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Les citoyens palestiniens doivent-ils voter aux élections législatives en Israël ?

vendredi 17 avril 2009 - 07h:07

Nimer Sultany
The Electronic Intifada

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Ce qui se passe aujourd’hui est moins une destinée préétablie que la tentative par les autorités [israéliennes] d’imposer une réalité spécifique à la minorité arabe.

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Jusqu’à présent, il n’a été apporté aucune réflexion sérieuse
à la question du boycott et de sa portée.




Les récentes élections israéliennes ont fait l’objet, parmi les citoyens palestiniens d’Israël, d’une relance du débat à propos du sens - ou de l’absence de sens - de leur participation au processus électoral. L’exclusion des partis arabes par la Commission électorale centrale de la Knesset, annulée depuis par la Haute Cour d’Israël, a eu des suites paradoxales : d’une part, elle a renforcé, chez des Palestiniens, le doute vis-à-vis de l’équité et de l’efficacité de la présence de représentants palestiniens au parlement ; d’autre part, cela a mobilisé plus de Palestiniens pour voter et défendre leur représentation. Pour autant, la baisse tendancielle du taux de participation des Palestiniens aux élections nationales de ces dernières années s’est maintenue : 53% seulement des électeurs palestiniens inscrits ont voté aux élections de février. Dans ce contexte de baisse de la participation et de montée de l’extrême droite sioniste, une explication et une évaluation des principales positions dans ce débat - en particulier de ceux qui appellent au boycott palestinien des élections israéliennes - s’imposent.

De toute évidence, aborder la question du boycott des élections législatives exige de se pencher sur toute une série de questions qu’il est difficile de traiter complètement dans un article court. Néanmoins, je ne crois pas que considérer les élections comme une béquille dont on ne pourrait en aucun cas se passer (c’est-à-dire comme une nécessité) soit perspicace. Mais je ne crois pas non plus que le boycott des élections soit le remède facile et magique à la multitude de difficultés auxquelles les citoyens palestiniens sont confrontés en Israël. Telles sont les deux approches qui prévalent au sein de la communauté palestinienne d’Israël.

Les partisans de la première approche ont utilisé ces dernières années de nombreux slogans pour bien faire ressortir leur position. Parmi ces slogans : « Il n’y a pas de neutralité en enfer », « S’abstenir c’est se marginaliser », « Je vote... donc je suis ». La seconde approche passe par une sorte de slogan saisonnier par des groupes qui agissent principalement pour les élections.

La première approche : s’accrocher désespérément à des sièges parlementaires

Historiquement parlant, la première approche a conduit à justifier, aux yeux de certains citoyens palestiniens d’Israël, de voter pour des candidats de l’establishment sioniste, tels que Shimon Peres en 1996 et Ehud Barak en 1999. Elle a conduit aussi à percevoir le cadre des élections législatives comme l’arène principale pour l’action politique, faisant ainsi, pour de nombreux citoyens palestiniens en Israël, des partis politiques représentés au parlement le principal, voire le seul, acteur politique. Cette opinion a persisté malgré l’apparition, à partir des années 70, d’organisations nationales qui n’ont rien fait pour se lancer dans la bataille électorale et malgré le nombre croissant d’associations actives de la société civile nationale dans les années 90. Evidemment, l’équation « voter c’est avoir une influence » (ou vice versa) a semé la confusion, que ce soit délibérément ou non, entre la simple expression du slogan et sa mise en pratique.

De toute évidence, on peut avoir de l’influence en votant mais aussi sans voter (c’est-à-dire agir en dehors du processus électoral). La question fondamentale demeure : qu’entendent ceux qui défendent cette idée par influence ? Soyons clairs, influencer le processus israélien de prise de décisions politiques ou entrer dans des coalitions de gouvernement ne sont pas des options sérieusement réalistes valant même la peine d’être considérées. En conséquence, la situation devient risquée à cause de l’écart entre le slogan lui-même et son utilité effective. Ainsi, l’inepte slogan se transforme-t-il en couverture d’une réalité d’exclusion, emballée sous le terme d’intégration. En effet, le mouvement islamique extraparlementaire, conduit par Sheikh Raed Salah, a prouvé qu’il était possible d’avoir un impact sans entrer à la Knesset.

En outre, les justifications qui ont été récemment développées comme, « Malgré les massacres qui ont été commis à Gaza et nonobstant les tentatives de suppression de la représentation arabe au parlement, et plutôt même à cause d’eux, nous devons voter en grand nombre », faisaient passer le message que le vote était une sacro-sainte stratégie qu’il ne fallait en aucun cas abandonner. Contrairement à cette idée, je crois que c’est en principe une erreur de faire des élections une fin en elles-mêmes, et d’elles-mêmes, par opposition à un outil avec lequel on parvient à des objectifs globaux. L’évidence de cette erreur apparaît au regard des pratiques de ceux qui soutiennent ces idées, telle que leur volonté de former des alliances diverses quelquefois conflictuelles d’une campagne électorale à l’autre pour s’assurer l’entrée au parlement. Il faut noter que l’expression « bataille électorale » fait partie maintenant de notre discours politique récurrent, tout comme ces formules ressassées, « Ces élections arrivent à un moment critique », ou « à un tournant historique », etc. De même, le slogan, « Il n’y a pas de neutralité en enfer », se présente-t-il comme un ensemble de faits figés, immuables, simplifiant à l’excès la réalité, comme s’il procédait de la logique de l’obligation de choisir entre l’un et l’autre, comme s’il n’était pas possible de se donner une troisième option réalisable. Ainsi, le processus électoral législatif devient un évènement à la fois fondateur et extraordinaire, et s’accrocher désespérément à des sièges parlementaires devient justifié.

