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L’Iran face à un nouveau défi

lundi 22 juin 2009 - 06h:48

Mustafa El-Labbad - Al Ahram Weekly

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Depuis Téhéran, Mustafa El-Labbad explique que le régime fait face à ce qui pourrait être son plus dangereux défi jusqu’à aujourd’hui : des appels au changement qui ne proviennent pas de l’extérieur, mais qui sont lancés depuis les rues iraniennes.

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Les affrontements du samedi 20 juin 2009 se sont soldés par treize manifestants tués - Photo : AFP

Les Iraniens ont maintenant tourné leur attention vers le Conseil des Gardiens, l’organe chargé de mener une enquête sur les plaintes concernant les élections et présentées par Mir-Hussein Moussavi et Mohsen Rezai, les candidats à la présidence.

Un porte-parole du Conseil, qui est constitutionnellement responsable de vérifier la probité de l’élection présidentielle, a annoncé que l’organisme en question n’avait pas l’intention d’annuler les résultats de vendredi mais qu’il permettra un recomptage partiel dans les circonscriptions où des irrégularités auraient eu lieu.

Ce ne sont pas seulement les candidats et leurs partisans qui font pression pour une enquête. Le président du parlement Ali Larijani, a également demandé une enquête, donnant à la requête de Mousavi un sceau très utile d’approbation morale et juridique. Larijani, un adversaire de Mahmoud Ahmadinejad, a également critiqué le ministre de l’Intérieur Sadeq Mahsouli, disant qu’il le tenait pour responsable de la violence des affrontements à Téhéran, et qu’il lui revenait d’ordonner une enquête sur la mort de 12 étudiants et autres civils durant les manifestations.

Dans l’espoir d’éviter de nouveaux actes de violence, l’opposition a déplacé ses manifestations lundi soir, du « Vali Asr Square », où les partisans d’Ahmadinejad se rassemblaient, vers le « Vank Square ». Les témoins sur place signalent que les deux manifestations se sont déroulées sans incident.

Comme s’il était déterminé à prouver sa maîtrise de la situation, le président Ahmadinejad s’est rendu en Russie afin de participer à une réunion de l’Organisation de Coopération de Shanghai. Pendant ce temps, à Téhéran, un immense rassemblement de supporters d’Ahmadinejad s’est tenu dans un lieu prévu pour accueillir une manifestation pro-Mousavi. Le candidat réformiste a exhorté ses partisans de ne pas s’y rendre afin d’éviter les affrontements, mais le message d’Ahmadinejad était clair : il a mis en garde le camp Mousavi qu’il pourrait payer un prix élevé s’il remettait en question les résultats de l’élection.

Circulant dans les zones tribales de Bakhtari, près d’Ispahan, Al-Ahram Weekly a constaté un solide soutien pour Ahmadinejad. La plupart des personnes interrogées admirent le président en exercice pour sa lutte contre la corruption.

Des informations non confirmées font état de l’arrestation de deux éminents réformistes, Hajarian Saïd et Mohamed Ali Abtahi. Le premier avait été un haut responsable des services de renseignements iraniens, le second avait été directeur de Cabinet du président durant le mandat de Mohamed Khatami. Si les informations données dans le journal pakistanais de langue anglaise News International sont exactes, alors l’opposition sera privée de deux puissants supporters connus pour leurs compétences organisationnelles.

Le Weekly a appris d’une source proche du camp d’Ahmadinejad que la lutte contre la corruption, et « le nettoyage des institutions de l’Etat », étaient en première position dans le programme du président iranien à l’occasion de son nouveau mandat.

La remarque fait allusion à une confrontation avec Hashemi Rafsandjani, accusé par Ahmadinejad de corruption lors d’un débat télévisé de la campagne électorale à la veille du scrutin. L’objectif d’Ahmadinejad est d’unifier les opposants politiques et idéologiques de Rafsanjani derrière lui, polarisant encore plus le climat en Iran.

Selon la même source, les élections ont été « justes et reflètent fidèlement la volonté populaire », ajoutant que l’équipe autour du président escomptait que le large soutien dont dispose Ahmadinejad et son refus de céder à l’opposition finiraient par faire cesser les manifestations.

L’opposition est déterminée à ne pas donner à ses adversaires le moindre prétexte légal à la répression et aux emprisonnements. Elle a fait en sorte que ses manifestations soient aussi calmes que possible, tout en faisant pression pour une intervention des autorités judiciaires et constitutionnelles dans l’espoir de gagner peu à peu l’avantage sur le camp d’Ahmadinejad.

