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Ajoutant l’insulte à l’injure

samedi 20 janvier 2007 - 17h:13

Relly Sa’ar - Ha’aretz

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Les atteintes physiques et, par-dessus le marché, l’insulte : l’affaire des immigrés marocains irradiés en Israël pour traiter la teigne.

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Une victime d’irradiation témoignant devant une commission de la Knesset en 1994. Calvitie et cancer font partie des effets du traitement.
(Ph. Yaron Kaminski)

Bien que cela se soit produit il y a 51 ans, Albert Asayag, un habitant de Dimona âgé de 55 ans, se souvient du moment traumatisant où il fut attaché à une chaise et où il eut la tête irradiée aux fins de traiter sa teigne du cuir chevelu, affection au nom scientifique de « tinea capitis », comme si c’était hier.

Âgé alors de quatre ans, il avait émigré du Maroc en Israël avec ses parents et ses quatre frères et s ?urs. C’était en 1955, au cours d’une des vagues d’immigration de masse, en provenance d’Afrique du Nord. Quelques mois plus tard, sa famille s’installa à Kfar Shamai, dans le nord d’Israël ; des responsables des autorités vinrent pour emmener Asayag et ses frères et s ?urs dans le camp de transit pour immigrants de Sha’ar Ha’aliya, près de Haïfa.

« Je me souviens d’avoir beaucoup pleuré : je ne voulais pas m’asseoir sur cette chaise, et on m’y a forcé. Je me souviens qu’ils m’ont étalé quelque chose de chaud, comme de la poix, sur la tête, après quoi ils ont arraché tous mes cheveux », se remémore-t-il.

Asayag faisait partie de ces dizaines de milliers d’enfants immigrés de pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, qui furent exposés à des niveaux extrêmement élevés d’irradiation, dans le cadre d’un projet des autorités médicales israéliennes visant à éradiquer la teigne. Cette initiative eut cours de la fin des années 1940 jusqu’à la fin des années 1960. Les champignons qui causent la teigne, une mycose - le Microsporum canis et le Tricophyton verrucosum - sont particulièrement contagieux entre enfants, et peuvent provoquer des rougeurs squameuses et une démangeaison extrême, susceptible de provoquer une alopécie [perte des cheveux, NdT] irréversible.

La Tinea capitis [teigne du cuir chevelu] se traite, de nos jours, à l’aide de crèmes fongicides et éventuellement d’antibiotiques. Mais, au milieu du vingtième siècle, la crainte de la contagion et de l’épidémie incitaient les personnels soignants à « traiter » les enfants immigrants en les exposant à des radiations atteignant une intensité équivalente à près de cinq cents radiographies classiques. Asayag se souvient avoir passé deux mois dans le camp de transit de Sha’ar Ha’aliya, et y avoir été soumis à ce type d’irradiation.

Voici douze ans de cela, Israël a reconnu sa responsabilité dans les conséquences dévastatrices de ces irradiations intempestives, dont des cicatrices sur le cuir chevelu, des calvities, des chutes des dents prématurées et des tumeurs, tant cancéreuses que bénignes. La Loi de Compensation de la Teigne du Cuir Chevelu stipule que les personnes en mesure de prouver à un comité d’experts du ministère de la Santé qu’elles ont été irradiées dans leur enfance ont droit à des compensations proportionnelles aux dommages corporels subis.

Mais les victimes doivent effectuer des démarches interminables avant de percevoir les compensations que leur reconnaît cette loi.

Le procureur Zvi Regev, qui indique avoir représenté près de mille personnes concernées devant ledit comité, en atteste. « Les personnes entamant des démarches en vue d’obtenir des compensations gouvernementales pour les souffrances indicibles qui leur ont été infligées sont soumises à des interrogatoires tortueux. Des membres du comité s’ingénient à le désarçonner par leurs questions retorses, ignorant le fait que des dizaines d’années se sont écoulées depuis ces événements. Ainsi, par exemple, s’il atteste avoir ressenti de la douleur au moment où il était irradié, son appel sera vraisemblablement rejeté. Car, pour être précis, ce n’étaient pas des radiations - lesquelles sont totalement indolores, sur le moment - mais bien l’arrachage des cheveux restants qui causaient cette douleur », explique-t-il.

