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Vivre parmi les morts à Gaza

vendredi 22 mai 2009 - 05h:09

Eman Mohammed
The Electronic Intifada

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Vivre parmi les morts est une réalité amère pour les âmes qui rêvent d’une vie meilleure.

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Mahmoud, 4 ans, fait ses devoirs sur une tombe dans le cimetière d’al-Sheikh Shaban.




Quand vous regardez Mahmoud Jilu, quatre ans, taper dans son ballon avec ses copains, rien ne vous paraît bizarre jusqu’à ce que vous remarquiez l’endroit où il est en train de jouer. Mahmoud court après son ballon dans un jardin rempli de tombes, et ce jardin est le cimetière où vit sa famille qui ne se souvient pas avoir connu autre chose aussi loin que remontent ses souvenirs.

Les six membres de la famille de Jilu sont tous là entassés dans une maison minuscule avec une chambre et un petit espace pour la cuisine avec une tombe juste à côté. Pour Afaf Jilu, âgée de 30 ans et mère de trois garçons et d’une fille, ce n’est pas la vue sur les tombes environnantes qui l’affecte le plus, mais l’exiguïté du cadre qui l’oblige à vivre dans une pièce unique avec son époux et ses quatre enfants.

« Ne pas avoir de vie privée, c’est ça qui rend la vie insupportable, » dit Afaf. « Quand j’essaie de m’endormir, mes enfants veulent regarder la télé, ce ne sont que des enfants. Le pire serait de leur refuser ce qu’ils veulent faire. »

Afaf ajoute : « Je conserve à l’esprit que nous aurons notre maison une fois que la situation économique dans le pays sera meilleure et alors, je pourrai planter beaucoup d’arbres autour de la maison au lieu d’avoir un cimetière qui nous étrangle tout autour. Nous tenons tous à nos petits rêves, nous les gardons en tête pour qu’ils se réalisent. C’est ce que nous avons appris de mieux en vivant ici ; plus on voit de gens mourir, qui laissent leurs rêves derrière eux, plus nous tenons aux nôtres. C’est la seule façon d’aller de l’avant ! »

Pour Muhammad qui a 13 ans, l’équation est différente car il ne peut jamais amener ses copains pour jouer ou étudier, il se sent comme « quelqu’un de bizarre » du fait de vivre dans un cimetière. « Mes copains ne s’habituent pas à l’idée de vivre au milieu des morts. On peut s’en servir pour faire une blague idiote mais pas pour y vivre réellement. Parfois, je me sens honteux de cet endroit, » dit-il.

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Afaf Jilu dans sa cuisine familiale.

Nour, 16 ans, n’est pas d’accord avec son frère car elle se sent libre d’inviter ses amies de l’école dans sa « sorte » de maison. « Je n’ai pas de problèmes avec les filles à l’école à cause de l’endroit où je vis. C’est tellement superficiel, seuls les enfants pensent autrement. Les filles me respectent pour ce que je suis et non en fonction de l’endroit où je vis. De plus, de nombreuses familles ont perdu leurs maisons récemment après leurs destructions pendant la guerre et elles n’en ont pas honte, pourquoi le devrais-je moi ? ». Nour dit qu’elle rêve d’aller, un jour, au collège et de devenir infirmière. Elle veut soigner des malades dans des hôpitaux et être appelée « ange de la miséricorde ».

Suhail Jilu, 43 ans, est chauffeur de taxi, il est le soutien de la famille. Sa famille vit dans le cimetière d’al-Sheikh Shaban, en pleine ville de Gaza, depuis 1948, quand ils ont été expulsés de leurs terres à Jaffa par les forces sionistes. Il a deux emplois, et il aide aussi aux funérailles occasionnellement près de chez lui, afin de faire un peu d’argent pour une nouvelle maison. Suhail a reçu récemment un avertissement officiel des autorités pour évacuer sa maison au motif qu’elle se situe sur les terres du gouvernement.

Il raconte d’un ton désespéré, « Qui voudrait d’une telle vie pour lui et ses enfants ? A la fois il y a la situation et le gouvernement qui nous tombent dessus ! Comme si on avait le choix !  ».

Et d’ajouter, « Nous avons des rêves que nous espérons impatiemment pour une autre vie, loin des morts et de la misère. Notre situation n’était pas meilleure que celle des autres durant la dernière guerre ; en réalité, elle était pire, toujours en contact avec la mort, à chaque funérailles, jour après jour. Rien ne pouvait plus affecter la santé mentale de mes enfants. »

Comme d’autres à Gaza, la famille Jilu est confrontée aux difficultés de la situation économique du fait du siège de Gaza. Malgré leurs tentatives désespérées pour partir du cimetière, ils n’ont pu changer de maison. Les Jilus sont pris toujours entre deux feux, soit être expulsés et n’avoir aucune alternative pour se loger, soit être étouffés avec un nombre toujours plus grand de tombes autour d’eux. Vivre parmi les morts est une réalité amère pour les âmes qui rêvent d’une vie meilleure.




Eman Mohammed est reporter photographe jordano-palestinien basée dans la bande de Gaza depuis 2005.

Gaza, le 19 mai 2009 - The Eletronic Intifada - photos de l’auteur - traduction : JPP


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