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« Frapper un grand coup » : jusqu’au cou dans les tranchées du désastre irakien

mardi 30 janvier 2007 - 21h:25

Adam Hochschild

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« Si nous avions besoin d’une preuve supplémentaire du fait que l’entourage du Président Bush est imperméable aux leçons de l’histoire, elle survint il y a dix jours, quand Stephen J. Hadley, conseiller à la Sécurité Nationale, parla de l ?accroissement du nombre de soldats américains en Irak comme du « grand coup de collier » (« Big Push ») qui rendrait la victoire plus proche.

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Photo : Département de la Défense américain

Ce « grand coup de collier » est une expression entrée dans le langage courant à l’occasion d’une autre levée de troupes qui devait conclure une autre guerre par la victoire. « Big Push », c’était le nom donné, des mois à l’avance, par des ministres britanniques, des propagandistes, des généraux et des fantassins à la Bataille de la Somme (1916) (C’est même le titre d’un livre sur ce sujet).

La Première Guerre Mondiale avait été dans une impasse mortelle pendant la plupart du temps sur ces deux ans. Un chapelet de batailles horribles avait révélé le lourd tribut de la guerre de tranchées : les défenseurs pouvaient en partie se protéger en creusant des tranchées plus profondes, des blockhaus en béton, et des abris souterrains renforcés et bien profonds.

Mais quand vous franchissiez le parapet pour aller à l’assaut, vous étiez d’une terrible vulnérabilité - à découvert, exposés au balayage mortel du feu des mitrailleuses alors que vous rampiez péniblement, lentement, au travers des barbelés et que vous contourniez des trous d’obus remplis d’eau.

Ainsi, que firent les Alliés ? Ils attaquèrent. A cette époque, en termes de nombre de soldats impliqués, ce fut la plus grande bataille de l’histoire. Selon les plans, il fallait percer la ligne de défense allemande, envoyer la cavalerie faire une charge glorieuse dans ce trou, et changer le cours de la guerre. Le résultat fut une catastrophe.

L’armée anglaise perdit près de 20000 hommes et il y eut près de 40000 blessés ou disparus pour cette seule première journée. Les mitrailleurs allemands, après avoir laissé passer le long bombardement préliminaire cachés dans leurs bunkers souterrains fortifiés, refirent surface à temps pour faucher les soldats qui s’avançaient. Au bout de quatre mois et demi de combat les troupes françaises et britanniques comptaient plus de 600000 victimes. Le « Big Push » leur avait fait gagner à peine cinq miles de terre boueuse dévastée, constellée de trous d’obus.

Comme le « Big Push » de la Somme, le « Big Push » en Irak est la réplique d’une tactique qui a déjà démontré sa défaillance calamiteuse. Ainsi que l’a déclaré, sans mâcher ses mots, le Lieutenant-général de l’armée américaine, aujourd’hui retraité et ancien directeur de la National Security Agency, William Odom, cela revient à creuser plus profond quand on est dans un trou.

Ces quatre sanglantes années ont montré à l’évidence que nombre de Sunnites et de Chiites sont mis en rage de la même manière par la présence des soldats américains dans les rues d’Irak, faisant irruption dans les maisons, et procédant à l’arrestation ou tuant des gens, qu’ils soient ou non des insurgés. En outre, les personnes arrêtées ou tuées, bien que peu recommandables, constituent parfois la seule force de protection de leurs communautés contre les attaques adverses dans une guerre civile extrêmement cruelle. De ce fait, ainsi que le sociologue Michael Schwartz l’a démontré il y a six semaines, une précédente offensive anti-insurrectionnelle conjointe, américano-irakienne, à Bagdad, exactement du genre de celle qui se prépare, a en fait accru le nombre de victimes civiles.

Il y a bien entendu de grandes différences entre la Première Guerre Mondiale et les affrontements d’aujourd’hui en Irak.. Mais, même au-delà du discours optimiste sur le « Big Push », il y a une autre sinistre ressemblance entre les deux conflits. Dans les deux cas, une grande puissance était impatiente de déclencher une invasion, et saisit le premier prétexte pour ce faire.

