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Le pari de Rafsanjani se retourne contre lui

jeudi 18 juin 2009 - 22h:40

MK Bhadrakumar - Asia Times Online

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Une analyse pertinente, réaliste, approfondie de l’élection présidentielle d’Iran, loin des désidératas des pouvoirs politiques coloniaux occidentaux et de leurs médias propagandistes qui font une nouvelle fois la promotion obscène d’une "révolution de velours".

Les vrais enjeux des élections iraniennes

La politique iranienne n’est jamais facile à décoder. Toute l’agitation autour de l’élection présidentielle de vendredi est source de curiosité pour la plupart des décrypteurs avident de scanner les codes iraniens. Ainsi donc, de nombreuses fausses pistes sont apparues et il est devenu difficile de trouver qui étaient les réels concurrents et quels étaient les enjeux politiques.

Dans cette bataille, le dirigeant suprême, l’Ayatollah Ali Khamenei a remporté une victoire éclatante. L’éminence grise de la politique iranienne, Akbar Hashemi Rafsanjani a subi une cuisante défaite. Le rideau est-il entrain de tomber définitivement sur la carrière tumultueuse du "Shark" (Requin) le sobriquet de Rafsanjani acquis dans le puits vicieux du Madjis iranien (parlement) où il avait l’habitude en tant que porte-parole de nager dangereusement comme prédateur politique dans les premières années de la Révolution islamique ?

Compte tenu de l’importante marge (64%) avec laquelle le Président Mahmud Ahmadinejad a gagné, il est tentant de dire que comme l’énorme baleine du roman épique de Herman Melville, Moby Dick, Rafsanjani est entrain de couler, profondément blessé par le harpon, dans l’oubli froid de la mer de la politique iranienne. Mais on ne peut jamais réellement l’affirmer.

L’Administration du Président Barack Obama aux Etats-Unis a pu voir à travers le fonctionnement allégorique de l’élection iranienne et probablement anticiper le torrent de destruction qui suivrait une fois que la vengeance se déchaînerait. Elle a fait ce qu’il fallait en restant distante, délibérément détachée. La partie difficile se joue maintenant - démarrer des négociations avec la maison que Khamenei préside tel un monarque sur tous ses sujets.


D’abord, l’ABC de l’élection. Qui est Mir Hossein Mousavi le principal opposant d’Ahmadinejad dans l’élection ? C’est une énigme enveloppée de mystère. Il a fait impression sur la jeunesse et la classe moyenne urbaine comme réformateur et moderniste. Pourtant, comme Premier ministre en Iran de 1981-89, Mousavi était franchement dur. A l’évidence, ce que nous avons vu au cours de sa campagne high tech c’est un Mousavi bien différent, comme s’il s’était déconstruit minutieusement et reconstruit lui-même.

C’est ce que Mousavi avait à dire lors d’une interview en 1981 concernant la crise de 444 jours des otages quand de jeunes révolutionnaires iraniens ont séquestré des diplomates américains : "c’était le commencement de la deuxième phase de notre révolution. C’est après cela que nous avons découvert notre véritable identité islamique. Après cela nous avons eu le sentiment que nous pouvions regarder la politique occidentale en face et l’analyser de la même façon qu’ils nous avaient analysés pendant de nombreuses années".

Il a très probablement été impliqué dans la création du Hezbollah au Liban. Ali Akbar Mohtashami, le saint patron du Hezbollah, a servi comme son ministre de l’Intérieur. Il a été impliqué dans l’affaire Iran-Contra en 1985, un deal avec l’Administration de Ronald Reagan où les US fourniraient des armes à l’Iran en contrepartie de quoi Téhéran faciliterait la libération des otages américains retenus par le Hezbollah à Beyrouth. L’ironie c’est que Mousavi était totalement à l’opposé de Rafsanjani et l’une des premières choses que ce dernier a fait en 1989 lorsqu’il a pris ses fonctions de président a été de montrer la porte à Mousavi. Rafsanjani n’avait pas de temps à perdre pour "l’anti-occidentalisme" de Mousavi ou son hostilité viscérale contre l’économie de marché.

La plate-forme électorale de Mousavi était un curieux mélange de positions politiques contradictoires et d’intérêts personnels, le tout unifié dans le cadre d’un mission maniaque, principalement celle visant à s’emparer des commandes présidentielles du pouvoir en Iran. Elle rassemblait de soi-disant réformistes qui soutenaient l’ancien président Mohammad Khatami et des ultraconservateurs du régime. Rafsanjani est le seul homme politique en Iran qui a pu rassembler des groupes aussi disparates. Il a oeuvré assidument main dans la main avec Khatami jusqu’à la fin.

