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Gaza : le conflit entre dans les écoles

samedi 22 novembre 2008 - 07h:02

Rory McCarthy - The Guardian

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UNE SEMAINE A GAZA - RECIT N°5

Le blocus israélien et des années de combats font payer leur tribut aux écoles de la Bande de Gaza, où les taux d’échec sont en augmentation rapide.

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En raison de l’interdiction imposée par Israël sur les livraisons de papier à Gaza, quelques 200 000 enfants ont entmé la nouvelle année scolaire, le 1er septembre, sans les livres dont ils ont besoin, selon l’UNRWA - Photo : Naela Khalil/IRIN

La leçon touche à sa fin, la dernière pour cette classe de jeunes de 15 ans, avant leurs examens annuels dans quelques jours.

Les filles sont des étudiantes enthousiastes et ont répondu correctement à presque toutes les questions qui leur ont été posées par leur professeur, Nahida al-Katib, même s’ il agissait aujourd’hui du sujet compliqué de la grammaire classique arabe, issue du Coran, un élément clé de leur cours d’études islamiques. Chaque fois qu’elle a posé une question, les mains se sont levées et les élèves ont appelé son attention en anglais : "Tante, tante".

Nahida Al-Katib, 47 ans, s’est adressée aux élèves avant qu’ils referment leurs cahiers. "Travaillez dur, étudiez bien", leur a-t-elle dit. "Je sais que ce n’est pas facile. S’il n’y a pas d’électricité, utilisez une bougie. Ne dormez pas dans la journée. A la place, étudiez et dormez pendant la nuit. Ne pensez pas à ce qui se passe autour de nous. Pensez seulement à obtenir des bonnes notes."

L’effet cumulatif de plusieurs années de conflit et maintenant la grave crise économique provoquée par le blocus israélien de la Bande de Gaza ont pénétré profondément dans la société, assez profondément pour affecter sérieusement les performances des enfants à l’école. Pour les Palestiniens, qui attachent une grande importance à l’éducation, ceci est cause d’une profonde préoccupation.

Le collège de filles Al-Majida Waseela est à l’exemple des écoles dans la ville de Gaza. Il regroupe 525 enfants âgés entre 12 et 16 ans, et 22 enseignants, tous issus de milieux différents. Dans la classe de N. Al-Katib, la plupart des 33 jeunes filles portent des jeans sous leur blouse de collègienne, et toutes sauf trois ont les cheveux couverts d’un foulard blanc. Sur les murs, des prières du Coran en arabe, et des dizaines de maximes en anglais : "Est ou Ouest, la maison est le mieux", "Tout ce qui brille n’est pas or."

L’école fonctionne en deux roulements, l’un dans la matinée, l’autre après le déjeuner, chacun avec une équipe différente d’enfants, d’enseignants et d’administratifs, maximisant l’usage du lieu pour répondre à la demande de cette bande de terre la plus surpeuplée [dans le monde].

Ce matin-là, il n’y avait pas d’électricité durant les quatre premières heures de cours, il n’y avait pas de lumière et le personnel a dû utiliser un sifflet au lieu de la cloche électrique de l’école. Il n’y avait pas d’eau courante, à l’exception de ce qui avait été mis de côté dans un réservoir de la salle de bains. Il n’y avait pas de vente de pain à la cantine en raison des pénuries dans les boulangeries, alors que beaucoup d’enfants comptent sur la petite boutique de l’école pour acheter leur petit-déjeuner. C’était un jour ordinaire pendant cette époque extraordinaire, une conséquence du blocus économique israélien.

Plus préoccupants sont les signaux alarmants d’une plus ample désintégration de la société, tels ceux qu’on observe avec les résultats des examens. L’automne dernier, l’ONU, qui gère certaines des meilleures écoles dans la Bande de Gaza, a noté une forte augmentation des échecs aux examens. Le taux d’échec en arabe pour les élèves entre neuf et quinze ans était entre 34,9% et 61,1%. En mathématiques, aux mêmes âges, le taux d’échec a été encore plus élevé, dépassant 65%, avec un pic aux alentours de l’âge de 11 ans avec un stupéfiant taux d’échec de 90%. Ces données sont à comparer avec un taux d’échec de seulement 10% dans les écoles à l’ONU des camps de réfugiés palestiniens au Liban et en Syrie.

