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Les ruines de Gaza

vendredi 26 juin 2009 - 06h:45

Laura Durkay - Socialist Worker

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Laura Durkay décrit ce dont elle a été témoin en tant que membre de la délégation CodePink qui a visité Gaza début juin.

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L’Ecole américaine de Gaza a été détruite durant les bombardements israéliens de janvier 2009 - Photo : Laura Durkay /SW

« Les gens sont maintenus en vie ». C’est l’une des premières choses que John Ging, directeur de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNWRA), nous a dites à Gaza.

C’est une description assez précise des conditions à Gaza, quatre mois après la fin de l’opération israélienne Plomb Durci qui fait 1.400 morts, plus de 5.000 blessés et au moins 40.000 sans abri. Les gens sont maintenus en vie - et c’est à peu près tout.

Quatre mois après le cessez-le-feu, pas une brique n’a été rebâtie à Gaza. Des milliers d’immeubles - du bâtiment du Parlement palestinien (gravement endommagé) et de la résidence présidentielle (rasée) à l’Université Islamique, l’Ecole Américaine, l’Hôpital Al-Quds (touché par du phosphore blanc) et des milliers de maisons, magasins, usines et postes de police - en sont exactement au même point que le 18 janvier, dernier jour de la guerre.

Cela n’est pas dû au manque d’argent ou de ressources. Comme le soulignait John Ging, des millions de dollars d’aide ont été promis à Gaza par des gouvernements et des ONG dans le monde entier. Mais le siège moyenâgeux que subit Gaza interdit l’entrée de tout ce qui n’est pas ravitaillement ou médicaments de toute première nécessité. Par conséquent, vous ne verrez pas de famine massive à Gaza, mais vous n’y verrez pas non plus le moindre semblant d’existence normale.

Notre délégation - 65 activistes étatsuniens et internationaux représentant 10 nationalités et 18 états des USA - a séjourné à Gaza du 30 mai au 4 juin pour témoigner des destructions de ce que les Palestiniens appellent « la dernière guerre » et pour apporter une aide aux enfants de Gaza, qui sont plus d’une demi-million sur 1,5 millions d’habitants dans cette enclave assiégée minuscule, moins de la moitié de la taille de New York City.

Nous avons opté pour une aide sous forme de jouets, fournitures d’art et équipements pour aires de jeux, après avoir appris qu’Israël avait refusé de laisser entrer une cargaison UNICEF de tels articles au mois de mars, alléguant qu’il ne s’agissait pas d’une « nécessité humanitaire ».

Partout où nous sommes allés à Gaza, deux choses nous ont frappés : d’un côté, la brutalité délibérée, calculée et intentionnelle de la guerre, de l’occupation et du siège israéliens, et d’autre part, la générosité, la gentillesse et la détermination incroyables des Palestiniens ordinaires.

A certains endroits, le niveau de destruction était consternant : Izbet Abd Rabbo, dans le nord, où chaque maison était minée et écroulée ; Abasan, si proche de la frontière avec Israël que nos guides de l’UNWRA refusaient de nous laisser sortir du bus (c’est affreux de les voir si effrayés dans leur propre pays) ; pas loin de Khoza’a et Sufa, où nous avons marché au milieu de tas informes de décombres, chacun d’eux représentant la maison de quelqu’un.

Nous avons vite appris que malgré l’application d’un prétendu cessez-le-feu, « cessez-le-feu » est un terme tout relatif à Gaza - il signifie que les Palestiniens doivent cesser le feu pendant que les Israéliens font ce qu’ils veulent.

Longeant la route côtière de Rafah à Gaza, nous avons clairement vu les navires de guerre israéliens sur l’horizon. Pendant le jour, ils harcèlent et mitraillent les pêcheurs qui essaient de gagner leur vie dans les eaux de Gaza, et la nuit, ils naviguent près du rivage et pilonnent le littoral.

Les obus, le feu des armes automatiques et les drones qui vous survolent, cela se passe la nuit. En une seule des cinq nuits que nous avons passées à Gaza, cinq camps de réfugiés ont été pilonnés, avec une personne tuée (une mère d’une vingtaine d’années) et six autres blessées.

Même dans les endroits qui n’ont pas été pulvérisés par les tanks et les F-16, le poids écrasant du siège est palpable. Quand nous sommes arrivés à l’Hôpital de Al-Shifa, le plus grand hôpital de Gaza, en tout premier lieu, le directeur s’est excusé pour la chaleur suffocante - l’hôpital n’avait pas d’électricité et leurs générateurs n’ont pas la capacité d’alimenter à la fois l’équipement médical d’urgence et la climatisation.