Plus tôt cette semaine, Mousavi a écrit au Guide suprême lui demandant d’ordonner une nouvelle élection pour des raisons de « claires irrégularités ». Il a répété sa demande au Conseil des Gardiens, en collicitant une enquête sur les « irrégularités » et un recomptage des votes dans certains districts. Le conseil a accepté de recompter des voix contestées lors de l’élection. Mais il n’a pas voulu annuler les résultats.

Les observateurs voient une nouvelle orientation dans la tactique adoptée par l’opposition, impliquant des porte-parole pro-Mousavi à l’étranger. S’exprimant depuis Paris, le cinéaste iranien Mohsen Makhbalbaf a annoncé que les partisans de Mousavi continueront de manifester et feront appel à une autorité religieuse afin qu’elle émette une fatwa déclarant illégitime la présidence d’Ahmadinejad.

Le camp Mousavi a eu des difficultés à mobiliser ses partisans. Les SMS [messages électroniques] ont été bloqués, ainsi que le site internet de Mousavi. Ses supporters ont dû par la suite recourir à des formes plus traditionnelles de communication, pas toujours avec succès. Dans une manifestation, il y a quelques jours les manifestants scandaient : « demain, à 5 heures à la place Vali Asr », mais il a fallu ensuite changer le lieu car une manifestation pro-Ahmadinejad avait été convoquée au même endroit et à la même heure.

Les soupçons des supporters de Mousavi à propos de trucages électoraux sont confirmés par des déclarations officielles qui montrent une quasi-uniformité de majorité des deux tiers en faveur d’Ahmadinejad, même dans la circonscription azérie de Mousavi, ce qui selon ses partisans est impossible. Pas plus, disent-ils, qu’Ahmadinejad n’ait pu remporter une majorité des deux tiers dans les grandes villes où des sondages avant les élections montraient une avance pour Mousavi.

Dans l’espoir d’enrayer la montée des tensions, certains conservateurs modérés ont lancé un appel pour un gouvernement d’unité nationale. Il est douteux que la proposition soit retenue, notamment parce que ce serait interprété comme une victoire pour Mousavi et le camp des opposants. Il semble que il y ait une division du travail dans ce camp, Rafsandjani travaillant dans les coulisses en cherchant le soutien des autorités religieuses, tandis que l’équipe autour de Mousavi mobilise un soutien populaire pour maintenir le mouvement d’opposition à l’encontre d’Ahmadinejad.

Les réactions internationales venant des Nations Unies, des États-Unis et de l’Europe ont également eu un impact. Tous ont exprimé leur inquiétude sur l’évolution de la situation à la suite des résultats des élections, créant un climat international qui ne peut être que défavorable à Ahmadinejad et à son camp.

Les événements en Iran, à leur tour, ont un impact sur la scène internationale. Les manifestations en cours vont encourager les capitales internationales à répondre de façon plus marquée, ce qu’atteste la récente déclaration d’Obama : « Je suis inquiet. Il ne serait pas juste à mon avis de garder le silence. »

Il existe un « attitude stratégique » se voulant au-dessus de la mêlée mais qui se trouve maintenant confrontée à un dilemme. En dépit de toutes les projections et tous les calculs, les manifestations ont pris tout le monde par surprise. Elles sont trop importantes pour être réprimées par la force, laquelle ne ferait que pousser les manifestants à se radicaliser et la société à se polariser encore davantage. Mais il est impossible d’accepter une nouvelle élection qui serait saluée comme une victoire pour le camp Mousavi et qui causerait des fissures encore plus grandes dans le régime en place.

Toutes les actions devront être très soigneusement évaluées au cours des prochains jours. Le régime de Téhéran a traversé quelques pénibles épreuves. Il a survécu à huit longues années d’une guerre lancée par l’Irak et appuyée par les États-Unis. Il a résisté à près de 30 années de sanctions économiques et bravé le flot permanent de menaces de la part de l’administration Bush. Il y a cinq jours, un adversaire d’un genre nouveau et inattendu est apparu. Cet adversaire vient de l’intérieur et il a fait ressentir sa présence avec force dans les rues des grandes villes iraniennes. Il pourrait être le plus grand défi auquel le régime ait jamais eu à faire face.

18 juin 2009 - Al Ahram Weekly - Vous pouvez consulter cet article à :
http://weekly.ahram.org.eg/2009/952...
Traduction de l’anglais : Claude Zurbach


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