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Pourquoi Israël est allé faire la guerre dans Gaza

mardi 6 janvier 2009 - 09h:39

Chris McGreal, The Observer

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Quand l’attaque a commencé, une marée de diplomates, de groupes de pression, de blogs et d’autres partisans d’Israël ont commencé à marteler une série de messages soigneusement élaborés, destinés à veiller à ce que Israël soit perçu comme la victime...

Il s’agit d’une guerre sur deux fronts. Depuis plusieurs mois, alors qu’Israël se préparait à lancer une nouvelle vague de violence contre la bande de Gaza, il était devenu clair que l’attaque du Hamas et de « l’infrastructure du terrorisme », incluant des postes de police, des habitations et des mosquées, serait une opération menée tambour battant.

Israël a également compris qu’une opération jumelée serait nécessaire afin de persuader le reste du monde de la justesse de sa cause, même lorsque les morgues recevraient les corps de femmes d’enfants palestiniens. Il fallait aussi veiller à ce que cette guerre soit considérée non pas en termes d’occupation mais comme un combat de l’occident contre le terrorisme et une confrontation avec l’Iran.

Après la débâcle de l’invasion du Liban en 2006 - qui fut non seulement pour Israël un désastre militaire, mais aussi politique et diplomatique - Le gouvernement de Tel-Aviv a passé des mois a préparer l’assaut sur Gaza, tant au plan intérieur qu’international, en exerçant avec calme mais énergie un lobbying sur les gouvernements et les diplomates étrangers, en particulier en Europe et dans certaines parties du monde Arabe.

Une nouvelle Direction de l’Information a été créée pour influencer les médias, avec un certain succès. Et quand l’attaque a commencé, il y a un peu plus d’une semaine, une marée de diplomates, de groupes de pression, de blogs et d’autres partisans d’Israël ont commencé à marteler une série de messages soigneusement élaborés, destinés à veiller à ce que Israël soit perçu comme la victime, alors même que ses bombardements ont tué plus de 430 Palestiniens durant la dernière semaine, dont au moins un tiers sont des civils ou des policiers.

L’attaque sans relâche menée contre la bande de Gaza - avec une frappe aérienne toutes les 20 minutes en moyenne - n’a pas fait cesser les tirs de roquettes du Hamas qui ont tué quatre Israéliens depuis le début de l’agression et ont touché des cibles situées plus en profondeur que jamais auparavant, provoquant la fuite de dizaines de milliers de personnes. La nuit dernière, Israël a intensifié son action, en lançant ses troupes à travers la frontière de la bande de Gaza, dans ce qui semble être une invasion terrestre. Et une campagne diplomatique intense est déjà à l’oeuvre pour justifier le coût en vies innocentes qui en résultera presque certainement.

Dan Gillerman, ambassadeur d’Israël à l’ONU jusqu’à récemment, a été mobilisé par le ministère des Affaires Etrangères pour assister le pilotage de la campagne diplomatique et de relations publiques. Il indique que les préparations sur le terrain politique et diplomatique ont débuté depuis des mois.

« C’est quelque chose qui était prévu depuis longtemps », déclare-t-il. « J’ai été recruté par le ministre des Affaires étrangères afin de coordonner les efforts déployés par Israël. Je n’avais jamais vu l’ensemble des parties de ce mécanisme très complexe [incluant] le ministère des Affaires étrangères, le ministère de la Défense, le bureau du Premier ministre, la police ou l’armée - travailler avec tant de coordination, d’efficacité, dans la délivrance du message. »

Dans des réunions d’information tenues à Jérusalem, Londres, Bruxelles et New York, les mêmes messages ont été répétés : Israël n’avait d’autre choix que d’attaquer en réponse aux tirs de barrage de roquettes du Hamas ; que la prochaine attaque viserait « l’infrastructure terroriste » à Gaza ; que les objectifs seraient principalement les combattants du Hamas ; que des civils mourraient, mais en raison du fait que le Hamas dissimule ses combattants et ses ateliers d’armement parmi les gens ordinaires.

Dans le même temps, a été mise sur pied une stratégie visant à écarter de la discussion la question de l’occupation. La bande de Gaza a été libérée en 2005 lorsque les colons juifs et l’armée se sont retirés, affirment les israéliens. Elle aurait pu prospérer en tant que base d’un futur Etat palestinien, mais ses habitants ont choisi le conflit.