Le bâtiment principal d’Al-Shifa n’a pas d’ascenseur en état de marche, car les pièces de rechange des moindres parties de la machinerie sont impossibles à obtenir. Les membres des familles des patients doivent les porter dans les escaliers.

On nous a montré un local plein de fournitures pour dialyse, avec beaucoup de boîtes abîmées suite aux manipulations brutales des inspecteurs israéliens. Ce sont les fournitures pour un jour, nous a-t-on dit, et il n’y a pas de réserves. Souvent l’hôpital reçoit des fournitures médicales qui sont volontairement endommagées ou qui sont périmées, parce qu’elles ont été retenues trop longtemps aux points de passage.

La plupart des bâtiments d’Al-Shifa sont croulants et délabrés, mais l’un d’eux est flambant neuf : un centre d’oncologie et de radiothérapie immaculé payé par un prince saoudien. Mais il reste vide et inutilisé - le matériel nécessaire pour faire fonctionner les machines de radiation n’est pas autorisé à entrer à Gaza.

Parce qu’aucune société ne peut fonctionner sur ce qu’Israël permet d’entrer à Gaza, les gens ont trouvé des manières de compenser - la plus connue étant un trafic florissant via des centaines de tunnels, la plupart passant à une quinzaine de mètres de profondeur, et jusqu’à un kilomètre de long, sous la frontière égyptienne.

A propos des générateurs de l’hôpital Al-Shifa : 100% du fuel qu’ils utilisent arrive par ces tunnels - de même que de nombreux biens de consommation courants, depuis les fruits et légumes, l’eau en bouteille et les aliments emballés jusqu’à du petit électroménager, des ordinateurs et des pièces de voiture.

Nous avons visité les tunnels le dernier jour et nous avons été choqués de découvrir qu’ils n’étaient pas du tout dissimulés - en fait, ils sont carrément à ciel ouvert, avec des gens (dont beaucoup d’enfants et d’adolescents) qui y travaillent à la lumière du jour.

Les tunnels sont régulièrement pilonnés, mais devant leur grande visibilité, nous nous sommes bien sûr demandé : pourquoi Israël ne les bombarde-t-il pas tous un par un ?

C’est seulement quand nous avons pris le temps de réfléchir à la manière des occupants que nous avons compris. Bombardez tous les tunnels, aggravez la famine, et vous risquez une révolte de masse. Bombardez juste assez pour que ceux qui travaillent dans les tunnels craignent pour leur vie à chaque instant, maintenez un risque élevé - et, par association, des prix élevés - et vous aurez la recette parfaite de la punition collective. Je n’imagine pas meilleure définition du terrorisme que celle-là.

Etant donné les incroyables privations et dangers qui sont la vie de tous les jours à Gaza, je n’aurais pas été surprise de rencontrer de l’amertume, de la colère voire de la haine envers les Américains, puisque le gouvernement des USA finance et arme Israël à profusion. Mais nous avons continuellement été stupéfiés par la gentillesse débordante, l’hospitalité et la générosité que nous ont témoignées chacun des habitants de Gaza que nous avons rencontré.

Beaucoup de Gazaouis parlaient un excellent anglais, mais même ceux qui ne semblaient pas le parler connaissaient un mot : « Welcome ». Je ne sais plus combien de gens - depuis le maire de Gaza jusqu’aux nombreux membres si dévoués de l’UNWRA qui nous ont guidés dans Gaza - nous ont dit sans affectation que nous étions leurs frères et leurs s ?urs et que nous avions désormais une maison à Gaza pour le reste de notre vie.

Cet accueil si chaleureux s’étend jusqu’aux délégués du gouvernement du Hamas avec qui nous avons été en relation, et qui nous ont traités comme des diplomates - ce que nous étions quelque part, dans la mesure où aucun membre du gouvernement étatsunien ne joue ce rôle actuellement.

A la fin de notre première journée surchargée à Gaza, nous avons été salués par une annonce précipitée : « Faites un brin de toilette, nous allons au Parlement »

Dans la cour du bâtiment détruit par les bombes du Conseil Législatif Palestinien (CLP), sous une grande tente blanche de l’UNICEF, notre délégation suante et fatiguée reçut ce qui ressemblait à l’accueil d’un état officiel, notamment les salutations d’Ahmed Bahar, président du CLP.

