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La torture dans les prisons de l’Autorité palestinienne

vendredi 12 décembre 2008 - 06h:39

Khaled Amayreh

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En dépit des démentis des responsables du gouvernement palestinien de Ramallah, les détenus récemment libérés des prisons de l’autorité palestinienne (AP) et des centres d’interrogatoire en Cisjordanie ont parlé de torture généralisée, de graves abus, et de traitements cruels de la part des agents des services de renseignement.

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Cette position peut être imposée pendant plusieurs jours d’affilé

Selon des témoignages recueillis directement auprès d’un certain nombre d’anciens détenus dans la région de Hébron, les formes les plus communes de torture incluent le passage à tabac en utilisant le plus souvent des câbles électriques et des tuyaux, et la « technique connue sous le nom de Shabah. »

Dans la technique de « Shabah », décrite par des victimes comme « la plus utilisée des techniques, » un détenu est habituellement laissé entre les séances d’interrogatoire sur une petite chaise avec ses bras attachés en arrière, dans une position qui provoque de graves douleurs musculaires dans les bras et le cou.

Un Shabah prolongé peut aussi bien entraîner la paralysie dans l’une ou l’autre ou les deux mains, comme cela a été le cas pour Ra’ed Sharabati, de Hébron, qui a souffert d’une paralysie presque complète de son épaule droite et de sa main droite.

Sharabati a décrit la torture dans les prisons de l’AP comme « modus operandi, et comme étant la norme plutôt que l’exception. »

Ahmed Salhab, âge de 35 ans, victime de graves tortures, a raconté avoir vécu « une expérience proche de la mort » tandis que son corps commençait à succomber à la torture physique au siège de la Mukhabarat (service de renseignement) dans Hébron.

« Je ne pouvais plus supporter cela plus longtemps, j’étais complètement désorienté, j’avais presque perdu toute notion de temps et de lieu ; et j’ai commencé à réciter le verset de la foi, sentant que ma mort était proche. » (Le verset de la foi musulmane est : « je témoigne qu’il y a seulement un Dieu et que Muhammed est son serviteur et son messager) ».

Ce qui suit est extrait du témoignage de Salhab :

« Je suis commerçant de pièces détachées pour voitures. Il y a presque six semaines, quatre officiers de la Mukhabarat sont venus à mon magasin dans Hébron. Ils m’ont dit vouloir parler avec moi dix minutes. Mais quand nous sommes arrivés à leur siège, ils se sont immédiatement jetés sur moi et ont attaché mes mains derrière mon dos en me forçant à m’asseoir dans une position très inconfortable pendant des heures. Je les ai suppliés pour qu’ils délient mes mains parce que j’ai eu des problèmes à la colonne vertébrale. Je leur ai dit que ma main resterait paralysée s’ils ne me détachaient pas. Ils n’ont prêté aucune attention et ont dit : ’Qu’elle reste paralysée. Nous voulons te voir mort’. Puis ils ont couvert ma tête avec un sac sentant mauvais. Ils m’ont laissé dans cette position pendant plusieurs heures. Puis ils m’ont délié et m’ont amené à une salle pour interrogatoire. »

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Ahmed Salhab

« Ils m’ont alors demandé si j’étais un partisan du Hamas et pour qui j’avais voté aux élections de 2006. Je leur ai dit que je n’avais jamais été membre du Hamas, et que j’étais seulement un musulman religieux ordinaire. Ils m’ont demandé si j’avais voté pour le Dr. Azzam Salhab, mon cousin. J’ai dit que je l’avais fait, mais pas en sa qualité de dirigeant du Hamas, mais plutôt parce qu’il est mon cousin. Ils ne m’ont pas cru, et m’ont remis dans la position de Shabah. (Azzam Salhab est professeur de droit islamique à l’université de Hébron ; il a langui pendant plus de 4 ans dans les prisons israéliennes à cause de ses opinions politiques). »

« À un moment il se sont à nouveau jetés sur moi, me frappant, me donnant des coups de pied ; ils ont même appuyé leurs bottes sur ma tête d’une façon très dure et très douloureuse. »

« Puis j’ai perdu la capacité à me tenir debout. »

« Le neuvième jour, je me suis presque évanoui, j’ai pensé que j’allais mourir, j’ai perdu toute notion de temps et de lieu et j’ai commencé à réciter le verset de la foi. »