Israël décrit le Hamas comme un membre d’un axe du mal islamiste fondamentaliste, avec l’Iran et le Hezbollah. Ses actions, disent les israéliens, n’ont rien à voir avec la poursuite de l’occupation de la Cisjordanie, le blocus de la bande de Gaza ou le fait que l’armée israélienne continue de tuer un grand nombre de Palestiniens depuis le retrait de Gaza. « Israël fait partie du monde libre et lutte contre l’extrémisme et le terrorisme. Pas le Hamas, » a déclaré Tzipi Livni, la ministre des Affaires étrangères et dirigeante du parti Kadima, à son arrivée en France dans le cadre de l’offensive diplomatique menée la semaine dernière.

Plus tôt cette même semaine, Livni avait utilisé la formule « avec nous ou contre nous » reprise d’un discours de George W. Bush sur la guerre contre le terrorisme. « Ce sont des jours où chaque individu dans la région et dans le monde doit choisir son camp. Et les deux parties [en présence] ont changé. Ce n’est plus Israël d’un côté et le monde arabe de l’autres », dit-elle. « Israël a choisi son camp le jour où il a été créé ; le peuple juif a choisi son camp au cours de ses milliers d’années d’existence, et la prière pour la paix est [celle de] la voix qui a retenti dans les synagogues ».

Ce message a été délivré auprès des gouvernements arabes les plus réceptif, comme l’Egypte et la Jordanie, qui considèrent le Hamas avec hostilité. « Une grande partie des musulmans du monde arabe comprennent que le Hamas représente un plus grand danger pour eux même que pour Israël. Son extrémisme, son fondamentalisme, sont un grand danger pour eux aussi », déclare M. Gillerman. « Nous avons constaté cela dans de nombreuses réactions, dans les déclarations publiques faites par le président Moubarak et même par [le président palestinien] Mahmoud Abbas et d’autres Arabes. Ceci est totalement sans précédent. »

En effet, le ministre égyptien des Affaires étrangères, Ahmed Aboul Gheit, a déclaré que son gouvernement savait exactement ce qui allait se passer : « au cours des trois derniers mois, les signes [indiquant] qu’Israël était déterminé à frapper le Hamas dans la bande de Gaza étaient clairs. Ils étaient pratiquement écrits dans le ciel. Malheureusement, [le Hamas] a servi à Israël cette occasion sur un plateau d’or. »

Tout aussi crucial, était le non-dit. Il y a seulement quelques mois de cela, Tzipi Livni avait parlé de supprimer le Hamas, mais cela aurait été une justification de l’agression ressentie de façon désagréable pour nombre d’acteurs internationaux. On parle donc désormais de faire pression sur le gouvernement de Gaza pour obtenir un nouveau cessez-le-feu. Pourtant, il arrive parfois que quelqu’un ignore le message. Au début de l’assaut sur Gaza, l’ambassadeur d’Israël à l’ONU, Gabriela Shalev, a déclaré que l’opération continuerait « aussi longtemps qu’il le faudra pour démanteler complètement le Hamas ». Furieux, des responsables israéliens à Jérusalem ont averti que de telles déclarations pourraient compromettre l’offensive diplomatique.

Dans les premières heures de l’attaque, Israël a répété les mêmes messages au reste du monde. Les déclarations de Tzipi Livni et d’Ehud Barak, le ministre de la Défense travailliste, ont été largement reprises sur les télévisions internationales. Le gouvernement de la Direction nationale de l’Information ont cherché à focaliser l’attention des médias étrangers sur les 8 500 roquettes tirées depuis Gaza sur Israël au cours des huit dernières années et les 20 civils qui ont trouvé la mort, plutôt que sur le blocus punitif de la bande de Gaza et les 1 700 Palestiniens tués dans des attaques militaires israéliennes depuis Les colons juifs ont quitté Gaza il y a trois ans.

