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Liban - Nouveau bras de fer

vendredi 19 janvier 2007 - 09h:42

Soha Bechara/entretien

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Soha Bechara, militante libanaise vivant à Genève, a passé dix ans de sa vie (1988-1998) dans la prison de haute sécurité de Khiam, « enfer sans nom et sans existence », dont six en isolement complet, pour avoir tiré sur le général Antoine Lahad, chef de l’Armée du Sud-Liban, force spéciale de collaboration avec l’occupant israélien.

Elle a raconté son expérience dans Résistante, publié chez J.-C. Lattès, en septembre 2000.

Depuis le 14 février 2005 (mort de Rafik Hariri), une série d’assassinats ont été perpétrés au Liban. Les médias dominants ont toujours visés la Syrie, bien que l’intervention d’autres forces libanaises, de même que celle des services secrets israéliens et états-uniens ne soit pas exclue, ne serait-ce que pour jouer la carte de la guerre civile. Qu’en penses-tu ?

La série d’assassinats politiques qui ont frappé le Liban depuis le 14 février 2005 ne peut pas s’expliquer par une seule logique. Pour moi, tous ces attentats n’impliquent pas un seul acteur ou commanditaire. On peut d’ailleurs les expliquer de différentes façons si l’on se demande à qui ils ont pu profiter. Et dans ce cas-là, effectivement, tes hypothèses se tiennent et l’on pourrait même élargir le spectre des suspects, pour ce qui est de Rafik Hariri, à certains milieux économiques mafieux, notamment la mafia russe et la famille saoudienne.

Avec le système des mandats, plusieurs pays, dont le Liban, ont été mis sous tutelle d’une puissance occidentale après la Première guerre mondiale.

Crois-tu que les privatisations et l’endettement à marche forcée du pays, l’agression israélienne, l’envoi des troupes de la FINUL II, etc... cherchent à légitimer certaines formes de protectorat moderne ?

On ne peut pas réduire ce qui se passe au Liban au seul jeu des intérêts occidentaux qui voudraient imposer un retour au passé. Les enjeux actuels ont profondément changé. Ils combinent plusieurs éléments, dans un contexte où le régime confessionnel du Liban lie chaque communauté du pays aux autres Etats de la région ou aux grandes puissances, ce qui fait qu’à chaque fois que la situation bouge ailleurs, cela peut déstabiliser la situation intérieure. D’abord, la cause palestinienne est centrale pour tout le Moyen-Orient et influence directement la situation au Liban. Ainsi, Israël s’efforce d’accroître le morcellement des pays arabes afin de légitimer la marginalisation, voire l’expulsion, des Palestiniens d’« Israël ». Par ailleurs, le régime syrien utilise son influence au Liban pour tenter de débloquer le dossier de ses propres territoires occupés en 1967. Enfin, la crise irakienne a contribué à destabiliser tout le Moyen-Orient, aiguisant la compétition entre forces régionales, comme l’Iran et l’Arabie Saoudite, mais aussi entre grandes puissances internationales, d’abord les Etats-Unis, mais aussi l’Europe.

Aujourd’hui, le Hezbollah apparaît comme le fer de lance de la contestation de la rue contre le gouvernement néolibéral de Fouad Siniora, pourtant, il n’est pas clair dans son rejet de la politique économique et sociale du gouvernement...

C’est l’une des raisons pour lesquelles je ne suis pas une sympathisante du Hezbollah. Ceci dit, il faut reconnaître que, du point de vue de la résistance comme de la fidélité à ses engagements auprès de ses membres, c’est un parti cohérent avec ses discours. Il est très jeune et en pleine évolution pour ce qui est de son investissement dans la politique interne libanaise ; il ne dispose donc pas encore d’un projet politique national et d’un programme économique et social achevé. Jusqu’ici, à chaque fois que le Hezbollah n’était pas d’accord avec la façon de gérer les institutions du Liban, il se désengageait et s’abstenait de mener une véritable bataille politique. A ses yeux, la résistance était sa mission principale et je pense qu’il était prêt à beaucoup de compromis pour faire progresser ce combat. Maintenant, le Hezbollah est entré dans une nouvelle phase : il doit faire face à cette nouvelle donne... La rue se mobilise contre le gouvernement pro-occidental de Siniora.

Si le Hezbollah et ses alliés parvenaient à se renforcer au sein du pouvoir libanais, crois-tu que l’on pourrait assister au même scénario qu’en Palestine avec le Hamas, soit à un boycott économique et financier du Liban par les puissances européennes et les USA ?

Le Hezbollah ne veut pas un gouvernement pour lui seul, il veut gouverner avec les autres. De plus, il ne réclame pas le départ de Siniora comme Premier ministre. Il développe en fait une politique très diplomatique. Le Premier ministre devrait donc rester sunnite. Je pense qu’ils vont s’efforcer de trouver une solution où chaque partie pourrait considérer qu’elle est sortie gagnante.

Qu’est-ce que les Libanais peuvent attendre de la solidarité internationale, notamment pour la dette extérieure ou de l’investigation des crimes de guerre israéliens ?

Je pense que les Libanais-e-s sont encore loin de se battre ensemble pour que les crimes de guerre israéliens soient jugés. Cela imposerait de faire les comptes avec des « amis » occidentaux si prompts à voter la résolution 1559 afin de désarmer le Hezbollah et de faire partir la Syrie, qu’ils avaient pourtant couverte pendant 30 ans. En réalité, chaque Libanais-e, ou plutôt chaque communauté et chaque groupe social, voit les choses à sa manière, car nous n’avons pas encore les bases d’un véritable Etat. Le Libanais-e du Sud espère en finir avec la guerre israélienne contre tous les habitant-e-s de sa région, en particulier avec les bombes larguées, dont un million n’ont pas (encore) explosé... Les commerçants s’efforcent de faire prospérer leurs affaires : actuellement, ils veulent que les manifestant-e-s quittent le centre de Beyrouth... Siniora vise à honorer les énormes dettes du pays en augmentant les impôts indirects sur les consommateurs, mais pas sur les entreprises... Certains parlent d’annuler les dettes contre l’abandon du droit au retour des Palestinien-nes du Liban... Ce qui est sûr, c’est que les Libanais-e-s, comme tout autre citoyen-ne, veut la sécurité et que sa vie soit assurée.

Soha Bechara

Soha Bechara est née à Beyrouth en 1967 dans une famille engagée au sein du parti communiste libanais. Elle passe son enfance dans la capitale, ne retournant au Sud-Liban, région d’origine de sa famille, que pour les vacances. Mais avec l’occupation israélienne de 1978 - qui se poursuit avec celle de l’Armée du Sud-Liban, sous contrôle israélien -, elle ne peut plus retourner sur la terre de sa famille. Très jeune, Soha entre alors dans la résistance contre l’occupation. Etudiante de 21 ans, membre du Front national de la résistance libanaise (FNRL), elle tente en 1988 d’éliminer le général Antoine Lahal, chef de l’Armée du Sud-Liban. Son acte lui vaudra dix ans de détention sans jugement dans le camp de Khiam, mis en place par le pouvoir israélien en 1985. Une campagne internationale inlassable la fera libérer le 3 septembre 1998.

Elle a raconté son parcours dans son livre paru en 2000, Résistante. Soha Bechara vit aujourd’hui à Genève, avec son mari et sa petite fille. Elle poursuit son engagement de manière pacifique, au sein du "Collectif Urgence Palestine" notamment.

(Soha Bechara, Résistante (éd. JC Lattès, 2000))

(Source : RSR.)

Publié sur Alternatives international le 18 janvier 2007


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