"Il y a eu un grand changement. Il n’y a pas de joie dans la vie des enfants, pas de sorties, pas de pique-nique. Il y a beaucoup de pression sur eux et je peux le percevoir dans la classe", expliquait N. Al-Katib.

"Ils ne font pas leurs devoirs, ils ont toujours une excuse - pas d’électricité, ou ils ont été malades ou fatigués. Ils sont moins attentifs en classe qu’auparavant."

Les filles lui disent qu’elles dorment souvent l’après-midi après l’école, parfois durant deux heures ou plus. L’épuisement atteint également les enseignants. Les pénuries de carburant signifient moins de bus et de taxis.

Tous les jours, N. Al-Katib a 40 minutes de marche pour arriver à l’école. Pour ces raisons, les cours ont été retardés d’une demi-heure le matin et les emplois du temps réaménagés de manière à ce que les enseignants habitant le plus loin commencent les cours plus tard.
N. Al-Katib est célibataire et est restée plusieurs années en Arabie Saoudite pour travailler, ensuite elle a enseigné dans des écoles maternelles dans la Bande de Gaza après son retour.

Récemment, elle a décidé de passer un diplôme universitaire en études islamiques et elle est devenue professeur il y a trois ans. Elle est déjà l’une des enseignantes les plus populaires de l’école. "En tant que Palestiniens, nous devons compter sur notre éducation", affirme N.Al-Katib. "Bien sûr, nous dépendons de Dieu, mais nous devons obtenir quelque chose pour notre avenir. Un certificat d’examen construit notre avenir."

Elle a voté pour le Hamas aux élections il y a deux ans, et le ferait de nouveau. Elle pense qu’Israël porte la plus grande responsabilité dans la crise actuelle accablant la Bande de Gaza, mais ajoute que les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza également portent aussi une part du fardeau, tout comme le reste du monde arabe à cause de son silence. Mais elle dit que sa perception est que le soutien pour le Hamas n’a pas diminué. "Tout le monde ici connaît la vérité de ce qui se passe. Les personnes qui ont été avec le Hamas avant sont toujours avec eux. Laissez-le nous diriger tant bien que mal, comme ils veulent" dit-elle.

Le conflit envahit la vie de l’école. Récemment, un des frères d’un enfant a été tué au cours d’une incursion israélienne et il y a régulièrement des séances avec un psychiatre de l’école pour les enfants. Ils sont encouragés à parler de leurs expériences, à écrire des histoires et à dessiner. Les enseignants ont également remarqué des changements dans la façon dont les enfants jouent. Il existait déjà un jeu très en vogue, une reconstitution du conflit - "les Arabes et les Juifs," comme les enfants l’appellent.

Plus récemment, les enseignants ont découvert les enfants rejouant dans la rue les grandes funérailles qu’ils voient très souvent dans la bande de Gaza, se transportant les uns les autres sur leurs épaules à travers la cour de l’école.

"Vous pouvez voir comment cela les touche. Ils vivent ici, ils regardent les informations, ils voient comment leurs familles sont affectées", raconte N. Al-Katib. "Ce sont des enfants, mais ils n’agissent pas comme des enfants. Ici, ils jouent aux funérailles, dans le reste du monde, les enfants jouent avec des jouets. Voilà leur réalité."

NdT : en ce mois d’octobre 2008, les autorités israéliennes ont refusé d’autoriser l’accès à la Bande de Gaza un groupe de psychiatres qui devaient animer une conférence...

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16 mai 2008 - Article original et video : The Guardian - http://www.guardian.co.uk/world/200...
Traduction : Laurent G.


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