop effrayés pour venir le voir si près de la frontière avec Israël.

Alors que pères et oncles travaillent la terre, Shifa représente la nouvelle génération - la première de sa famille à fréquenter l’université. Elle dit qu’elle veut devenir professeur de géographie et aujourd’hui elle passe un examen. « J’avais un téléviseur dans ma chambre » dit-elle en passant devant la maison de Nabil Nasser Hassan, naguère son voisin, dont la maison est à présent entourée d’une barrière de tôle ondulée pour dissuader les pillards à la recherche de tuyaux et de câblage à recycler. « Au début, les gens venaient nous donner des tissus et des couvertures. Mais pendant longtemps, personne n’est venu nous voir. Personne ne nous a parlé de reconstruire notre maison. J’ai peur de vivre là où nous vivons. Tout le monde a peur dans la famille, en particulier ma s ?ur Safa, quand elle entend les jets [israéliens] ».

La marche quotidienne de Shifa, à 7 heures du matin, pour rejoindre l’Université Islamique n’est pas la seule marque du changement dans sa vie. Avant la destruction par les bombes, les tanks et les bulldozers, dit Shifa, elle veillait après le coucher du soleil, lisant ses livres dans sa propre chambre décorée de posters d’animaux. Maintenant, quand la nuit tombe, elle doit cesser d’étudier. « Je passais des soirées entières à travailler. Je suis bonne » dit-elle avec confiance. “Mais maintenant je me bats. Et je sais que si je puis réussir, je pourrai donner une vie meilleure à ma famille”.

L’opération israélienne Plomb Durci a été lancée le 27 décembre 2008. Le 18 janvier, quand elle s’est terminée, avec les déclarations de cessez-le-feu unilatéraux d’Israël et du Hamas - qui gouverne Gaza - plus de 1.300 Palestiniens avaient été tués, beaucoup d’entre eux étant des civils. Ils avaient péri sous une pluie de bombes, de balles, de missiles et d’artillerie, y compris des munitions au phosphore blanc.

Alors qu’Israël soulignait que la guerre était destinée à faire cesser le lancement de missiles artisanaux à partir de la Bande de Gaza, ses cibles suggéraient des objectifs plus vastes, notamment le démantèlement d’institutions palestiniennes. Postes de police, ministères, écoles et hôpitaux ont été touchés. Des orangeraies et des tunnels en plastique pour la culture des fraises et des légumes ont été détruits. Et des milliers de maisons ont été endommagées.

A mon retour, j’écume Gaza en quête de preuves que les choses se sont améliorées pendant les mois après la guerre. Mais les maisons et autres constructions détruites pendant le conflit demeurent, comme des monuments évidés et poussiéreux à la violence. A certains endroits, des propriétaires ont essayé de réparer les constructions avec un adobe de boue et de paille cuit au soleil. Mais ce sont des solutions très provisoires.

Dans le bureau du Dr Ibrahim Radwan, chargé par le Hamas d’enregistrer les dégâts causés par les trois semaines de guerre, je note les chiffres qui décrivent ce qui est arrivé. Quelque 3.800 maisons et commerces gravement endommagés d’une manière ou d’une autre - même s’il admet que cela inclut des dommages datant de précédentes attaques israéliennes. En outre, 80 bâtiments gouvernementaux ont été touchés. Radwan a ses propres catégories pour décrire les degrés de destruction, mais après une semaine passée dans tout Gaza, les dommages sont conformes à ses propres catégories. Les grands murs métalliques des ateliers sur Salahadeen Road, où ont eu lieu les combats les plus violents, laissent filtrer la lumière par des centaines de perforations de balles, d’autres murs sont troués des éclats de missiles tirés depuis des drones, des pâtés d’immeubles touchés par le feu de l’artillerie montrent des trous noircis. Et dans tout le nord de la Bande de Gaza se dressent les bizarres igloos des maisons aplaties par les bombes.