Asayag dit qu’il a été en mesure de décrire au comité la couleur des fleurs qui poussaient tout près de la chambre d’irradiation, à Sha’ar Ha’aliya. « Ils m’ont demandé comment il se faisait que je m’en souvenais ? J’ai répondu que je n’avais jamais pu l’oublier, car je n’ai jamais cessé d’avoir mal à la tête, depuis lors », explique-t-il.

La politique extrêmement rigide du comité s’est avérée un moyen efficace et délictueux pour épargner l’argent public. Les statistiques du ministère de la Santé montrent que durant le seul mois écoulé pas moins de 34 500 personnes ont attaqué l’État afin d’obtenir des compensations, sous l’empire de la Loi Tinea Capitis de 1994. 47 % de ces procès ont été cassés. Seuls, 16 908 plaignants ont franchi l’épreuve de l’établissement de la preuve et ont produit des pièces à conviction que le Comité n’a pas été en mesure de démentir.

Malgré cela, le trésor s’efforce toujours de réduire les coûts induits par la loi Tinea Capitis. La semaine dernière, la Knesset a adopté le budget 2007 en première lecture, avec une majorité de 68 députés. Ce budget comporte un amendement à la loi Tinea Capitis, initialisé par le ministère des Finances conformément au projet de loi sur les Arrangements économiques, adopté voici deux mois : tout individu peut faire appel en vue d’obtenir des compensations « durant jusqu’à quatre années, à compter de la date à laquelle l’événement le rendant éligible à des compensations est intervenu. »

De plus, le chapitre 2 de cet amendement stipule : « Les protocoles des délibérations du comité d’experts ainsi que les décisions relatives à l’éligibilité aux compensations financières en vertu de la Loi Tinea Capitis ne sauraient être transmis à aucune des parties. »

Me Avri Rav-Hon est le conseiller juridique de l’association à but non-lucratif qui assiste les victimes à obtenir des compensations en vertu de la loi Tinea Capitis. Il dit avoir représenté les intérêts de dizaines de victimes de ces radiations.

« En dépit de ses obligations morales, le nombre de personnes reconnues et dédommagées par l’État d’Israël est infinitésimal. D’après les témoignages et les archives, ce sont de 150 000 à 200 000 enfants de moins de quinze ans qui ont été exposés à des radiations, durant plus de quatorze années, en Israël et dans des camps de transit en Europe », explique-t-il.

Les compensations sous l’empire de la loi Tinea Capitis étant accordées en fonction de la gravité de la maladie de l’individu, quelqu’un qui - comme M. Asayag - n’a pas encore développé de tumeur maligne, et qui « ne souffre que » de zones de calvitie et de céphalées constantes n’a droit que de 5 à 39 pour cent d’invalidité. Cela ne lui garantit qu’un versement unique de 1 218 NIS [nouveaux shekels israéliens = 220 ?] pour chacun de ces points.

« Le comité m’a reconnu une pension voici un an de cela. En dépit du fait que cela ne change pas grand chose, étant donné tout ce que j’ai souffert, je ne suis pas d’accord pour me soumettre à des examens interminables. J’ai vraiment peur qu’ils ne trouvent autre chose. Ma famille me dit que je me mets en danger, mais je ne veux pas l’écouter. J’ai dit au comité : « Si je découvre que je l’ai attrapé [le cancer], je serai incapable de le supporter. »

Quiconque développe « la chtouille » - sous forme de leucémie, de cancer de la peau, de la thyroïde ou de la gorge - est éligible à une compensation maximale. Des personnes atteignant les 75 à 100 % d’invalidité sont éligibles à un prêt versé en une seule fois d’un montant de 150 000 shekels [=27 000 ?], et à une allocation mensuelle de 1 400 à 1 800 shekels [254-326 ?]. Une fois que le comité a reçu la plainte d’une personne affirmant avoir été exposée à ces radiations durant l’enfance, un comité de l’Institut National de l’Assurance [INA] détermine le niveau des compensations, et des paiement rétroactifs sont garantis à partir du jour de l’année 1994 où la loi est entrée en vigueur.

