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L’Iran et les médias de l’Occident

vendredi 26 juin 2009 - 07h:26

Matthew Cassel

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Une presse libre et indépendante est un élément essentiel à toute démocratie, et c’est quelque chose dont l’Occident dispose de moins en moins, écrit Matthew Cassel.

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Teheran : manifestants et policiers face à face.

Les manifestants, partout dans le monde, sont des gens extrêmement courageux dont les raisons pour manifester ainsi ouvertement devraient être entendues et respectées. Protester, c’est la démocratie à l’oeuvre. Cependant, trop souvent, les médias des États-Unis et des autres pays occidentaux sélectionnent les protestations à couvrir et celles à ignorer complètement.

Les médias des États-Unis s’auto-célèbrent souvent eux-mêmes comme « les plus libres et les plus équitables » dans le monde, comme totalement indépendants de l’Etat, contrairement, par exemple, aux médias en Iran. Pourtant, un observateur avisé remarquera que les médias américains sélectionnent généralement les faits au niveau mondial et les couvrent d’une façon qui collent au plus près des objectifs des Etats-Unis.

Qui décide si une question est « d’actualité » ou non ? On pourrait penser que c’est justement le rôle des médias, pour pouvoir traiter des questions comme les conflits ou les violations des droits élémentaires ainsi qu’il s’en produit partout dans le monde. Mais il semble bien que ce n’est pas le cas. La plupart des médias occidentaux paraissent être à la remorque de leur gouvernement lorsqu’ils mettent l’accent sur certains sujets, puis les couvrent de de façon à coller à la position de leur gouvernement, d’où la vision totalement uniforme, par presque tous les médias occidentaux, des événements en Iran et leur présentation extrêmement positive des manifestants et de l’opposition présentés comme étant dans leur droit.

Le cas actuel de l’Iran prouve clairement que ce sont les gouvernements qui contrôlent la couverture médiatique, au lieu que soient en réalité les agences d’information elles-mêmes.

Il y a eu aussi une évolution notable dans les médias américains du traitement des questions internationales après les attentats du 11 Septembre 2001. Peu de temps après, la règle édictée par le président George Bush du « avec nous ou contre nous » s’est appliquée à tous, et les médias et les personnes critiques à l’égard de la politique étrangère américaine ont immédiatement été diabolisés et étiquetés d’ « antipatriotes » ou « anti-américains ». Pour éviter ce genre d’accusation, il est devenu courant de voir les journalistes à la télévision prouver leur patriotisme et leur loyauté par le port de petits drapeaux américains sous forme de pins.

Ces raisons expliquent pourquoi, au cours des dernières semaines alors que se déroulaient les élections en Iran, il n’y a eu pratiquement aucune couverture dans la plupart des médias des manifestations regroupant des dizaines de milliers de personnes en Géorgie ou au Pérou. Il a même été signalé au Pérou que des dizaines de personnes ont été tuées pendant les manifestations, ou « affrontements » comme cela a aussi été labellisé (depuis, plus d’une douzaine de policiers ont également été tués), soit plus que le nombre de tués en Iran.

Pourquoi les protestations en Iran reçoivent-elles plus d’attention que celles en d’autres lieux ? Une explication logique est que le président géorgien Mikheil Saakashvili est un allié important des Etats-Unis et de l’OTAN. Aussi, l’Occident et ses médias sont restés silencieux à propos des manifestations de l’opposition afin de ne pas leur accorder une trop grande attention qui pourrait inciter ces démonstrations à se poursuivre et à prendre de l’ampleur, affaiblissant alors le gouvernement Saakashvili.

Dans le même temps, la situation en Amérique latine reste particulièrement sensible. La couverture médiatique des manifestations de groupes autochtones [populations indiennes] et de ceux qui les soutiennent au Pérou pourrait encore démultiplier ces protestations et metttre à jour les politiques injustes contenues dans les récents accords de libre-échange avec les Etats-Unis. Et peut-être verrait-on ce pays ouvrir la voie à un gouvernement plus populaire comme le sont ceux du Venezuela ou de la Bolivie. Bien entendu, ces deux dernières sont considérées comme des nations « anti-américaines » à cause de leurs positions critiques face à l’interventionnisme américain en Amérique latine.

Mais l’Iran est différent de la Géorgie et du Pérou. Le président iranien Mahmoud Ahmadinejad a probablement dépassé Oussama Ben Laden comme personne la plus haïe aux États-Unis. Au cours des dernières années, de nombreux responsables à Washington ont appelé à des actions plus énergiques contre l’Iran. Plus récemment, le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a donné au président américain Barack Obama, un ultimatum pour que le président des Etats-Unis s’occupe du prétendu programme d’armes nucléaires de l’Iran, sinon c’est Israël qui le fera.

Ce n’est pas une coïncidence si les manifestations en Iran ont bénéficié d’une couverture médiatique 24 heures sur 24 heures et soient l’un des seuls exemples de ces dernières années où le gouvernement américain ait manifesté son soutien aux manifestants comme l’a fait Obama lorsqu’il a appelé l’Iran à « arrêter toutes les violences et actions injustes contre son propre peuple ». Ce ne sont certainement pas les seules manifestations à avoir subi une répression violente de la part d’un gouvernement.