Il y a eu des changements que je puis noter pendant les six mois de l’après-guerre. Les cadavres des animaux morts ont été enlevés, les ruines ont été explorées pour retirer les restes humains. Elles sont débarrassées de l’odeur de décomposition qui se mêlait à l’odeur acide des explosifs et du phosphore répandu. Basculés et broyés par les bulldozers militaires, les vestiges enchevêtrés d’une orangeraie devant laquelle je passais chaque jour ont disparu, reconvertis en bois de chauffage.

Et sans béton ni acier, aluminium ni verre, sans tuiles pour les toits ni bardages pour les escaliers et les salles de bain - tout étant interdit d’entrée à Gaza par le blocus économique d’Israël qui est maintenu - aucune reconstruction n’a commencé. Pour ceux qui ont le plus souffert, la guerre continue.

Un jour je suis tombé par hasard sur le père de Shifa au marché aux puces de Gaza City, dans le district de Yarmouk. Il me dit qu’il vient tous les quinze jours pour voir les échoppes vendant des choses cassées ou superflues, dans l’espoir de trouver quelque chose qui pourrait alléger leurs conditions de vie. Il me montre le contenu de son sac de plastique blanc : deux joints de plastique pour connecter des canalisations d’eau. Achetés dans l’espoir qu’il pourra un jour s’en servir.

Ce ne sont pas seulement les symptômes physiques qui persistent comme un rappel de ce qui s’est passé à Gaza. La famille de Sana al-Ar vit dans un cinquième étage clair mais chichement meublé d’un immeuble de Shujaiya. Au mur il y a des photographies des jeunes frères de Sana, 16 ans, Rakan et Ibrahim, et de son père Mohammed, tous tués pendant l’attaque israélienne. Il manque les photos de sa s ?ur de 18 ans, Fida, et de l’épouse de son frère, Iman, qui ont également péri. Dans une pièce décorée de rideaux dorés et de coussins de sol, Malak, le plus jeune enfant survivant, joue sur le tapis, dans un T-shirt portant le slogan imprimé "Daddy’s Little Tiger". Mais Daddy est parti.

Le 3 janvier, les tanks israéliens attaquaient la zone où vivent Sana et sa famille. Leur maison, comme celle de Shifa, se trouvait près de la frontière, pas loin d’une jolie mosquée à la coupole dorée et d’un cimetière. La famille de Shifa Salman a réussi à fuir. Mais celle de Sana - me dit sa mère - a été soufflée en « morceaux de chair ». C’est à la grand-mère de Sana de raconter l’histoire, pendant que la jeune fille et sa mère écoutent. Elle raconte comment une roquette a touché la maison, blessant Fida d’un éclat. Elle a rapidement perdu tout son sang. Le père a dit à la famille de fuir dans leur carriole à âne, mais un deuxième missile a explosé, le blessant mortellement, lui aussi. J’écoute la grand-mère de Sana décrire comment dans la fumée de l’explosion la mère en larmes a trouvé son fils Ibrahim « avec une moitié de visage en moins ». La famille a rassemblé ce qu’elle a pu de ses morts dans une couverture et les a emportés dans une maison voisine, où ils ont été piégés, assis avec les corps, pendant cinq jours.

J’avais entendu parler de Sana en janvier, par le Dr Fadel Abu Hein, au Centre communautaire de formation et de gestion de crise. Fadel envoyait des équipes de travailleurs sociaux et de thérapeutes pour animer des ateliers destinés aux enfants les plus gravement affectés, travaillant même avec eux assis sur des couvertures au milieu des décombres. Comme nous parlions des types de traumatismes subis par les enfants pendant le conflit, il mentionna une fille qui avait vu mourir la plus grande partie de sa famille et qui avait passé des jours enfermée avec leurs corps. Je l’ai rencontrée le lendemain au domicile d’un oncle avec qui elle vivait. Et j’ai essayé de parler à Sana. Mais assise sur un lit dans une pièce froide et nue du rez-de-chaussée, elle était restée repliée derrière le mur de son chagrin, ne réussissant à dire que quelques mots. A sa place, les autres membres de la famille qui peuplaient la pièce ont répondu à mes questions. La seule chose que j’avais apprise est qu’elle aimait peindre, alors je lui avais acheté du matériel, puisque le sien était perdu.