Les groupes de pression, comme le British Israël Communications Research Center (BICOM), à Londres et le Israël Project aux USA, ont été mobilisés. Ils ont organisé des réunions d’information, conférences téléphoniques et des interviews. L’armée israélienne a publié des vidéos sur YouTube. Des diplomates israéliens à New York ont organisé une « conférence de presse citoyenne » de deux heures sur le site Twitter pour des milliers de personnes. Dans le même temps, Israël a de fait empêché les journalistes étrangers d’être les témoins des résultats de sa stratégie.

Tzipi Livni a suggéré que l’agression d’Israël était bonne pour les Palestiniens et les aiderait à se libérer de l’emprise du Hamas. « Fondamentalement, elle a essayé de me convaincre qu’ils le font pour mon propre bien  », déclare Diana Buttu, l’avocate conseil de l’OLP et négociatrice avec les Israéliens lors du retrait de Gaza en 2005. « J’ai eu quelques amis israéliens qui m’ont répété la même chose : "Vous devriez être heureux que nous extirpions le Hamas. Ils sont un problème pour vous aussi". Je n’ai pas besoin d’elle pour me dire ce qui est bon pour moi et ce qui est mauvais pour moi, et je ne pense pas que perpétrer un massacre soit bon pour quiconque. »

Quand les premiers morts sont tombés, Israël a prétendu que l’écrasante majorité des 400 tués au moins étaient des combattants du Hamas et que les bâtiments détruits faisaient partie de l’infrastructure du terrorisme. Mais environ un tiers des morts étaient des policiers. Bien que la force de police dans la bande de Gaza soit dirigée par le Hamas, Diana Buttu affirme qu’Israël déforme la réalité en la présentant comme une organisation terroriste.

« Les forces de police sont largement utilisées pour maintenir à l’intérieur [de Gaza] la loi et l’ordre, faire la circulation, combattre le commerce de la drogue. Ce ne sont pas des combattants. Ils les ont bombardés durant une cérémonie de remise des diplômes. Israël veut tuer quiconque est associé au Hamas, mais où faut-il s’arrêter ? Êtes-vous une cible légitime si vous travaillez dans la fonction publique ? Êtes-vous une cible légitime si vous avez voté pour le Hamas ? » s’interroge-t-elle.

De la même façon, alors qu’Israël accuse le Hamas de risquer la vie des civils en dissimulant les infrastructures terroristes dans les quartiers, un grand nombre de missiles israéliens prennent pour cibles des postes de police et autres bâtiments publics qui sont peu susceptibles d’être construit n’importe où ailleurs.

Israël fait valoir que le Hamas a rompu le cessez-le-feu conclu en juin alors que Tel-Aviv était prêt à le prolonger. « Israël est le premier à vouloir que cesse la violence. Nous ne la recherchons pas. Il n’y a pas d’autre option. La trêve a été violé par le Hamas », a déclaré Tzipi Livni.

Toutefois, d’autres estiment que la trêve a été compromise en novembre lorsque les militaires israéliens ont tué six miliciens armés du Hamas lors d’un raid sur Gaza. Les Palestiniens font remarquer que c’était le jour de l’élection présidentielle aux Etats-Unis, de sorte que la plupart du reste du monde n’a pas prêté attention à ce qui s’était passé. Le Hamas a répondu par une vague de tirs de roquettes sur Israël. Six autres Palestiniens sont morts dans deux autres attaques israéliennes la semaine suivante.

« Ils ont agressé militairement la bande de Gaza, par mer et par air, tout au long du cessez-le-feu », déclare Diana Buttu. Les meurtres de Palestiniens n’ont pas cessé. Depuis près de trois ans que le Hamas est arrivé au pouvoir, et avant le dernier assaut sur Gaza, l’armée israélienne a tué environ 1 300 personnes dans la bande de Gaza et la Cisjordanie. Même si un nombre important d’entre eux étaient des activistes du mouvement Hamas - et que des centaines de Palestiniens ont été tués par d’autres Palestiniens dans des combats entre le Hamas et le Fatah - il y a eu un nombre inquiétant de morts de civils.

Le Centre Palestinien pour les Droits de l’Homme affirme qu’un quart des victimes sont âgées de moins de 18 ans. Entre juin 2007 et juin 2008, les attaques israéliennes a tué 68 enfants et adolescents palestiniens dans la bande de Gaza. Une douzaine d’autres ont été tués en Cisjordanie.