« Se rendant compte qu’ils pourraient bientôt avoir un cadavre sous leurs yeux, ils m’ont emmené devant un docteur qui leur a dit que j’avais un grave problème vertébral qui nécessitait une attention médicale pressante. »

« J’ai passé un mois sous leur emprise, c’était l’enfer. »

Salhab a raconté aussi qu’il entendait constamment les cris perçants des détenus qui étaient battus et torturés. Il a nommé plusieurs personnes de la région de Hébron, dont Amjad Hammouri, un ancien candidat au Conseil Législatif Palestinien.

Ghassan Karaja de la petite ville voisine de Halhul, juste au nord de Hébron, est un autre détenu qui a subi « une expérience cauchemardesque, » au centre des services de renseignements dans Hébron.

Selon son épouse, Samar, Karaja a passé un mois détenu par les services militaires de renseignement, période durant laquelle il a été soumis à « toutes les formes de torture sévères ».

« Maintenant il a perdu une partie de sa mémoire, et il a des tremblements répétés partout dans le corps ainsi que d’autres symptômes névrotiques. »

« Il étreint notre enfant à toute heure comme s’il redoutait une calamité imminente. Il fait aussi souvent preuve d’un comportement déréglé. Il est devenu asocial et très introverti. »

Selon des organisations de défense des droits de l’homme en Cisjordanie, la torture dans les prisons de l’AP et dans les centres de renseignement est répandue et incontestable.

« La raison pour laquelle nous n’en entendons pas beaucoup parler est que les victimes sont peu disposées à dénoncer les faits car elles ont été prévenues que si elles parlaient de ce qui est leur est arrivé, elles seraient à nouveau arrêtées puis encore plus torturées, » nous dit un militant des droits de l’homme qui a demandé que son identité demeure dissimulée.

« Qui interviendrait en ma faveur si on me saisissait ? Vous pensez qu’Amnesty International ou Human Rights Watch s’inquiéteraient de nous ? » demande le militant.

Un député palestinien de la région de Naplouse, Muna Mansur, a expliqué que plusieurs des victimes de tortures avaient fourni des témoiganges écrits pour s’abstenir d’avoir à s’exprimer publiquement quant à leur expérience.

Hussein Al Araj est le gouverneur désigné par l’AP pour la zone de Hébron.

Il estime que les dénonciations au sujet de la torture dans les centres de l’AP sont « fortement exagérées ou même s’appuient sur rien. »

« Vous devez savoir qu’il y a des éléments internes et externes qui se damneraient pour souiller et abîmer l’image de l’AP. »

Al-Araj nie l’existence de prisonniers politiques ou de détenus politiques dans les prisons de l’AP.

Lorsque j’ai demandé à un avocat bien connu dans Hébron de donner son sentiment sur les commentaires d’Al-Araj, il m’a répondu : « Il a raison d’une certaine manière ; dans leurs visions tordues [celles de l’AP] n’importe qui ayant soutenu ou soutenant le Hamas, ou qui a simplement voté pour lui est un criminel. Par conséquent, toutes ces personnes sont considérées comme criminelles et comme des détenus non politiques. De son point de vue, il se donne raison. »

« Vous savez que durant les meilleurs jours de l’ex-Union soviétique, les autorités soviétiques niaient énergiquement l’existence de détenus politiques dans les prisons, bien que des milliers de militants politiques non conformistes connus sous le nom de dissidents y aient séjourné, un bon nombre d’entre eux ayant été envoyés dans des asiles psychiatriques. »

Note finale : en rédigeant cet article, j’ai découvert que le but principal derrière la torture dans les prisons de l’AP n’était pas d’arracher des confessions des victimes, comme c’est le cas dans beaucoup de pays où la torture est pratiquée.

Beaucoup d’anciens détenus ont raconté qu’à beaucoup d’occasions, ils se sont entendus dire par leurs tortionnaires que « c’est en raison de ce que le Hamas a fait à Gaza. »

Du même auteur :

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- L’autorité palestinienne au doigt et à l’oeil d’Israël - 2 novembre 2008
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4 décembre - Diffusé par l’auteur - Traduction de l’anglais : Claude Zurbach


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