Quelle que soit votre opinion sur le Hamas, pouvez-vous imaginer le président du parlement d’aucun autre pays au monde prenant du temps sur son agenda pour dérouler le tapis rouge (littéralement !) à une bande d’activistes anti-guerre débraillés ?

Mais si le tapis rouge de l’accueil du Hamas - à notre délégation majoritairement féminine menée par Medea Benjamin, juive américaine - était inattendu pour beaucoup d’entre nous, ce n’est rien comparé à la soirée d’après, quand trois députés du Hamas sont revenus à notre hôtel pour passer une heure et demie avec nous à discuter de politique, sur tous les sujets possibles, depuis la légitimité de la résistance armée au regard du droit international jusqu’au différend Hamas-Fatah, de la solution d’un état à celle des deux états.

Ou la soirée suivante, quand Huda Naim, une femme membre du Parlement du Hamas amena quelques dizaines de ses camarades de parti pour discuter avec nous de la vie des femmes à Gaza - quelles femmes énergiques et intrépides ce sont ! « J’ai quitté la maison à sept heures ce matin et je ne suis pas encor rentrée depuis » nous dit fièrement une femme qui travaille au Ministère de l ?Education (c’était vers sept heures du soir). Elle vit à Khan Younis et avait parcouru 20 km jusqu’à Gaza-ville pour nous rencontrer.

Je me souviens en particulier d’une jeune femme qui était au conseil étudiant à l’Université Islamique de Gaza. Son frère, un volontaire paramédical de 18 ans, a été tué en service pendant la guerre. Depuis sa mort, elle est de plus en plus déterminée à achever ses études et à lancer l’entreprise qu’ils avaient rêvé d’ouvrir ensemble. « Ils ont tué mon frère » dit-elle simplement, « Mais ils ne peuvent tuer nos rêves ».

Vers la fin du séjour, nous avons plaisanté sur le fait qu’à présent nous avions rencontré le Hamas plus souvent qu’Obama lui-même ne l’a fait - et ne le fera peut-être jamais. Quand plusieurs membres de la délégation sont retournés au Caire un jour plus tôt pour organiser une protestation contre le discours d’Obama et l’appeler à visiter Gaza (surprise : il ne l’a pas fait), ils ont apporté à l’Ambassade des Etats-Unis une lettre officielle du Hamas appelant à une réouverture des relations diplomatiques. (Voir le texte de la lettre en [1]).

D’un côté, nous avons été honorés par notre nouvelle responsabilité diplomatique. Mais de l’autre, il paraissait un peu ridicule qu’un gouvernement démocratiquement élu compte sur un groupe d’activistes pour sa communication avec le gouvernement étastunien.

Peut-être que rien ne résume mieux mon expérience à Gaza que l’histoire de Mufid Amur, que j’ai rencontré le dernier jour.

En tournée dans un village dévasté sur la route vers le point de passage de Sufa, je me suis arrêtée pour prendre une photo d’un tas de décombres (naguère une maison) avec un drapeau palestinien planté au sommet. M. Amur s’est approché, il parlait un excellent anglais et c’était le propriétaire de la maison. Il proposa de me montrer où il vivait maintenant avec son épouse et leurs sept enfants : deux cabanes de tôle de 2,5 m sur 3, sans canalisations ni électricité, juste quelques matelas par terre - tout ce qu’ils ont réussi à sauver de leur maison détruite.

Je n’avais pas de paroles à offrir à M. Amur - et même présenter des excuses pour mon gouvernement, ce que je fis, semblait creux et fallacieux. Mais son premier souci à lui, au milieu de ce paysage post-apocalyptique de ruines, était que je reste prendre un thé.

La seule promesse que j’ai pu lui faire en retour est que je n’oublierais pas son nom (que je me répétai mentalement, n’ayant pu l’écrire, en revenant vers le bus) et que j’emporterais son histoire aux Etats-Unis - et continuerais de lutter pour faire cesser le siège et l’occupation, jusqu’au jour où justice sera rendue à la Palestine.

* Laura Durkay a écrit plusieurs récits et posté des photos de son séjour à Gaza sur son blog Laura on the Left Coast
A propos de CodePink, vous pouvez visiter leur site http://codepinkalert.org/
L’organisation Viva Palestina emmène un convoi à Gaza le 4 juillet : voir /spip.php?article6747

22 juin 2009 - Socialist Worker - Vous pouvez consulter cet article à : http://socialistworker.org/2009/06/...
Traduction de l’anglais : Marie Meert


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