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La critique du public s’affaiblit

samedi 20 janvier 2007 - 16h:39

Yagil Lévy - Ha’aretz

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Dan Haloutz est le premier chef d’état-major à quitter ses fonctions à la suite d’une pression du public. En son temps, David Elazar avait démissionné après la guerre de Kippour sur la recommandation que la commission Agranat avait adressée au gouvernement et non pas à cause d’une pression du public qui, elle, avait visé les dirigeants politiques et non l’armée. En outre, la conduite de Dan Haloutz depuis la fin de la guerre [au Liban] a été guidée par le principe selon lequel l’armée est tenue de restaurer la confiance du public en elle ; de là le déluge d’enquêtes et l’étalage de leurs résultats au public. Aujourd’hui, le chef d’état-major démissionne non pas parce que l’échelon politique l’y a poussé mais parce qu’il a compris que la confiance en lui du public était tombée si bas qu’il lui était difficile de remplir ses fonctions, tout en érodant également la confiance en lui au sein de l’armée.

Apparemment, donc, le principe démocratique du contrôle exercé par le civil sur l’armée a gagné, puisque c’est l’érosion de la confiance du public dans le chef d’état-major qui a entraîné sa démission. Mais ce n’est pas elle. La démission du chef d’état-major signe précisément la faiblesse du contrôle civil.

La subordination du chef d’état-major à l’égard du gouvernement impose notamment à l’échelon politique de séparer le public du commandement militaire. Un dialogue direct du commandement militaire avec le public, d’une manière qui contourne l’échelon politique, ne s’accorde pas avec le principe du contrôle politique sur l’armée, en particulier lorsque ce dialogue vise à mobiliser un soutien du public en faveur d’une position qui fait l’objet d’une controverse politique. Un dialogue direct signifie que l’activité de l’armée déborde aussi dans le champ de la conception de la politique et ne se limite pas seulement à sa mise en ?uvre, et que l’armée pénètre dans les domaines de la controverse politique et de la négociation politique. Par ailleurs, un tel type de dialogue est susceptible de renforcer l’armée face aux politiciens en faisant de l’armée une espèce d’interprète de la volonté du public. Cela ne change rien si, en pratique, l’armée obéit en fin de compte aux ordres de l’échelon politique, puisque ces ordres dérivent de l’équilibre des forces entre les côtés.

C’est pourquoi l’échelon politique est censé servir d’interprète exclusif de la volonté du public dès lors qu’il s’agit de traduire cette volonté, si confuse soit-elle, sous forme de directives données à l’armée, y compris au niveau personnel. Le chef d’état-major s’appuie sur la confiance de l’échelon politique et c’est de là que dérive sa capacité de remplir sa fonction et non pas directement de la confiance du public. Il est vrai que, dans des conditions de service militaire obligatoire, l’armée a besoin d’une confiance accrue du public, mais cette confiance doit aller à l’armée en tant qu’institution ainsi qu’aux institutions d’Etat qui la dirigent, et ne se traduire en décisions à un niveau personnel que dans la mesure où elles sont prises par les dirigeants politiques.

Le « discours d’économie de marché », devenu dominant depuis les années 80, a conduit le « citoyen-consommateur » à considérer l’armée comme fournisseur d’un service - à savoir la sécurité - tandis que le citoyen a un rôle de consommateur mais aussi de fournisseur d’un service, dans la mesure où c’est lui qui fournit à l’armée ses ressources humaines et matérielles. Les citoyens-consommateurs-fournisseurs exigent par conséquent de l’armée qu’elle rende compte de la qualité du service et de son prix. Les pressions exercées pour accroître la transparence dans la conduite des services de la Défense, sous la forme d’une pénétration plus profonde des médias dans l’armée, en ont été une indication. La deuxième guerre du Liban a marqué une étape supplémentaire dans cette pénétration, avec une critique s’étendant aussi aux racines de la conduite professionnelle de l’armée.

Dans des circonstances de légitimité en déclin, le haut commandement militaire est poussé à mener un dialogue direct avec le « public de clients » comme moyen de lutter pour obtenir des ressources et une légitimité dans un environnement de compétition. En raison du déclin de la politique de partis traditionnelle, ce dialogue est conduit directement avec le public même par-dessus la tête des politiciens, comme les chefs d’état-major en ont pris le pli depuis Mota Gur. Ils se voyaient en hommes de confiance du public et pas seulement du gouvernement. C’est en cela qu’on a pu leur conférer, de manière critique, le surnom de « chefs d’état-major politiques ». Le dialogue avec le public a entraîné les chefs de l’armée à lui exposer également un point de vue non encore élaboré, de première source, et à ne plus se satisfaire de la médiation des politiques.

La critique du public à l’encontre de l’armée, après la guerre, et qui a maintenant conduit à la démission de Haloutz, affaiblit encore davantage les mécanismes de la médiation entre le public et l’échelon supérieur de l’armée, et marque une étape supplémentaire faisant du chef d’état-major et des généraux des personnages publics. En l’absence d’une conduite effective de l’échelon politique tant pour imposer son autorité sur l’armée que pour représenter ses intérêts sur la scène publique, et devant l’abstention du gouvernement à initier tout changement dans la hiérarchie militaire après la guerre, mais aussi à accorder pleinement son soutien à l’organisation, le chef d’état-major s’est retrouvé seul sur le front du dialogue avec le public et il a échoué.

La transformation du chef d’état-major et des généraux en personnages publics ne modifie pas seulement l’équilibre du pouvoir entre ceux-ci et les politiques au profit des membres de l’armée. Il y a là également de quoi renforcer le brouillage qui caractérise déjà l’armée de la « société de marché », brouillage entre la mise en ?uvre correcte des exigences de la profession militaire et les besoins du marché. Une armée qui lutte pour son image publique, avec une médiation politique lâche, est encline à faire démonstration de ses exploits guerriers pour justifier ses ressources et renforcer ainsi la confiance du public. Une armée comme celle-là est difficile à freiner. La réhabilitation du contrôle politique sur l’armée constitue, par conséquent, une des leçons de la démission de Haloutz.










Yagil Lévy enseigne au département de politique publique à l’Université Ben Gourion, dans le Néguev. Il est l’auteur de Trial and Error. Israel’s Route from War to De-Escalation, State University of New York Press, 1997.

Ha’aretz, le 18 janvier 2007
Version anglaise : "Debilitating public criticism"
Traduit de l’hébreu par Michel Ghys

Lire en ligne : "Le chef d’état-major de l’armée israélienne a démissionné"


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