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Quand avons-nous cessé de nous soucier de la mort des civils en temps de guerre ?

lundi 2 février 2009 - 19h:52

Robert Fisk

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Je me demande si nous ne sommes pas en train de « normaliser » la guerre. Et ce n’est pas seulement du fait qu’Israël a une nouvelle fois massacré des centaines d’enfants dans la bande de Gaza.

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18 janvier 2009 - La famille Samoudi a été ensevelie sous les décombres de sa maison bombardée par les israéliens dans le quartier de Zeitoun dans la ville de Gaza. La main d’une des fillettes de la famille apparaît de dessous les ruines - Photo : Wissam Nassar/MaanImages

Après que son propre ministre des affaires étrangères ait déclaré que l’armée d’Israël avait été autorisé à « se comporter de façon sauvage », mon affirmation selon laquelle les « Force de défense » israéliennes sont tout aussi criminelles que les autres armées de la région s’en trouve renforcée. Mais il semble que nous ayons perdu le sens de l’immoralité qui devrait accompagner les conflits et leur violence.

Le refus de la BBC de diffuser une publicité pour venir en aide aux Palestiniens a été très instructive. C’est « l’impartialité » de la BBC qui pourrait être remise en cause. En d’autres termes, la protection d’une institution est plus importante que la vie des enfants. La guerre est finalement un sport dont le suivi attentif — un peu comme pour un match de football, même si le Moyen-Orient est une sanglante tragédie - prend le pas sur la souffrance humaine.

Je ne suis pas certain du moment où tout cela a commencé. Nul doute que la Seconde Guerre mondiale a été un bain de sang aux proportions gigantesques, mais après ce conflit, nous avons mis en place toutes sortes de lois pour protéger les êtres humains. Les règles de la Croix-Rouge internationale, l’Organisation des Nations Unies — avec le tout-puissant Conseil de sécurité et la bien ridicule Assemblée générale — et l’Union européenne ont été créées pour mettre fin aux conflits à grande échelle.

Oui, je sais qu’il y a eu la Corée (sous drapeau onusien !) Et il y a eu le Vietnam, mais après le départ des États-Unis de Saïgon [aujourd’hui Ho Chi Minh ville - N.d.T], on avait eu le sentiment que « nous » ne ferions plus de guerres. Les étrangers pouvaient commettre des atrocités en masse - le Cambodge vient à l’esprit — mais nous les occidentaux supérieurs en étions exemptées. Nous ne sommes pas comme cela. Il y avait la guerre de faible intensité en Irlande du Nord, peut-être. Et le conflit israélo-arabe grondait au loin. Mais on avait le sentiment que My Lai [massacre commis par les Etats-Unis au Viet Nam - N.d.T] était maintenant relégué derrière nous. Les civils étaient une nouvelle fois sacralisés à l’Ouest.

Je ne suis pas sûr du moment où le changement est intervenu. Est-ce lors de la désastreuse invasion israélienne du Liban en 1982 et du massacre de 1700 civils palestiniens dans Sabra et Chatila par les alliés d’Israël ? (Gaza a raté de peu ce record.) Israël prétend (comme d’habitude) mener « notre » « guerre contre le terrorisme », mais l’armée israélienne n’est pas ce qu’elle prétend être et les massacres (Cana vient à l’esprit en 1996, ainsi que les enfants de Marwahine en 2006) lui collent aux semelles. Bien sûr, il y a eu la question secondaire de la guerre Iran-Irak entre 1980 et 1988, nous a soutenu avec enthousiasme en fournissant des armes aux deux parties, et le massacre de milliers de civils par la Syrie à Hama et...

Non, je pense que c’est plutôt lors de la guerre du Golfe de 1991. Nos télévisions en ont joué pour le pire. C’était la première guerre qui avait un « thème » musical accompagnant les images — et quand les troupes américaines ont tout simplement enterré vivants des milliers de soldats irakiens dans leurs tranchées, nous ne l’avons appris plus tard et nous ne nous en sommes pas beaucoup inquiétés, et même lorsque les Américains ont ignoré les règles de la Croix-Rouge pour marquer l’emplacement des charniers, on ne trouva rien à redire.