En Février, un missile israélien a tué quatre garçons, âgés de huit à quatorze ans, qui jouaient au football dans la rue à Jabalia. En avril, Meyasar Abu-Me’tiq et ses quatre enfants, âgés d’un à cinq ans, ont été tués lorsqu’un missile israélien a frappé leur maison au moment où ils prenaient le petit-déjeuner. Durant le cessez-le-feu, Israël a tué 22 personnes dans la bande de Gaza, dont deux enfants et une femme.

Ce qui a peut-être été crucial pour l’effondrement du cessez-le-feu, ce sont les divergences de points de vue quant à ce qu’il était censé produire. Israël considérait la trêve comme une accalmie en échange d’une accalmie. Le Hamas s’attendait à ce que Israël lève le blocus de la bande de Gaza - qu’Israël présentait comme une réponse sécuritaire aux tirs de roquettes Qassam.

Mais Israël n’a pas mis fin à l’état de siège qui dévastait l’activité économique et provoquait une désespérante situation de pénuries de nourriture, de carburant et de médicaments. Les habitants de Gaza en ont conclu que le blocus était non pas tant du aux tirs de roquette, mais plutôt une punition pour avoir voté pour le Hamas.

Le coeur du message israélien c’est que lorsque Israël a procédé au retrait des militaires et des colons il y a trois ans, la bande de Gaza avait alors eu l’occasion de prospérer. « Afin de créer une vision d’espoir, nous avons retiré nos forces et les colonies de peuplement, mais au lieu que Gaza soit le début d’un État palestinien, le Hamas a installé un régime islamique extrémiste », a déclaré Tzipi Livni. Les responsables israéliens affirment que le Hamas et, par extension le peuple qui l’a élu, ont été plus intéressés par la haine et le meurtre de Juifs que par la construction d’un pays.

Les Palestiniens voient les choses différemment. Diana Buttu dit que à partir du jour les Israéliens se sont retirés de la bande de Gaza, ils se sont assurés que ce soit un échec économique. « Quand les Israéliens se sont retirés, nous nous attendions à ce que les Palestiniens dans la bande de Gaza soient au moins en mesure de mener une sorte de vie libre. Nous nous attendions à ce que les points de passage soient ouverts. Nous ne nous attendions pas à ce que nous ayons à mendier l’autorisation de faire entrer de la nourriture », dit-elle.

Diana Buttu note que, même avant le Hamas ait été élu il y a trois ans, les Israéliens imposaient déjà un blocus de la bande de Gaza. Les Palestiniens ont du avoir recours à la secrétaire d’État américaine Condoleezza Rice, et à James Wolfensohn, le président de la Banque mondiale, pour faire pression sur Israël afin qu’il autorise seulement l’entrée de quelques camions chaque jour dans la bande de Gaza. Israël a accepté, puis est revenu sur sa décision. « C’était avant que le Hamas n’ait gagné les élections. Toutes ces affirmations israéliennes relèvent d’un grand mythe. S’il n’y avait pas déjà eu une politique de bouclage, pourquoi aurions-nous eu besoin de Rice et de Wolfensohn pour tenter de négocier un accord ? » demande-t-elle.

Yossi Alpher, un ancien fonctionnaire appartenant au Mossad, le service de renseignements, et ex-conseiller sur les négociations de paix à l’époque où Ehud Barak était Premier ministre, estime que le blocus de la bande de Gaza était un stratégie vouée à l’échec et qui pourrait renforcer le Hamas. « Je ne pense pas que quiconque puisse produire des preuves évidentes montrant que le blocus ait été contre-productif, mais il n’a certainement pas été productif. Il est très possible qu’il ait été contre-productif. C’est une punition collective, une souffrance [au plan] humanitaire. Il n’a pas conduit les Palestiniens dans la bande de Gaza à se comporter de la façon dont nous le voulions. Alors pourquoi le faire ? » déclare-t-il. « Je pense que des gens ont vraiment cru que si on affamait les habitants de Gaza, ils contraindraient le Hamas à cesser les attaques. C’est la répétition d’une politique vouée à l’échec, déraisonnable ».

4 janvier 2008 - Publication originale The Observer - traduction Contre Info sous le titre Les raisons de la guerre


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