Pour l’administration Bush, bien entendu, ce fut le 11 Septembre. D’une longue succession de révélations internes il ressort avec certitude que ses responsables du plus haut rang piaffaient à l’idée d’envahir l’Irak, cherchaient fébrilement les connexions les plus tirées par les cheveux entre Saddam Hussein et le 11 Septembre, et - même sans les avoir trouvées - procédèrent de toute façon à l’invasion, tout en continuant à insinuer vaguement que ces connexions étaient bien là.

Un fait remarquablement similaire se produisit en 1914. L’Autriche-Hongrie était un empire chancelant aux minorités ethniques agitées, gouverné depuis Vienne par une élite germanophone. Près de la moitié de la population était slave, dont de nombreux Serbes. En conséquence, le gouvernement impérial à Vienne se sentait menacé par l’existence même, à ses frontières, d’une nation Serbe indépendante, aussi petite fût-elle. Ils étaient décidés à l’envahir, peut-être à la morceler, et à en finir ainsi une fois pour toutes avec le nationalisme serbe et panslave.

On mit au point des plans d’invasion détaillés. Ensuite, ce qui survint vraiment à propos, l’Archiduc François-Ferdinand d’Autriche-Hongrie, neveu de l’Empereur et héritier du trône, fut assassiné au cours d’une visite à Sarajevo. Comme la Maison blanche après le 11 Septembre, le palais impérial de Vienne se mit fébrilement à chercher un lien avec le gouvernement serbe. De façon frustrante, cependant, l’Archiduc avait été tué sur le sol austro-hongrois par Gavrilo Prinzip, sujet austro-hongrois. L’assassin, un Serbe, avait effectivement été aidé par une fantomatique organisation secrète de nationalistes serbes, mais on ne put établir aucune connexion avec le gouvernement de Serbie. Peu importe. L’Autriche-Hongrie déclara de toute façon la guerre à la Serbie. D’autres pays, des deux côtés, saisirent rapidement l’occasion, et ainsi démarra une conflagration qui changea la face du monde.

Une partie de ce remodelage, ironiquement, fut le raccommodage, après guerre, de trois provinces de l’Empire Ottoman vaincu en ce qui fut d’abord un protectorat britannique pour devenir, après 1932, l’Irak indépendant.
Il y a une dernière ressemblance entre le carnage actuel, là-bas, et la Première Guerre Mondiale. On se battit lors des deux conflits au nom d’un assortiment curieusement changeant d’objectifs aux nobles résonances.

En Irak, l’administration Bush a bluffé sur l’ampleur des armes de destruction massive découvertes, sur la liberté des Irakiens, sur le combat contre le terrorisme islamiste, et sur l’instauration de la démocratie dans le monde arabe. Au cours de la Première Guerre Mondiale, les Alliés avaient d’abord parlé de venir en aide à l’innocente petite Belgique envahie, puis de vaincre le militarisme allemand et de prendre la défense de la civilisation anglo-française. Une fois que Woodrow Wilson eut engagé les Etats-Unis dans la guerre, il en parla comme de « la guerre qui mettra un terme à toutes les guerres ».

Ce ne fut pas le cas. L’humiliation des vaincus et les pertes humaines catastrophiques des deux côtés n’entraînèrent en rien la disparition de toutes les guerres et firent beaucoup pour en provoquer d’autres. Plus la guerre en Irak se prolongera et plus l’armée américaine s’enlisera, à coups de « Big Pushes », dans une partie du monde hautement inflammable, plus nous continuerons à alimenter un sentiment d’humiliation général et une colère dont nous sommes sûrs que les conséquences vont nous hanter pour les décades à venir. »

(*) Adam Hochschild, qui réside à San Francisco, est l’auteur de six ouvrages dont « Bury the chains : prophets and rebels in the fight to free an Empire’s slaves », en finale pour le National Book Award, et de « King Leopold’s ghosts » (paru en français : « Les fantômes du Roi Léopold », sur la colonisation belge au Congo). Il rédige actuellement un ouvrage sur la Première Guerre Mondiale ».

22 janvier 2007 - Electronic Irak - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electroniciraq.net/news/2846...
Traduction : Michel Zurbach


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