Si on doit laisser de côté la "foule Gucci" largement inconséquente de Téhéran nord, qui sans nul doute a donné pas mal de couleur, de verve, et de joie à la campagne de Mousavi, le gros de sa plate-forme politique comprenait des intérêts personnels puissants visant à s’emparer du pouvoir aux mains du régime dirigé par Khamenei. D’un côté, ces groupes d’intérêts s’opposaient sérieusement aux politiques économiques d’Ahmadinejad qui menaçaient leur contrôle de secteurs clés tels le commerce extérieur, l’éducation privée et l’agriculture.


Pour ceux qui ne connaissent pas vraiment l’Iran, il suffit de dire que le clan familial Rafsanjani possède de vastes empires financiers en Iran, incluant le commerce extérieur, de vastes propriétés terriennes et le réseau le plus vaste d’universités privées en Iran. Connu sous le nom d’Azad, il y a 300 branches disséminées dans tout le pays, qui non seulement pouvaient injecter de l’argent mais aussi établir un réseau d’étudiants actifs pour la campagne électorale de Mousavi de quelque 3 millions de personnes.

Les campus Azad et auditoriums ont fourni les points de ralliement dans les provinces pour la campagne de Mousavi. L’objectif c’était de faire en sorte que la campagne puisse toucher les pauvres du monde rural et leurs multitudes qui forment la base de l’électorat d’Ahmadinejad. Le style politique de Rafsanjani c’est de construire des réseaux étendus dans pratiquement tous les échelons élevés de la structure du pouvoir, spécialement dans des organisations telles que : Guardian Council, Expediency Council, le clergé Qom, le Majlis (parlement), le judiciaire et la bureaucratie, le bazar de Téhéran et même des éléments à l’intérieur de cercles proches de Khamenei. Il a fait entrer en action ses cellules d’influence.

L’axe Rafsanjani/Khatami constituait la principale plate-forme politique de Mousavi comprenant des réformistes et des conservateurs. La compétition des quatre candidats était supposée donner un résultat divisé obligeant à un deuxième tour le 19 Juin. La candidature de l’ancien commandant du corps des Gardes de la Révolution iranienne (IRGC), Mohsen Rezai (qui a servi sous Rafsanjani quand ce dernier était président) était supposée rallier une partie des cadres des IRGC et des conservateurs importants.

De plus, le quatrième candidat, Mehdi Karrubi, avait un programme "réformiste" supposé siphonner le soutien à Ahamdinejad par son offre de politiques économiques basée sur la justice sociale telle l’idée très populaire de distribuer les revenus du pétrole au peuple plutôt qu’il aille dans les caisses du gouvernement.

Le complot de Rafsanjani c’était de faire en sorte que l’élection se prolonge de sorte que Mousavi puisse récupérer les votes "anti Ahmadinejad". L’estimation c’était qu’au mieux Ahmadinejad obtiendrait au premier tour 10 à 12 millions de votes des 28 à 30 millions qui pourraient effectivement voter (pour un électorat complet de 46.2 millions) et par conséquent, si l’élection se prolongeait avec un deuxième tour, Mousavi en profiterait nettement car les votes de Rezai et Karrubi étaient essentiellement des votes "anti Ahmadinejad".


La campagne électorale était déjà bien avancée quand le régime a réalisé que derrière la clameur demandant un changement de direction à la présidence, Rafsanjani visait en fait la direction de Khamenei et que l’élection était une guerre de proxys. L’origine du conflit entre Rafsanjani et Khamenei remonte à la fin des années 80 quand Khamenei a assuré la direction en 1989.

Rafsanjani faisait partie de ceux nommés par l’Imam Khomeini au premier Conseil révolutionnaire qui avaient sa confiance, alors que Khamenei a rejoint le Conseil plus tard quand le nombre de ses membres a été augmenté. Donc Rafsanjani en a toujours voulu à Khamenei de lui avoir ravi le poste de dirigeant suprême. L’institution religieuse proche de Rafsanjani a fait circuler la rumeur que Khamenei n’avait pas les références religieuses requises, qu’il était indécis comme président exécutif, et qu’on pouvait se poser des questions sur le processus de l’élection, ce qui jetait un doute su la légalité de sa nomination.

Des religieux puissants, poussés par Rafsanjani, ont affirmé que le dirigeant suprême était supposé être non seulement une autorité religieuse (mujtahid), mais aussi qu’on attendait de lui qu’il soit une source d’émulation (marja ou un mujtahid ayant des disciples religieux) et que Khamenei ne remplissait pas ses conditions - à la différence de Rafsanjani lui-même. La démystification de Khamenei reposait sur l’argument fallacieux que son éducation religieuse était douteuse. Les piques lancés par les religieux associés à Rafsanjani ont continué dans les premières années 90. Ainsi, Khamenei a pris ses fonctions sans grande assurance et pendant le gros de la période où Rafsanjani a été au pouvoir comme président ( 1989-1997) il a adopté un profil bas compte tenu des circonstances.

Le résultat c’est que Rafsanjani a exercé plus de pouvoir comme président que n’importe quel autre président à Téhéran. Mais Khamenei a attendu le bon moment, tout en commençant à étendre progressivement son pouvoir. S’il manquait d’appui auprès de l’establishment religieux d’Iran, il a plus que compenser en attirant à ses côtés l’establishment sécuritaire, spécialement le ministre des Renseignements, les IRGC et les milices Basij.