La seconde approche : boycotter les élections comme solution à la question de la légitimité apportée à l’Etat d’Israël

La seconde approche propose de boycotter les élections comme solution au problème de légitimité (c’est-à-dire que les citoyens palestiniens en Israël confèreraient une légitimité à l’Etat simplement en votant aux élections législatives). Cette approche exige aussi une refonte du Haut Comité de suivi des citoyens arabes d’Israël en un organe représentatif élu. Le problème réside dans la première moitié de l’argument qui considère la légitimité comme le produit direct du processus de vote, ou de son absence, sans prendre en considération d’autres éléments qui influent sur cette légitimité. Certains de ces éléments ne sont pas nécessairement rattachés aux citoyens arabes ou à leur comportement politique (comme la légitimité de l’Etat aux yeux de la communauté internationale ou du point de vue des citoyens juifs de l’Etat). Alors que d’autres éléments ont un lien direct avec le comportement politique, celui-ci ne se réduisant pas au processus électoral lui-même. Autrement dit, la légitimité de l’Etat du point de vue de ses citoyens palestiniens est liée non seulement à leur vote ou abstention, mais plus encore à leur conscience. Par conséquent, les questions qui se posent sont : comment ces Palestiniens voient-ils l’Etat indépendamment de leur vote ou abstention ? Voient-ils le processus électoral et la représentation au parlement comme un moyen ou comme une fin ? Et comment peut-on peser sur ces approches ?

Il est clair que jusqu’à présent, il n’a été apporté aucune réflexion sérieuse à la question du boycott et de sa portée, comme des circonstances qui autorisent tel type de boycott. Il est clair également que la question du boycott se rattache exclusivement au vote pour la Knesset. Les autres facteurs moins liés à la légitimité de l’Etat - tels que : le vote des conseils locaux, la saisine de la Haute Cour israélienne et l’utilisation de l’appareil judiciaire, l’obtention d’une carte d’identité israélienne - ces autres facteurs sortent des limites d’une discussion difficile. Manifestement, il n’y a pas pour eux d’objection pour engager une bataille sur une base tactique et il n’est donc pas nécessaire, s’agissant du boycott, d’englober tous ces éléments mais seulement certains d’entre eux. Je les ai cités uniquement pour soulever deux problèmes les concernant : le premier, il faut être clair sur les objectifs et donc sur les outils avec lesquels on veut y parvenir ; et le second, rappeler simplement que l’abstention n’est pas un projet à elle seule mais doit être un élément d’un tout.

Deux obstacles majeurs à un boycott comme début d’un processus"

Il y a deux obstacles majeurs au boycott, en plus de ceux cités ci-dessus. D’abord, il faut assurer un soutien classique au boycott au sein des mouvements existant et de différentes tendances politiques, et ainsi recueillir un large appui populaire pour l’option boycott et garantir son succès le moment venu. Ensuite, que feront les forces politiques et populaires au lendemain du succès du boycott ? Ceci pour dire que le boycott, comme cela devrait être évident, est le début de l’ « histoire » et non la fin.

Concernant le premier obstacle, le boycott de 2001 a réussi manifestement parce qu’il ne s’agissait d’élire qu’un Premier ministre. Il était donc facile pour les partis arabes de soutenir le boycott étant donné qu’il ne leur coûtait rien ni à leurs dirigeants. Si on prend en considération que certains représentants arabes ont siégé longtemps à la Knesset, alors il est certain que dans de tels cas, l’opposition au boycott peut ne pas être seulement une question purement politique, mais aussi toucher aux intérêts personnels. Ainsi, s’il y a un besoin puissant pour un soutien maximum à une telle démarche, il est vrai aussi alors qu’un consensus ne sera pas obligatoirement réalisable dans tous les cas (spécialement parce qu’un mouvement existe qui considère l’intégration comme son objectif et, par conséquent, qui voit dans le boycott et la représentation nationale extraparlementaire institutionnalisée des Palestiniens une entrave à la réalisation de cet objectif). Par conséquent, conditionner le boycott à la réalisation d’un consensus entre les principales forces politiques est un obstacle pour faire avancer l’option. Et en absence de consensus politique, si trouver un large soutien est nécessaire ce n’est pas une condition suffisante étant donné qu’il y a nécessité - comme je l’ai dit précédemment - d’une volonté et d’une force organisationnelles pour que le boycott soit un succès.

