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Les guerres passent mais l’ennemi reste le même

lundi 27 avril 2009 - 06h:20

Robert Fisk

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Le Ministère de la Peur va-t-il rouvrir ? J’avais tout d’abord imaginé - après que Lord Blair nous ait finalement quitté et que George Bush ait laissé la Maison Blanche - que l’institution en question avait été fermée, ce qui au moins quelques heures nous avait semblé possible [...].

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Combattants Taliban - Reportage de Claire Billet

Le changement ? L’Espoir ? Le Renouveau ? L’Imagination ? Et bien non, nos maîtres nous renvoient toujours les mêmes poncifs. Il n’y a aucun monde nouveau, juste un nouvel âge sombre fait de crainte et de terreur.

Il y a quelques mois ce genre de formule à la Bush nous aurait paru familier et usant. « Que je sois clair : Al-Qa’ida et ses alliés — les terroristes qui ont planifié et mis en oeuvre les attaques du 11 septembre — sont au Pakistan et en Afghanistan. Les multiples rapports des agences de renseignement ont prévenu qu’Al-Qa’ida prévoyait activement de lancer des attaques sur notre patrie, les Etats-Unis, depuis son sanctuaire du Pakistan... Si le gouvernement afghan tombe aux mains des Talibans — ou permet à Al-Qa’ida de rester le maître — ce pays sera à nouveau une base pour les terroristes qui veulent tuer autant de nos gens qu’ils peuvent. » Mais ce ne sont pas des paroles prononcées par Bush. C’est un discours clôné de Bush, un discours d’Obama...

Et à présent revenons au style de Blair : « Les organisations terroristes à notre époque aspirent à utiliser les produits chimiques, biologiques, radiologiques et même les armes nucléaires. Les évolutions technologiques et le vol et la contrebande de produits chimiques, biologiques, radioactifs, nucléaires et explosifs rendent cette aspiration plus réaliste qu’elle n’a jamais pu l’être dans un passé récent... » Hou là..., c’est ce qu’a produit le Home Office [équivalent du ministère de l’intérieur] pour vous. Des bombes sales. Des armes biologiques, selon les femmes et les hommes des services de renseignement — les mêmes équipes sans doute que celles qui nous ont servi les histoires d’armes de destruction massive et de déclenchement d’attaque en 5 minutes il y a 6 ans et qui maintenant travaillent pour Madame Jacqui [Gillian Merron, actuelle responsable du Foreign Office]. J’ai pensé que c’était Churchill qui nous avait avertis en 1940 d’un nouvel âge sombre « rendu plus sinistre et peut-être prolongé par les lumières d’une science pervertie ».

Que ces deux avertissements à moitié éculés aient été servis à trois jours l’un l’autre le mois dernier n’était sûrement pas le fait du hasard. Notez comment les Taliban ont été maintenant assimilés à Al-Qa’ida, comment le terrain du Moyen-Orient a été repoussé plus à l’est. Un moment il était question de l’Irak, de l’Iran et de l’Afghanistan. Maintenant il est question de l’Afghanistan et du Pakistan. Et noter comment les attentats dans le métro de Londres se sont soudainement transformés en bombes sales, en poison et en radioactivité. La région frontalière entre l’Afghanistan et le Pakistan serait aujourd’hui « l’endroit le plus dangereux au monde », selon Obama.

Bien, parlons du Raj [« Raj » est une dénomination de la période de domination britannique du sous-continent indien : Inde, Pakistan, Sri Lanka, Bangladesh et Birmanie]. Sir Mortimer Durand n’avait-t-il pas défini une frontière — appelée ensuite la ligne Durand — pour séparer l’Inde de l’Afghanistan ? Et cette zone n’a-t-elle pas toujours été « l’endroit le plus dangereux au monde » (excepté, je suppose, la ?Palestine’ qui pour toutes les raisons habituelles a été exclue du discours d’Obama du 27 mars). N’est-ce pas pas juste à quelques kilomètres plus haut sur la route, dans la passe de Khyber vers Kaboul, qu’une armée britannique dans sa totalité a été liquidée en 1842 (*) ? Et n’est-ce pas en 1893 que Sir Roberts a parlé « de politique expansionniste pour développer notre influence, et établir la loi et l’ordre sur cette partie de la frontière où l’anarchie, le meurtre et le vol ont jusqu’à présent régné de façon absolue... Il y a quelques 40 années la politique de non-intervention à l’égard des tribus, à condition qu’elles ne nous causent pas de soucis, a pu paraître sage et prudente, bien qu’égoïste et pas tout à fait digne d’une grande puissance civilisatrice ».