Depuis des années les Palestiniens ont organisé des manifestations non violentes chaque semaine contre le mur israélien en Cisjordanie. Chaque semaine, les manifestants font face et aux militaires israéliens lourdement armés et sont battus et pris pour cibles avec des balles en acier recouvertes de caoutchouc et des grenades lacrymogènes, parfois avec des morts.

Pourtant, au cours de son récent discours du Caire en direction du monde musulman, Obama n’a fait aucune référence à ces manifestations et, au lieu de cela, a appelé les Palestiniens à « renoncer à la violence » et à adopter des moyens non-violents. Quelques jours après le discours, un Palestinien a été tué et un adolescent blessé au cours de la manifestation hebdomadaire, mais il n’y a eu aucun appel de la part de l’administration américaine et destiné à Israël pour « arrêter toutes les actions violentes et injustes » contre le peuple palestinien. Et les médias ont emboîté le pas et sont restés silencieux, bien que couvrir ces manifestations chaque vendredi serait facile puisqu’il ne faut que 30 minutes en voiture depuis les locaux des agences de presse à Jérusalem..

En outre, dans la foulée de l’appel de l’administration Bush pour la « démocratie » au Moyen-Orient, un mouvement démocratique autochtone s’est développé en Égypte pour contester la corruption et l’échec des politiques économiques du président égyptien Hosni Mubarak. Composé de travailleurs qui ont organisé des grèves sans précédent depuis quatre ans et qui ont augmenté en nombre à chaque rassemblement, les manifestations ont été peu suivies aux États-Unis. Chose étrange... compte tenu de la durée des grèves et de la taille des manifestations, qui font penser à un certain nombre d’observateurs à la possibilité de quelque chose de beaucoup plus important en Egypte, peut-être même une « révolution ».

Le manque de couverture médiatique de ces événements ne peut s’expliquer que par la relation entre les États-Unis et l’Egypte. Moubarak, qui a gouverné l’Egypte pendant près de trois décennies, est souvent considéré comme un dictateur pour sa répression de l’opposition, des personnalités politiques et des journalistes critiques à l’égard de son gouvernement. Pourtant, il reste l’un des plus importants alliés des Etats-Unis au Moyen-Orient, par conséquent « les actions violentes et injustes « contre les Egyptiens sont tolérées par l’Occident.

De même, pendant l’assaut israélien de trois semaines contre Gaza cet hiver, il y a eu des manifestations massives et sans précédent à travers le Moyen-Orient en faveur des Palestiniens du territoire assiégé. Encore une fois, cela n’a eu droit qu’à des mentions mineures, s’il y en a eu, probablement parce que cela contredisait le discours des médias et de Washington selon lequel Israël était « en lutte contre le Hamas ».

Toujours en conformité avec ce discours, il y avait peu d’images diffusées dans les médias occidentaux depuis l’intérieur de la bande de Gaza. De la même façon que le fait l’Iran aujourd’hui, Israël a interdit aux journalistes de pénétrer dans la bande de Gaza au cours de ces attaques. Malgré cela, il y avait sur le terrain de grandes agences transmettant par satellite et de langue arabe comme Al-Jazeera qui envoyaient des informations et des images de presque tout ce qui se passait là-bas.

Lorsque les images ont été montrées par CNN ou certains de ses concurrents, cela ne reflétait généralement pas la véritable horreur à laquelle faisaient face les Palestiniens dans la bande de Gaza. Je ne me souviens pas avoir vu dans les médias américains une seule vidéo de l’un des centaines d’enfants assassinés dans la bande de Gaza. En revanche, il y a deux jours, CNN a diffusé des images d’une femme qui a été tué qui perdait son sang et décédait dans une rue de Téhéran. La plupart de ces vidéos sont réalisées avec des téléphones portables de simples citoyens, et CNN a même créé un logo spécial pour le « matériel non vérifié ».

Mais il y a eu beaucoup de « matériel vérifié » montrant des images de violence au Moyen-Orient et dans de nombreux autres endroits dans le monde au cours des derniers jours, semaines, ou années et qui n’a jamais été diffusé. Vidéos et témoignages sont disponibles sur YouTube, Facebook, Twitter, attendant, voire implorant pour que les médias des États-Unis en prennent connaissance. Mais la couverture de certains événements se trouve en contradiction avec la politique étrangère des Etats-Unis, quelque chose que beaucoup médias se révèlent peu disposés à transgresser.

Si les élections et les manifestations en Iran ont révélé quelque chose, c’est qu’il est indéniable qu’il y existe d’énormes divergences qui auront une incidence majeure sur l’avenir du pays. C’est la décision de chacun de choisir de quel côté il se range, le cas échéant. Et c’est la responsabilité des médias d’être indépendants des autorités et de présenter dans leur contexte des informations précises de sorte que ceux qui en sont les récipiendaires puissent se faire leur opinion, et non donner des informations basées sur les intérêts de politique étrangère des gouvernements occidentaux.

Une presse libre et indépendante est un élément essentiel à toute démocratie, et c’est quelque chose dont l’Occident dispose de moins en moins.

*Matthew Cassel assistant éditeur de « The Electronic Intifada ». Son blog est http://justimage.wordpress.com

23 juin 2009 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electronicintifada.net/v2/ar...
Traduction de l’anglais : Claude Zurbach


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