Le second obstacle a trait à la nécessité déjà mentionnée de relier le boycott à un projet plus vaste. Evidemment, rien n’existe dans un vide politique. Si boycotter signifiait la fin des actions de terrains et de la sensibilisation politique par les mouvements politiques qui l’ont initié, alors les partis au pouvoir et les branches de l’Etat n’auraient qu’à se servir de la séduction et de l’intimidation pour combler ce vide politique, et ils ont tous les moyens pour y parvenir. La représentation parlementaire donne de l’importance au mouvement politique dans les médias, elle lui apporte les ressources permettant à ses principales activités de se concentrer exclusivement sur l’action politique, et elle lui procure un certain niveau de protection du fait de l’immunité parlementaire assurée aux membres de la Knesset, ainsi que certains apports financiers aidant l’appareil du parti et ses relations publiques à toucher et sensibiliser la conscience des gens. Pourtant, nous avons vu que cette immunité a commencé à s’éroder ces dernières années, conséquence de différentes lois et mesures, tout comme s’effrite quelque peu l’importance de la presse écrite. Ce que j’essaie de démontrer, c’est que l’élection d’un corps représentatif pour les Arabes (tel le Haut Comité de suivi), malgré son importance capitale, n’est pas la seule question importante à cet égard. De même, le comité a besoin d’un cadre de référence ou d’un ensemble de principes définis pour lui donner une identité nationale ou nationaliste.

Toute convergence sur un cadre de référence et un projet (à long terme) suppose une analyse fine et astucieuse de la réalité du moment. Selon moi, la dialectique de l’émancipation (dans les rangs des citoyens palestiniens) et de l’oppression (du côté des autorités) continuera le plus vraisemblablement à monter en flèche, et la situation de la minorité arabe continuera à se détériorer au fil des prochaines années à de nombreux niveaux, notamment économiques et sociaux. Par conséquent, l’occupation et la colonisation des territoires palestiniens occupés sont sur la voie d’un retranchement renforcé, et il est plausible de supposer que leur intensité ira croissant. De plus, la dernière agression violente sur Gaza et les divisions politiques qui en résultent pourraient entraîner l’arène palestinienne (y compris en Israël) dans une bras de fer entre « modérés » et « extrémistes » qui pourrait durer plusieurs années.

Le boycott : une option très rapidement réalisable

Ainsi, le moment où le boycott peut devenir une option sérieuse et réalisable est très proche si les préparatifs nécessaires sont exécutés. Mais le boycott n’est pas une fin en soi et ne doit pas être pratiqué avec une impression de démission à l’égard de la politique et de l’efficacité du boycott. Sinon, ce ne serait qu’un moyen de plus pour priver les gens d’espoir. Nous devons faire la distinction entre la tendance au retrait de la politique, à la recherche d’un intérêt pour soi-même ou pour un groupe au sens étroit du terme (famille, village ou communauté religieuse), et l’utilisation du boycott comme arme politique pour atteindre des objectifs politiques.

Le boycott doit être utilisé dans le contexte d’une émancipation : d’un côté, exposer les déficiences et la futilité du processus politico-électoral national et de l’autre, créer les cadres extraparlementaires et les modes d’actions politiques pour atteindre deux objectifs. Le premier objectif est de permettre le développement d’outils pour combler l’espace créé par le retrait de l’arène parlementaire, et ceci requiert la prise de mesures d’indépendance économique, laquelle à son tour permettra l’autonomie politique (des mesures comme : financer des responsables politiques à plein temps, des bureaux et des publications politiques ainsi que l’accès aux médias). Le second objectif concerne ces cadres et modes d’actions pour qu’ils attirent le public et en particulier la jeunesse et les étudiants universitaires vers une action politique, en insistant sur l’idée que le changement est possible, en posant les garde-fous contre toute tendance à revenir à ce qui se passe aujourd’hui - comme si c’était un destin écrit à l’avance auquel on ne peut échapper - et en résistant au désespoir et à l’abattement qui mènent inexorablement à la paralysie.

Ce qui se passe aujourd’hui est moins une destinée préétablie que la tentative par les autorités d’imposer une réalité spécifique à la minorité arabe. En fin de compte, ce qui détermine le succès ou l’échec de ces politiques est la façon dont les citoyens palestiniens vont y faire face et les affronter.


Nimer Sultany est un citoyen palestinien d’Israël et titulaire d’un doctorat de la faculté de droit d’Harvard. Il est l’éditeur de :
Citoyens sans citoyenneté,
Israël et la minorité palestinienne - 2003 et
Israël et la minorité palestinienne - 2004.

Une version de cet article a été publié dans Jadal, question n°2 de mars 2009, magazine bi-mensuel publié par Mada al-Carmel - centre arabe pour la recherche sociale appliquée.

Son adresse courriel : nsultany@law.harvard.edu.

Du même auteur :

- Non, Lieberman n’est pas un accident de la nature !
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13 avril 2009 - The Electronic Intifada - traduction : JPP


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