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« Retourne à Gaza et va y mourir »

dimanche 10 mai 2009 - 08h:17

Stephanie Doetzer - Al Jazeera.net

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Depuis le bouclage par Israël de la bande de Gaza en 2007, seuls certains Palestiniens gravement malades ont été autorisés à suivre des soins à l’extérieur, et à condition qu’ils en aient reçu le droit de la part des autorités israéliennes d’occupation.

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Les hôpitaux de Gaza n’ont souvent pas les moyens de traiter les cas les plus graves. Ici un adolescent terriblement blessé dans un bombardement israélien - Photo Getty

Toutefois, obtenir le permis spécial qui permet aux patients de quitter Gaza pour recevoir des soins médicaux est un casse-tête bureaucratique et, comme le disent de nombreux habitants de Gaza, il est fourni avec des menottes.

Selon l’organisation israélienne Médecins pour les Droits de l’Homme (Physicians for Human Rights - PHR), il est de plus en plus souvent exigé des patients palestiniens de faire un choix impossible : soit devenir un collaborateur des services de renseignement israéliens, soit rester dans la bande de Gaza, sans traitement médical.

Al Jazeera s’est entretenu avec Hadas Ziv, le directeur du PHR.

Al Jazeera : Votre organisation a recueilli des dizaines de témoignages de patients qui ont été incités à collaborer avec le service général de sécurité israélien. Comment avez-vous appris cela ? Un Palestinien ne pourra que difficilement admettre qu’il ou elle a été invité(e) à devenir un informateur.

Ziv : C’est exact, il ne s’agit pas d’un sujet que les gens abordent facilement, et cela doit se faire progressivement. Notre organisation tente d’aider les patients de Gaza empêchés par les autorités israéliennes de suivre un traitement en Israël ou de traverser Israël pour aller dans les hôpitaux de Cisjordanie.

Au lieu d’accorder le passage ou de le rejeter clairement, les Israéliens commencent à dire : « Permis en attente d’interrogatoire ». Le permis conditionnel ne dépend pas tant des conditions de santé, mais des résultats de l’interrogatoire au point de passage d’Erez.

Ensuite, beaucoup de patients avec qui nous avons été en contact reviennent de l’interrogatoire en nous disant ne pas avoir obtenu le permis : « Ils ont tenté d’extorquer que je collabore avec eux, et comme je n’étais pas prêt à leur fournir des informations, ils m’ont renvoyé à Gaza. »

Comme de plus en plus de gens nous ont raconté la même histoire, nous avons compris qu’il s’agissait d’une nouvelle politique.

« Comment savez-vous que ces témoignages sont véridiques ? »

Les témoignages proviennent de personnes très différentes, d’âges différents, d’opinions politiques différentes et de différentes villes de la bande de Gaza. Imaginer qu’il existerait un tel degré de coordination entre l’ensemble des patients est assez exagéré. Mais plus important encore, il faut beaucoup de courage pour nous parler de cette question.

Certains des patients ont beaucoup à perdre s’ils nous parlent.

Vous avez commencé à recueillir des témoignages au cours de l’été 2007. Mais quand pensez-vous que cette pratique a débuté ?

Très peu de temps après la prise de contrôle de la bande de Gaza par le Hamas. Depuis lors, Israël considère la bande de Gaza comme une entité ennemie, comme quelque chose qui doit être étroitement surveillé et contrôlé.

Mais aussi, il est devenu plus difficile pour les services de sécurité générale (GSS) de recueillir des renseignements venant de la bande de Gaza. Ils ont peu de contacts directs avec les Palestiniens.

Les seuls qui sont encore autorisés à traverser Erez, même s’ils rencontrent pour cela beaucoup de difficultés, sont les patients. Ils sont une proie facile pour la GSS. Ils sont très vulnérables — pour certains, sortir de Gaza peut être une question de vie ou de mort.

La GSS exploite cette situation pour exercer des pressions.

Existe-t-il une procédure bien définie pour ces interrogatoires ?

Cela varie. Ce qui est plus récent est que vous ayiez un rendez-vous pour l’interrogatoire, et celui-ci n’est pas fixé le jour de votre traitement. Mais il y a aussi des cas où les gens pensent qu’ils ont un permis et peuvent traverser [la frontière], mais ils sont par surprise soumis à un interrogatoire. Parfois, le patient doit attendre dans une pièce pendant plusieurs heures, à l’écart de sa famille.

Ensuite, ils l’amènent dans une autre salle pour y être interrogé. Ils peuvent vous demander si vous connaissez des membres du Hamas ou ils vous suggèrent une coopération à long terme : « Si vous nous aider, nous allons vous aider. Vous avez besoin d’un traitement, nous avons besoin d’informations. Nous vous donnerons un numéro, vous pouvez nous contacter par téléphone une fois par semaine et nous donner des informations sur vos voisins ».