Ouais, c’était la même frontière « poreuse » dont parle Obama aujourd’hui — et comptez combien de fois vous lirez le mot « poreux » dans les semaines à venir. Le problème est que ces satanés Pathans pensent que cet endroit s’appelle le Pushtunistan et ne reconnaissent pas plus la ligne Durand aujourd’hui qu’ils ne l’ont fait au 19ème siècle. Et quand des millions de personnes ignorent tout simplement une frontière, tous les chevaux et tous les hommes de n’importe quel roi (ou du président Obama) ne pourront rien y faire. « Nous insisterons pour que des mesures soient prises, d’une manière ou d’une autre, à chaque fois que nous aurons des informations concernant des cibles terroristes d’importance, » promet Obama. Si le gouvernement pakistanais n’agit pas, les Etats-Unis le feront.

Hum.. hum... Dans les jours de l’empire, nous avons traversé la ligne Durand depuis le Raj vers l’Afghanistan. Aujourd’huit Obama va changer l’intrigue en envahissant dans la direction opposée, depuis l’Afghanistan vers l’ancien Raj. Et avec juste 20 000 hommes de troupes en plus.

Mon collègue John Griffiths a fait une recherche dans les dossiers soviétiques à propos des tentatives de Moscou pour chasser le « terrorisme » d’Afghanistan avec des renforcement en troupes et des incursions frontalières. Voici une analyse faite par l’académie militaire soviétique de Frounze [Kirghizistan] concernant les « terroristes » que les Russes ont combattus en Afghanistan durant huit sanglantes années :
« Plusieurs principes de combat sont au coeur de la tactique des moujahedins. D’abord, ils évitent le contact direct avec des forces régulières supérieures qui pourraient les balayer. En second lieu, les moujahedins n’ont pratiquement jamais conduit de guerre de position et, une fois menacés d’encerclement, ils abandonnent leurs positions. Troisièmement, dans toutes les formes de combat les moujahedins ont toujours tâché d’imposer la surprise. Quatrièmement, les moujahedins utilisent la terreur et le conditionnement idéologique à l’encontre d’une population paisible aussi bien qu’à l’encontre des représentants locaux du gouvernement. »

Les spécialistes de l’académie Frounze en concluent que leurs ennemis « terroristes » appréciaient l’action nocturne, pouvaient se déplacer rapidement à travers les montagnes frontalières (« l’endroit le plus dangereux dans le monde » dont parle Obama), disposaient d’un large réseau de renseignement et pouvaient prendre connaissance en détail des mouvements tenus secrets d’unités soviétiques. Qu’est-ce que cela évoque pour vous aujourd’hui (**) ? Dans son livre qui sera bientôt édité, Griffiths recommande que le rapport des académiciens de Frounze soit placé sur le bureau de chaque président des Etats-Unis, toujours ouvert à cette page.

N’apprenons-nous donc jamais rien ? Le Pakistan musulman explose sous nos yeux tandis qu’Israël, quand il ne vole pas encore plus de terres appartenant aux Palestiniens musulmans en Cisjordanie, hurle que l’Iran — et non le Pakistan — représente la plus grande menace pour la paix du monde. Son ministre des affaires étrangères ne veut même d’un état palestinien. Et que devrions-nous faire ? Tenter de soigner les blessures du Cachemire, de la « Palestine », du Kurdistan, du Liban. Mais au contraire, nous sommes lancés dans une autre aventure. Poison, bombes sales, et tout le reste. L’endroit le plus dangereux au monde. Courir vers un nouveau Khyber...

(*) Une colonne de 16 500 militaires et civils britanniques emmenée par le général William Elphinstone a été décimée par des guerriers Ghilzai à la passe d’Andamak entre Kaboul et Jalalabad. Il y a eu un seul survivant. Lire : « Du colonialisme en Asie », éditions « Mille et une nuits », de Karl Marx et Friedrich Engels.

(**) Consultez également l’excellent reportage de Claire Billet : Combattants Taliban : reportage au combat

Du même auteur :

- Obama va-t-il faire profil bas à propos du génocide des Arméniens ? - 9 avril 2009
- Un homme courageux qui seul a fait front. Si seulement le monde l’avait écouté... - 2 avril 2009
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- Quand avons-nous cessé de nous soucier de la mort des civils en temps de guerre ? - 2 février 2009
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- Gaza : Obama a raté le coche... - 23 janvier 2009

18 avril 2009 - The Independent - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.independent.co.uk/opinio...
Traduction : Claude Zurbach


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