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La Cour suprême n’est pas pressée

jeudi 18 janvier 2007 - 21h:29

Amira Hass - Ha’aretz

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Si le Ministre de la Défense, Amir Peretz, avait voulu démontrer aussi par des actes que le racisme était à ses yeux une conception bannie et dangereuse - comme on a pu le comprendre des propos qu’il a adressés avant-hier à Avigdor Lieberman, son collègue au gouvernement - il aurait joué de son autorité afin d’abroger à temps l’ordonnance émise par le général Yaïr Naveh, du commandement central, et qui entrera en vigueur après demain. Mais il ne l’a pas fait, et à dater du 19 janvier 2007, il sera donc interdit aux Israéliens et aux étrangers de véhiculer des passagers palestiniens dans leurs voitures, en Cisjordanie.

Si la Ministre de l’Enseignement, Youli Tamir, avait réellement souhaité changer les modèles qui, en 40 ans d’occupation, se sont solidement établis dans le système d’enseignement, elle aurait usé de son poste élevé pour remuer ciel et terre au Parlement et au gouvernement contre l’ordonnance du général qui porte atteinte aux droits des Palestiniens et des Israéliens de nouer des liens sur une base amicale, familiale et idéologique. Elle en avait tout le temps : l’ordonnance a été signée le 19 novembre 2006.

Si le Vice-ministre à la Défense, Ephraim Sneh, qui a ?découvert l’Amérique à Hébron’, en y ?découvrant’ ce qu’on savait déjà, et est arrivé à la conclusion qu’on ne faisait pas respecter la Loi efficacement dans cette ville, y avait vraiment été intéressé, il aurait pu faire barrage à cette ordonnance qui ajoute sa pierre au pouvoir des colons en Cisjordanie : aux termes de l’ordonnance de Yaïr Naveh en effet, seuls des Israéliens (essentiellement des colons mais aussi des gens qui vivent en Israël même) employant des Palestiniens sont autorisés à transporter leurs employés. C’est dire que cette ordonnance renforce une conception selon laquelle les seuls rapports naturels possibles entre un Palestinien et un Israélien juif sont d’employé à employeur.

Si les médias israéliens, qui ont été choqués à la vue de cette jeune femme colon injuriant, avec des airs souverains, ses « voisins » palestiniens d’Hébron, avaient eu aussi le dessein d’être efficaces, ils se seraient organisés à temps pour exprimer leur émoi profond devant la nouvelle ordonnance du général Naveh qui fera un criminel de tout Israélien qui véhiculera, en Cisjordanie, un ami palestinien ou un membre de sa famille qui ne serait pas du premier degré. Mais les médias dans leur ensemble, l’association des journalistes et les juristes spécialisés dans les médias, ont abandonné le travail aux organisations de droits de l’homme et à quelques journalistes isolés. Si les médias n’avaient pas oublié les innombrables articles qu’ils ont eux-mêmes publiés à propos des exactions des colons d’Hébron et du pouvoir militaire à Hébron, ils auraient pu conclure que la séparation démographique imposée par la nouvelle ordonnance de Naveh est fille du même mode de pensée et d’action qui a engendré et continue d’engendrer la pureté ethnique dans le vieux Hébron.

Si l’émoi unanime causé par une femme colon qui a été filmée n’était pas une affaire de taux d’audience, mais qu’il reflétait une position morale largement répandue dans la société, la Cour suprême aurait émis un arrêt provisoire pour suspendre l’entrée en vigueur de l’ordonnance du général Naveh. Mais elle n’a rien fait de tel en dépit du fait que huit organisations de droits de l’homme, représentées par l’avocat Michael Sfard, lui en ont donné l’occasion. N’y voyant pas non plus la moindre urgence, Edmond Lévy, juge à la Cour suprême, a remis le débat sur cette requête au 12 février.

La Cour suprême ne s’est pas pressée parce que l’ordonnance du général Naveh est logique, très demandée, et que la voie qui y mène a été pavée au fil des dernières années, minutieusement, graduellement, par une série d’ordres et ordonnances, de lois parlementaires, par la politique des routes séparées et le tracé de la clôture des services de la Défense. Et toujours avec l’approbation de la Cour suprême. La nouvelle ordonnance s’accorde parfaitement avec d’autres interdictions de déplacement imposées par Israël aux Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, dans un territoire où les juifs ont le droit de se déplacer, de résider, de commercer et de faire des affaires sans obstacles. Ces interdictions de se déplacer empêchent depuis des années des milliers de Palestiniens de Cisjordanie de rendre visite à leur famille et à leurs amis à Gaza. Elles sont responsables de milliers de sagas où des gens ne sont pas autorisés à vivre avec leur famille, dans leur propre maison, à prendre soin de leurs parents sur leur lit d’agonie. Elles empêchent des étudiants de choisir leurs études dans des institutions convenables. Elles éloignent les malades des cliniques, les parturientes des maternités, les élèves des écoles, les travailleurs de leurs lieux de travail. Ces interdictions ont fait d’un tiers de la Cisjordanie - la vallée du Jourdain - un territoire vide de Palestiniens, sauf les 50.000 qui sont, d’après leur carte d’identité, domiciliés dans la vallée.

L’ordonnance dont il est question ici complète un ordre qu’un général a lancé en octobre 2000 et qui, au motif connu de la sécurité, a interdit aux Israéliens l’entrée dans les « territoires A » de Cisjordanie. La nouvelle ordonnance sera particulièrement efficace car elle mettra tout spécialement en danger les Palestiniens qui la violeront : pour des raisons juridiques, il sera difficile de poursuivre les Israéliens devant un tribunal civil. Mais les Palestiniens « criminels » se retrouveront, eux, brimés à l’intérieur et à l’extérieur des tribunaux militaires, persécutés par la Sécurité générale [Shabak] et exposés à des peines de prison pouvant aller jusqu’à cinq ans. Ce fait-là dissuadera des Israéliens de recourir à la désobéissance civile non-violente du Mahatma Gandhi et de Martin Luther King - ou de violer cette ordonnance parfaitement illégale. Les fondateurs de l’apartheid en Afrique du Sud auraient été fiers d’une ordonnance pareille.



N.B. : Amos Harel, Ha’aretz, 18 janvier 2007 : « L’armée israélienne a gelé l’entrée en vigueur de l’ordre interdisant aux citoyens israéliens de véhiculer dans leurs voitures - sans autorisation spéciale - des Palestiniens dans le territoire de la Cisjordanie. Cet ordre avait fait dernièrement l’objet de vives critiques de la part de juristes et d’organisations de droits de l’homme et des requêtes avaient même été déposées devant la Cour suprême à son encontre. Le général Yaïr Naveh, du commandement central, a justifié la décision de geler cette ordonnance qui devait entrer en vigueur demain, par l’existence de plusieurs problèmes pratiques et juridiques non encore résolus. »

Amira Hass - Ha’aretz, le 17 janvier 2007
Version anglaise : The High Court of Justice is in no hurry
Traduit de l’hébreu par Michel Ghys

Voir aussi, par B. Michael : "Un drapeau plus noir que noir"


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