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« Les portes de l’Enfer, la fenêtre sur le Paradis »

lundi 19 janvier 2009 - 06h:19

Laïla El-Haddad

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Ma routine quotidienne consiste à suivre les événements dans la Bande de Gaza. Quand je suis à la maison, je laisse la télévision constamment allumée sur la chaîne Al Jazeera anglais.

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Le soleil se couche sur le camp de réfugiés de Rafah au sud de la Bande de Gaza
13 janvier 2009 (Hatem Omar/Maan Images)

Les jérémiades de Yousuf, insistant pour regarder des dessins animés, restent vaines. Il y a quelques jours, il a simplement arrêté de quémander. Fâchée, en larmes, je lui ai expliqué que Gaza est sous les bombes et que sa grand-mère Seedo et son grand-père Tete sont en danger.

Si je pars de la maison, je m’assure que mon téléphone portable est toujours près de moi. Hier soir, j’étais chez un ami lorsque mon père a téléphoné, c’était juste avant la prière du soir.

« Es-tu à la maison ? Es-tu là ? Je ne sais pas ce qui se passe, toute notre maison tremble. Toute la maison. Les fenêtres se sont ouvertes. Ta mère est terrifiée, c’est épouvantable. Je ne sais pas exactement d’où cela vient ? La radio n’a encore rien diffusé. Il poursuit, d’une voix lasse et grave : « Tout autour, il y a des explosions et de la fumée blanche »

Je me précipite à la maison et allume la télévision. Je cherche également des informations sur le net. Mais, mon père avait les nouvelles avant eux. Aussitôt sur la chaîne Al Jazeera, mon amie Taghreed est à nouveau en ligne. J’entends sa voix. Je l’imagine assise à mes côtés, tremblante comme elle peut souvent l’être pendant ces moments terrifiants, en dépit de longues années passées à couvrir les événements à Gaza.

« Les gens ne trouvent plus aucun endroit où ils se sentent en sécurité ». Les Israéliens leur ordonnent de quitter un lieu pour rejoindre un autre. Il n’y a plus de place dans les écoles des Nations Unies... Je refuse de les nommer abris parce que ce ne sont pas des abris ! Ils ressembleraient plutôt à une, ou peut-être deux salles de bains pour mille personnes. Elle continue : « j’ai rencontré des gens qui dorment dans les jardins publiques de l’hôpital Al-Shifa ».

Mon père me dit qu’il a vu des personnes contraintes de vivre dans la rue - des familles entières. Son cousin a dû déménager de Tel al-Hawa et habite maintenant dans la maison de son frère.

Un résident de Tel al-Hawa décrit le soir où les Israéliens ont ouvert les portes de l’Enfer, la shoah. Un enfer qu’avait déjà, il y a une année, promis d’ouvrir sur Gaza le vice-ministre de la défense Matan Vilnai.

Sur mon ordinateur, je vois une photographie d’un soldat Israélien souriant à pleines dents. Il pose fièrement devant ses armes. Je lis ensuite un article d’un journaliste de Haaretz qui se trouve dans l’ancienne colonie de Netzarim. Le journaliste cite un commandant de char Israélien qui proclame aimer être à Gaza, parce que « c’est intéressant ». D’autres soldats disent qu’ils sont impatients d’être dans le feu de l’action, de pilonner, de tuer, c’est leur première guerre.

Rula Salha, une fillette d’une année, a été tuée. Elle avait l’âge de ma fille Noor. Je repense au soldat souriant et assoiffé de sang. Je me demande s’il est satisfait, s’il a eu sa dose d’adrénaline.

Je continue à parler avec mon père.
Nous apprenons que les forces Israéliennes ont encerclé Tel al-Hawa. A nouveau, des navires militaires bombardent la ville. Durant quelques minutes, mes parents parlent à Yousuf. J’entends sur le haut-parleur l’écho des explosions et des tirs d’artillerie. Puis, je vois à la télévision les effets des bombes à phosphore tombant sur la ville.

La peur est saisissante. Mes amis me racontent que c’est asphyxiant, c’est dans l’air. Personne ne sait ce qui va arriver. Nulle part où aller, excepté peut-être, tout là-haut, au Paradis.

A Gaza, tant de personnes sont dans ce cas : ils se réveillent pour faire une prière, celle de qiyam al-layl « une prière nocturne, faite durant le dernier tiers de la nuit ». Une fenêtre de temps lorsque les croyants se sentent tout particulièrement proches de Dieu. Et Lui, comme il est indiqué, est tout particulièrement à l’écoute de leurs requêtes, supplications et prières.

Tout au long de cette petite fenêtre de temps ouverte sur le Paradis, ils tremblent, attendent et prient pour que les portes de l’Enfer se referment. Puis, c’est déjà l’aube.

* Laila El-Haddad est une journaliste, photographe et bloggueuse palestinienne qui passe son temps entre Gaza et les Etats-Unis. Elle tient le blog : http://a-mother-from-gaza.blogspot.com

De la même auteure :

- « Nous parlons en silence, nous résistons ensemble » - 14 janvier 2009
- Gaza : Terre des maudits - 15 juillet 2008
- Génocide à Gaza - 3 mars 2008

13 janvier 2009 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electronicintifada.net/v2/ar...
Traduction de l’anglais : Christine Rossetti


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