Assise dans son nouvel appartement, Sana apporte le seul dessin qu’elle dit avoir fait depuis la mort de ses frères - au fusain gris-anthracite sur un fond ombré de bleu, avec le nom des garçons. Le lendemain, j’apprends par Nahid Hanrarah, le travailleur social qui a été le plus proche de Sana, qu’elle a fait d’autres peintures, des peintures de sa famille baignant dans le sang.

« Peindre leurs noms est un progrès » dit Nahid. Il ajoute que Sana a beaucoup avancé, mais quand je lui pose des questions, elle répond en phrases hachées. « Les choses ne vont pas tellement mieux. Tout est encore ... Je sens que les choses sont séparées. La colère et la tristesse. Celui qui pourrait nous rendre heureuses [le père de Sana] est celui que nous avons perdu ».

Il y a de longues pauses quand Sana détourne les yeux. « Les gens ont essayé de m’aider. Il y a eu des gens à l’école ... ». Sana évoque son irritation contre ceux de ses amis qui insistent pour essayer de lui parler de ce qui est arrivé le 3 janvier et les jours suivants. « Je sens que je ne peux pas me concentrer à l’école comme avant » explique Sana. « Je la hais parce que les gens à l’école continuent à demander comment ma famille est morte. Ils pensent que si je parle, cela m’aidera. C’est pour cela que je suis allée voir Nahid. Parce que cela me bouleverse tellement. Je ne veux pas en parler ». Sana a aussi peur d’aller seule aux toilettes et elle souffre de cauchemars. J’apprends par Nahid que Sana était suicidaire quand elle lui a été envoyée. « Elle ne voulait pas vivre. Elle n’avait pas d’espoir » explique-t-il calmement.

Ce n’est pas seulement à l’école que Sana a été confrontée à ce qui est arrivé. A la maison aussi, elle devait vivre avec le rappel permanent de sa perte, le chagrin de sa mère, Laila étant même encore plus démoralisant.

« Je pense, suggère Nahid, que Sana est la seule dans la famille proche qui comprend réellement ce qui leur est arrivé, et qui peut aider la famille. Sa mère ne peut rien faire, vraiment. Donc la responsabilité est tombée sur Sana. Sana grandit [en tant que personne] par la connaissance de toutes les choses qu’elle a traversées, ce qui l’aide à l’emporter. Mais c’est un processus qui est loin d’être achevé. Ils étaient une famille de neuf et ils ne sont plus que quatre ».

Il y a des moments où on perçoit un écho de ce que cette famille a dû être un jour. Avant que les soldats israéliens ne viennent. Avant la guerre. Malak rampe jusqu’au genou de sa mère avec sa poupée et pousse des cris aigus : « Mords-la ! Mords-la ! » Tout à coup je me rends compte que Sana sourit à sa mère. C’est la première fois en cinq visites à cette famille que je la vois sourire. Et ce faisant, elle laisse transparaître brièvement une autre fille.

Et Sana sourit à nouveau la fois d’après. Nous parlons de choses ordinaires - autres que l’horreur qui lui est arrivée ; à propos des films qu’elle aime voir - Bollywood et films d’action, les X-men - à propos de son nouvel ordinateur et de la connection Internet qu’elle attend avec impatience : « Auparavant, nous n’avions pas d’ordinateur, je l’ai depuis deux semaines ». Ensuite, la douleur est à nouveau dans la pièce. « La première chose que je ferai c’est d’y mettre des photos de mon père et de ma s ?ur et de mes frères ». Elle paraît triste, mais non intouchable. Je demande à Sana si elle ira à la plage pendant les vacances, mais c’est sa mère qui répond : « On avait l’habitude d’aller à la mer, tous ensemble. Nous n’y allons plus... ». Il y a des fantômes dans la pièce et Laila ne peut les ignorer. Et comme Laila ne peut les ignorer, Sana aussi est forcée de les contempler et de réfléchir le chagrin de sa mère.