Si vous refusez, ils deviennent plus directs : « Bon, retourne à Gaza et va y mourir ».

Qu’arrive-t-il de retour à Gaza ?

Les patients sont dans une situation de perdants. S’ils refusent de coopérer avec les Israéliens et sont renvoyés, ils peuvent en mourir parce qu’ils ne peuvent pas trouver un traitement approprié dans la bande de Gaza.

Si’ils parviennent à obtenir un permis [de sortie], ils seront catalogués comme collaborateurs potentiels.

Que vous le soyez vraiment ou pas n’est pas le plus important. Si les gens pensent que vous collaborez, votre vie peut être en danger. En fin de compte, tout le monde soupçonne tout le monde. C’est comme dans le roman d’Orwell : 1984.

Et c’est l’objectif : l’humiliation et la division.

L’objectif, en premier lieu, et plus immédiat, n’est-il pas tout simplement la collecte de renseignements ?

C’est juste l’objectif apparent.

Je pense que le principal objectif est de briser la cohésion et la solidarité entre les Palestiniens. De cette façon, il est beaucoup plus difficile pour eux de rester unis et de lutter pour une cause commune.

Ce qui est déjà le cas entre le Fatah et le Hamas s’étend alors entre voisins, entre familles ... et cela est bon pour celui qui cherche à vous contrôler.

Mais le gouvernement israélien affirme qu’il veut un partenaire pour les négociations et donc d’une organisation palestinienne unie ?

Ce qui me dérange le plus en tant que citoyen israélien, c’est que nous souffrons d’une sorte de psychose collective.

Nous sommes régis par la peur et la manipulation par la peur. La sécurité est l’absolu.

Mais ce qui nous est proposé est une définition très étroite de la sécurité. Personne n’a le courage de dire que la sécurité à long terme, c’est la sécurité pour tous, pas seulement pour nous mais également pour les Palestiniens. Mais nous refusons de voir cela, car nous avons laissé la peur régir notre vie.

Nous avons toujours peur de quelque chose. Si l’on cesse d’avoir peur d’une chose, une autre la remplace. Lorsque le Hamas a pris le contrôle de la bande de Gaza, il est devenu très commode pour le gouvernement israélien de l’exploiter. Le Hamas est présenté au public israélien comme une organisation avec laquelle vous ne pouvez pas discuter. Mais il y a 20 ans, nous avions déjà prétendu impossible de parler au Fatah. Chaque fois, on crée une situation dans laquelle, selon vous, vous n’avez personne avec qui négocier.

Comment vos points de vue sont-ils accueillis par les autres Israéliens ?

Quand je discute avec des gens ils affirment que je devrais être reconnaissant aux personnes qui me défendent. Que la GSS pourrait me sauver la vie par le biais de ces interrogatoires. Ils disent que je suis naïf, que je ne suis pas un patriotique et d’autres choses dans le même style.

Mais je pense que mon point de vue est tout aussi légitime que les autres.

En Israël, si vous mentionnez le mot « sécurité », aucun argument supplémentaire n’est nécessaire. Ils disent que les patients peuvent se rendre en Israël pour organiser des attaques terroristes. Dans ce cas, la société israélienne ne demande pas d’autre explication.

Le résultat est que les choses même que nous n’oserions pas faire à des criminels, sont tout à coup admissibles quand il s’agit de Palestiniens. C’est comme si nous avions deux systèmes de valeurs. Et cela n’est possible que parce que nous déshumanisons les Palestiniens. Si nous les considérions comme des êtres humains, ce ne serait pas possible.

Tout est conditionné par rapport à nous. Pour nos besoins et notre sécurité. Je pense que ce n’est pas justifiable. Non seulement parce que les victimes souffrent. Bien sûr, la souffrance des victimes est inimaginable. C’est au-delà de ce que je peux exprimer. Imaginez que vous êtes la mère d’une jeune fille de 17 ans qui souffre d’un cancer, qui a besoin d’un traitement d’urgence et qui est soumise à un chantage par la GSS. Vous, alors que vous êtes sa mère, vous restez dans une autre pièce et vous ne savez pas ce qui se passe avec votre fille. C’est proprement inimaginable pour moi.

Mais est également inconcevable pour moi ce que sera ma société à l’avenir si elle continue à se comporter de cette façon. J’ai peur pour ma société. Je pense que nous sommes à un carrefour. Nous devons choisir. Si nous voulons rester des êtres humains, nous ne pouvons pas continuer comme cela.

8 mai 2009 - Al Jazeera - Vous pouvez consulter cet article à :
http://english.aljazeera.net/focus/...
Traduction : Info-Palestine.net


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