Il y avait des femmes dans certaines de ces fosses communes — j’ai vu des soldats britanniques les enterrer. Et je me souviens d’avoir conduit un délégué de la Croix-Rouge jusqu’à la crête de Mutla afin de lui montrer où j’avais vu une fosse commune creusée par les Américains, et il a regardé une fleur de plastique qu’un américain avait vraisemblablement laissé là et il a dit : « Quelque chose s’est passé ».

Il voulait dire que quelque chose s’était passé au regard du droit international, des règles de la guerre. Ils avaient été bafoués. Puis est venu le Kosovo — où notre cher Lord Blair a pour la première fois exercé ses talents pour fabriquer des guerres — et une nouvelle série de meurtres de masse. Bien sûr, Milosevic a été le méchant (même si la plupart des Kosovars étaient encore dans leurs foyers au début de la guerre, leur retour dans leur foyer après leur expulsion brutale par les Serbes devient alors le but de guerre).

Mais, ici encore, nous avons brisé un peu plus de règles et les avons jetées aux orties. Rappelez-vous le train de voyageurs que nous a bombardé sur le pont Surdulica - et la fameuse accélération du film de Jamie Shea pour montrer que le bombardier n’a pas eu le temps de retenir son tir ? (En fait, le pilote a procédé à un autre attaque sur le train alors qu’il était déjà en feu, mais ce passage a été exclu du film.) Ensuite, l’attaque de la station de radio de Belgrade. Et les civils sur les routes. Ensuite, l’attaque d’un grand hôpital de campagne. "Objectif militaire", a déclaré Jamie. Et il avait raison. Il y avait des soldats qui se cachaient dans l’hôpital avec les malades. Les soldats ont tous survécu. Les patients sont tous morts.

Puis il y a eu l’Afghanistan et tous les "dommages collatéraux" et des villages entiers anéantis et puis il y a eu l’Irak en 2003 et les dizaines et dizaines de milliers de civils irakiens tués — un demi-million ou un million. Une fois de plus, au tout début, nous revenions à nos vieux tours, les bombardements des ponts et des stations de radio et au moins un immeuble d’habitation à Bagdad, où « nous » pensions que Saddam se cachait. Nous savions qu’il était habité par des civils (des chrétiens, par hasard), mais les Américains ont appelé ce bombardement une opération « à haut risque » - ce qui veut dire qu’ils risquent de ne pas toucher Saddam — et 22 civils ont été tués. J’ai vu le dernier corps, celui d’un bébé, retiré de sous les décombres.

Et nous ne semblons pas nous en soucier. Nous nous battons en Irak, et maintenant nous allons retourner au combat en Afghanistan et à nouveau tous les droits de l’homme et toutes les protections semblent avoir disparu. Nous allons détruire des villages et nous découvrirons que les Afghans nous haïssent. Alors nous formerons des milices criminelles — comme nous l’avons fait en Irak - pour qu’elles se battent pour nous. Les Israéliens ont organisé une milice dans leur zone d’occupation dans le sud du Liban, dirigé par un officier de l’armée libanaise complètement cinglé. Mais aujourd’hui, leurs propres troupes « se comportent de façon sauvage ». Et la BBC s’inquiète de son « impartialité » ?

Du même auteur :

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- Et nous nous demanderons pourquoi ils nous haïssent
- L’Etat égyptien pourri est trop impuissant et corrompu pour agir
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- Kaboul il y a 30 ans, et Kaboul aujourd’hui. N’avons-nous rien appris ?

31 janvier 2009 - The Independent - Vous pouvez consulter cet article ici :
http://www.independent.co.uk/opinio...
Traduction de l’anglais : Claude Zurbach


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