Laila dit qu’il ne lui reste plus rien, et je lui rappelle Sana et Malak. Elle lève les yeux sur les photos. « Rakan était le plus beau » soupire-t-elle, tandis que Sana se met à pleurer doucement. « Il n’avait que quatre ans et demi. C’était un vrai petit coquin. Les gens disaient à son père : ce garçon deviendra quelqu’un. Quand sa s ?ur est allée le soulever, je ne l’ai pas reconnu. Il était en morceaux ».

Dans le bureau du Dr Fadel, décoré de photos de combattants palestiniens morts, il tente de dire ce qui a changé et ce qui n’a pas changé. Certains ont commencé à reconstruire leur vie, tandis que d’autres, vivant sous tente, ou réfugiés, ou vivant - comme la famille de Shifa - au milieu des ruines, restent largement dans les conditions où ils étaient à la fin de la guerre. « Le principal obstacle que nous rencontrons est chez les gens dont les problèmes ne sont pas terminés - qui vivent dans une atmosphère de guerre qui se poursuit. Rien ne se passe pour les maisons détruites parce que nous vivons dans un état permanent de siège économique. Donc il y a des gens qui vivent encore toujours sous tente, ou dans les décombres ».

Un jour dans son bureau, je suis confronté à la démonstration des progrès de ceux qui souffrent des dommages du conflit. Au mur, il y a des dessins réalisés par des enfants traumatisés, des images de l’avant et de l’après dont le véritable sujet montre les effets de l’exposition à la violence, et de la remédiation possible.

Les images « avant » montrent des soldats avec des fusils, des tanks et des jets, des images de destruction et de mort. Les images « après » montrent l’arsenal ordinaire de l’enfance, cerfs-volants, images de famille et d’amis, de fleurs, produites après un long travail avec les travailleurs sociaux du Centre. Je crois à tort qu’elles proviennent du conflit récent. On m’avise qu’elles datent d’avant la guerre - décrivant l’expérience des incursions militaires israéliennes et des frappes aériennes. Quand je demande à voir des dessins d’après la guerre de janvier, on m’amène devant une autre série d’esquisses qui dépeignent uniquement des combats. En les examinant, je me souviens d’un autre dessin que j’ai vu quelques jours plus tôt à Khan Younès, dans le sud de Gaza, dans la chambre à coucher d’un enfant.

J’avais rencontré Rewa’a Omer, âgée de 30 ans, à l’hôpital Nasser, debout entre les lits de ses deux enfants, sa fille Ola et son fils Yahya. C’était quelques jours après le cessez-le-feu et Rewa’a tenait un morceau de vêtement ensanglanté. Une heure avant environ, Ola, 10 ans, et Yahya, 9 ans, se tenaient près des portes de leur école avec un groupe d’autres enfants de l’école primaire, attendant une voiture qui les ramènerait à la maison. Pendant qu’ils bavardaient, un drone israélien avait tiré des missiles sur un combattant du Hamas passant à moto à trois mètres des enfants. L’explosion avait envoyé un éclat dans les jambes des enfants et un autre dans l’ ?il de Yahya.

Jusqu’à ce que je voie le poster dans la chambre d’Ola, je pense qu’elle s’est mieux rétablie que son frère. Il montre le visage souriant d’un bébé. Mais quelqu’un a dessiné des traînées de sang coulant du nez et de la bouche et ajouté de petites coupures écarlates. Rewa’a me dit que c’est Ola qui a défiguré le dessin. Je note aussi qu’elle a ajouté des cernes autour des yeux du bébé, si bien que la peau apparaît jaune. Je pense au visage de son frère tel qu’il a dû être sur son lit d’hôpital, contusionné sous les pansements et coloré par un produit iodé.