D’après les données de l’INA, Israël verse des allocations d’invalidité pour les victimes irradiées pour tinea capitis d’un montant de 40 points ou plus. Jusqu’à la fin de l’année 2006, l’INA a ainsi versé 790 millions de shekels [=143 millios ?], et 3 150 personnes sont allocataires de pensions d’invalidité mensuelles.

Regev dit que le décret du Trésor imposant des limitations à quatre ans est « une catastrophe morale. Ces limitations signifient qu’au cas où un individu a découvert qu’il avait un cancer, voici cinq ans, et qu’il n’a pas pu établir un lien de causalité entre les radiations et sa maladie - en conséquence de quoi il n’est pas inscrit en vue de se voir reconnaître une compensation et une invalidité, sa demande est considérée comme ayant expiré, et il n’est éligible à aucune compensation pécuniaire, en dépit du fait que l’Etat est bel et bien responsable de sa maladie ».

Le ministre des Finances affirme que les dépenses très importantes découlant de la Loi Tinea Capitis justifient cet amendement. « Quand la loi a été adoptée, il a été estimé que de 100 à 150 millions de shekel seraient nécessaires à sa mise en application. L’INA a versé, au total, 850 millions de shekel jusqu’à ce jour [ce qui est supérieur de 60 millions de shekels au montant déclaré par l’INA lui-même au Ha’aretz]. Sous la forme qui est la sienne aujourd’hui, la loi coûterait plus d’un milliard de shekels. »

Tous ceux qui ne sont pas familiarisés avec la cuisine interne des comités du ministère de la Santé risquent de ne pas comprendre pourquoi l’amendement au deuxième chapitre de la loi, qui finalise les protocoles de ces comités, pourrait permettre d’épargner les finances publiques. Mais Regev dit que l’objectif de cet amendement est de rendre encore plus difficile, pour les plaignants et leurs conseils, de répondre aux questions retorses des comités...

« Actuellement, le plaignant et son avocat ne sont autorisés à recevoir que des protocoles partiels, afin d’assurer la confidentialité des questions des comités et des réponses des plaignants. Au cas où on demanderait à quelqu’un s’il (elle) était assis(e), ou s’il (si elle) était étendu(e) durant l’irradiation, au cas où le plaignant (la plaignante) hésiterait dans la réponse, et où le représentant de l’État israélien ferait des commentaires à ce sujet, alors le protocole pourrait aider un autre postulant à répondre correctement aux questions posées, ce qui risquerait de lui valoir une pension... »

Le budget ayant franchi désormais l’examen en première lecture, l’amendement à la Loi Tinea Capitis est assujetti aux procédures législatives normales. Apparemment, il sera transféré à la commission du Travail, de la Santé et de la Sécurité sociale afin de l’amender en vue d’une deuxième lecture. Ce n’est qu’après celle-ci que le projet de loi pourra être soumis à la Knesset, aux fins d’être voté.

M. Rav-Hon indique espérer que « la proposition injuste du trésor sera rejetée par les députés à la Knesset. Le trésor est en train de jouer à la roulette avec les secteurs les plus affaiblis de la société. Les victimes affectées par la teigne causée par le champignon Tinea capitis ne vivent certes ni dans la somptueuse Mevasseret Zion, ni à Denia, la banlieue chic de Haïfa, ni dans les quartiers huppés du Nord de Tel-Aviv. Ils habitent les cités pourries de Be’er Sheva, de Dimona, de Sderot et d’Ofakim. Ce sont de pauvres gens, déshérités, à l’éducation limitée, que l’Etat israélien a sévèrement blessés durant leur enfance. Et voilà qu’aujourd’hui, le Trésor radine sa fraise et se targue de leur dénier des droits que le législateur leur avait pourtant reconnus. Pourquoi faut-il qu’ils soient ainsi blessés deux fois ? »

Relly Sa’ar - Ha’aretz, le 14 décembre 2006
Version anglaise : "Adding insult to injury"
Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier


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