Tandis que Rafsanjani frayait avec les autorités religieuses et le bazar, Khamenei s’est tourné vers un groupe de jeunes politiciens brillants, intelligents, ou avec des antécédents sécuritaires qui rentraient des champs de bataille de la guerre Irak-Iran - tels Ali Larijani, l’actuel porte-parole du Maljis, Said Jalili, actuellement le secrétaire du Conseil de Sécurité nationale, Ezzatollah Zarhami, chef de la radio et de la TV d’Etat, de même que Ahmadinejad lui-même.

Le pouvoir c’est inévitablement accumulé entre les mains de Khamenei une fois qu’il eut gagné la loyauté des IRGC et des Basij. A la fin de la présidence de Rafsanjani, Khamenei était déjà à la tête des trois branches du gouvernement et des médias d’état, commandant en chef des forces armées, et même d’institutions lucratives telles que l’Imam Reza Shrine ou l’Oppressed Foundation, qui ont des capacités presque illimitées pour étendre leur patronage politique.

Ainsi donc, globalement, la structure actuelle du pouvoir prend la forme d’un vaste appareil patriarcal de la direction politique. Donc, des analystes perspicaces ont vu juste quand ils ont conclu qu’Ahmadinejad ne s’en serait jamais de lui-même publiquement et directement pris à Rafsanjani lors du débat télévisé controversé du 4 juin à Téhéran avec Mousavi.

Ahmadinejad a dit : "aujourd’hui ce n’est pas Mr Mousavi seul qui s’oppose à moi, puisqu’il y a trois gouvernements successifs de Mr Mousavi, Mr Khatami, et Mr Hashemi (Rafsanjani) ligués contre moi". Il a pointé directement à Rafsanjani pour avoir été le cerveau d’un complot pour le renverser. Il a dit que Rafsanjani a promis la chute de son gouvernement à l’Arabie Saoudite. Rafsanjani a contre attaqué les jours suivant en adressant un message à Khamenei demandant qu’Ahmadinejad se rétracte "de sorte qu’il n’y ait pas besoin d’action légale".

"J’attends de vous que vous régliez la situation afin d’éteindre le feu dont la fumée peut être vue dans l’atmosphère, et d’agir pour déjouer des complots dangereux. Même si je devais tolérer cette situation, il ne fait aucun doute que certaines personnes, et factions ne toléreront pas cette situation", a prévenu un Rafsanjani en colère.

Simultanément, Rafsanjani a aussi rallié sa base au sein de l’establishment religieux. Une clique de 14 religieux senior à Qom ont pris parti pour lui. Tout cela était un acte de désespoir pour défendre des intérêts personnels, désespérés qu’ils étaient de la redoutable montée en puissance des IRGC ces dernières années. Mais, si Rafsanjani a calculé que la "mutinerie" au sein de l’establishment religieux énerverait Khamenei, il a mal interprété l’équation des pouvoirs à Téhéran. Khamenei a fait la pire chose possible pour Rafsanjani. Il a simplement ignoré le "Requin".

Les IRGC et les volontaires Basij, qui rassemblent des dizaines de millions de personnes, se sont mobilisés rapidement. Ils se sont joints aux millions de pauvres ruraux qui adorent Ahmadinejad en tant que chef. Cela a été une répétition de l’élection de 2005. La participation a atteint un chiffre record de 85%. Dans les heures qui ont suivi l’annonce de l’énorme victoire d’Ahmadinejad, Khamenei a manifesté son approbation en applaudissant la participation très importante et a appelé à une "vraie célébration".

Il a dit : "Je félicite... le peuple pour ce succès massif et presse tout le monde d’être reconnaissant pour cette bénédiction divine. Il a mis en garde les jeunes et les supporters du candidat élu et les supporters des autres candidats afin qu’ils soient complètement vigilants et afin d’éviter toute action et discours provocateurs et suspects."

Le message de Khamenei à Rafsanjani est direct : accepter la défaite avec grâce et éviter plus de malversation. L’élection de vendredi permet à la maison du dirigeant suprême Khamenei de rester à l’évidence le centre névralgique du pouvoir. Ce sont les quartiers généraux de la présidence du pays, des forces armées d’Iran, spécialement des IRGC. C’est la source des trois branches du gouvernement et le point nodal des politique étrangère, sécuritaire et économique.

Obama peut envisager une façon de démarrer directement des négociations avec Khamenei. C’est un défi difficile.




Ambassadeur M K Bhadrakumar est diplomate de carrière de l’Inde à la retraite. Il a été en poste en Union Soviétique, Corée du Sud, Sri Lanka, Allemagne, Afghanistan, Pakistan, Uzbekstan, Koweit, et Turquie.

16 juin 2009 - Publié sur Planète non violence


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