La famille de Rewa’a provient de ce qui passe pour la classe moyenne à Gaza. Son mari était un capitaine de police de l’Autorité Nationale Palestinienne avant la prise en main de tout le pouvoir exécutif par le Hamas en 2007, au terme de la période la plus violente des luttes internes entre Fatah et Hamas. A présent il ne travaille pas mais reçoit toujours son salaire. Eduquée, Rewa’a parle un excellent anglais. La famille me demande une copie de la photographie que j’ai prise le jour où les enfants ont été blessés, et Rewa’a me montre une image sauvée sur son téléphone cellulaire, que lui a donnée un voisin, et qui montre son fils emporté dans les bras de quelqu’un, la tête pendante et ensanglantée. « C’était à la télévision. Et je n’étais pas là pour les protéger ».

Il reste encore des marques sur les jambes de sa fille, des contusions sombres. « C’est mon fils qui a été le plus gravement blessé » dit-elle. « Il est toujours gêné de porter des shorts à cause des cicatrices. Il y avait un éclat d’obus dans son ?il et nous l’ignorions. Il a dû aller en Egypte pour être opéré. Physiquement ils sont rétablis » ajoute Rewa’a « mais émotionnellement ma fille est plus ravagée que mon fils. Cette première fois où elle a vue saigner son frère est restée gravée en elle. Je pense que ce sera toujours en elle. Elle parle de ce qui est arrivé et ses résultats scolaires ont souffert. Il a fallu un mois et demi avant qu’elle puisse retourner à l’école ».

Rewa’a dit qu’Ola a toujours peur d’aller jusqu’à l’arrêt du bus et que « les enfants se disputent tout le temps à présent. Je m’inquiète tout le temps pour eux, en attendant qu’ils rentrent de l’école ».

Ola veut raconter ce qui lui est arrivé. « La voiture était en retard. Il y a eu un bruit et je me suis réveillée et tout était noir. Des choses étaient cassées et il y avait du sang. Alors les gens sont venus secourir mon frère. Quelqu’un m’a pris la main. J’ai dit ?Mon frère ! Mon frère !’”Je demande à Ola ce qu’elle aimerait le plus. Elle n’a pas besoin de réfléchir : « Je voudrais vivre dans un endroit sûr ».

Yahya veut parler de l’Egypte, où il est allé se faire extraire l’éclat d’obus de son oeil. « Je suis allé au zoo et j’ai vu les pyramides ! ».

« Je sens qu’il n’y a plus aucun endroit sûr à Gaza » ajoute Rewa’a. « Auparavant je pensais que ... vous savez, nous sommes des gens ordinaires. Cela [la violence] n’a rien à voir avec moi ».

A ma visite suivante, nous grimpons sur le toit plat de leur immeuble. Des cerfs-volants décolorés sont emmêlés dans leurs ficelles contre la balustrade. Rewa’a semble oppressée par ce qui s’est passé. « Je voudrais qu’ils aient une enfance normale. Je n’ai pas grandi à Gaza, j’ai grandi en Arabie Saoudite. Je suis revenue à Gaza à 16 ans. J’ai eu une belle enfance. Je voudrais la même chose pour eux. Pas ceci ... A chaque retour des vacances d’été, je voudrais qu’ils aient quelque chose à faire. Des loisirs qui les aideraient à grandir. Mais il n’y a rien de tel ici”. Je lui rappelle quelque chose que Yahya m’a dit quand je lui ai demandé ce qu’il voudrait faire plus tard. Il a répondu qu’il voulait être un combattant. « C’est ce que Yahya dit. Mais c’est juste une idée dans sa tête”.

Au moment de partir, je demande à Rewa’a si elle a l’espoir que les choses puissent changer à Gaza. Elle semble triste. « Rien ne change jamais. On ne reconstruit pas. Tout devient pire. Ici, rien ne change en bien”.

* Peter Beaumont est responsable du service étranger à l’Observer et est l’auteur de “The Secret Life of War : Journeys Through Modern Conflict” (éditeur Harvill Secker).

5 juillet 2009 - The Guardian - The Observer - Vous pouvez consulter cet article ici :
http://www.guardian.co.uk/world/200...
Traduction de l’anglais : Marie Meert


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