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Lettre ouverte d’un réfugié palestinien à Obama

mardi 11 novembre 2008 - 06h:30

Abdelfattah Abusrour * - Al-Rowwad

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"Je crois que chacun d’entre nous est un artisan du changement, et que personne n’a le droit de dire : ’Je ne peux rien faire’, ni de rester neutre à un moment où des injustices se commettent chaque jour".




Abdelfattah Abusrour
Ramallah
Cisjordanie occupée

6 novembre 2008

Monsieur le Président élu Barack Obama


Je voudrais vous féliciter pour cette victoire, victoire qui n’est pas seulement la vôtre comme vous l’avez dit dans votre discours, mais aussi celle de tous ceux qui croient en vous, pleins d’espoir dans le changement que vous impulsez et du désir que, par vous et vos efforts, il conduise votre pays et le monde à un héritage et un patrimoine positifs et soulève l’espoir en ces temps de désespérance.

J’ai eu de la chance et du bonheur dans ma vie. J’ai reçu une bourse pour continuer mes études en France où je suis resté neuf ans. Je suis revenu dans mon pays occupé avec un doctorat de philosophie parce que je croyais pouvoir apporter un changement, être un artisan du changement en brisant des stéréotypes culturels, et montrer une autre image de mon peuple, sa beauté et son humanité, à travers sa résistance non violente contre la laideur et la violence de l’occupation israélienne. Ce fut mon but en créant le Centre Al-Rowwad avec un groupe d’amis, pour permettre à nos enfants d’utiliser le théâtre et l’art pour un changement social et comme moyens d’expression non-violents afin qu’ils se maintiennent en vie, au lieu de devenir un numéro sur la liste des martyrs ou d’être handicapés pour le reste de leurs jours, ou encore périr en prison.

Je crois que chacun d’entre nous est un artisan du changement et que personne n’a le droit de dire : « Je ne peux rien faire », ni de rester neutre à un moment où des injustices se commettent chaque jour. Je crois, comme le Dr Martin Luther King Jr, que voyager nous libère de stéréotypes culturels et si les gens ont l’opportunité de se retrouver avec d’autres êtres humains, alors ils n’ont plus aucune raison de partir en guerre les uns contre les autres. Je crois dans le changement, exactement comme vous, et j’espère qu’un changement interviendra avec tous les efforts que nous faisons. Et à cause de cela, j’ai été récompensé en devenant le premier membre des Entrepreneurs sociaux Ashoka en Palestine.

Lorsque je me suis rendu pour la première fois aux Etats-Unis, en 2004, les autorités de l’immigration m’ont demandé mon nom, ma date de naissance, mon lieu de naissance, etc. Et comme il n’y avait dans leurs ordinateurs aucune Palestine d’indiquée dans la liste des pays, je fus Jordanien, parce que né en 1963 à Bethléhem alors sous contrôle jordanien. Mon père fut israélien puisqu’il était né en 1910 sous l’Empire ottoman dans son village de Beit Nateef, cela s’appelait pourtant la Palestine à l’époque mais le village fut occupé et détruit et il est aujourd’hui une partie de ce qui est Israël, pays créé en 1948. Quel doit être le sentiment de quelqu’un qui n’existe que comme « terroriste », et non comme « être humain » ?

Je crois dans les valeurs humaines et dans les droits humains. Je crois en la liberté, la justice, la démocratie et l’égalité. Vous avez parlé d’opportunité. Je crois qu’un peuple occupé a le droit de se défendre contre son occupant, à un moment où la victime de l’occupation est présentée comme l’oppresseur et le terroriste, et l’occupant comme une victime qui assure sa propre défense. Je crois que ceux qui luttent pour la justice et contre l’occupation sont des héros, comme vous. Je crois que vous êtes un modèle, et que vous toucherez les générations futures.

Je m’appelle Abdelfattah Abusrour. Je suis né dans le camp de réfugiés d’Aïda, un terrain loué pour 99 ans par l’UNRWA, l’Office des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, aux propriétaires palestiniens de cette terre de Bethléhem. Ma famille est originaire de Beit Nateef, l’un des 534 villages palestiniens détruits en 1948 par les bandits sionistes.

J’ai grandi dans le camp de réfugiés d’Aïda, réfugié dans mon propre pays. Je me souviens de la guerre de 1967 qui a éclaté alors que j’avais 4 ans. Je me souviens d’un ciel rempli d’avions et de tous les petits enfants recouverts de couvertures noires, cajolés par leurs mères. Je me souviens du terrain autour du camp, où nous nous amusions, où nous jouions nos pièces de théâtre en plein champ. Je me souviens de ces grands trous dans le sol quand, une fois remplis d’eau, ils devenaient nos piscines.

Une barrière de séparation a été érigée en 2002, qui est devenue en 2005 un mur d’apartheid de 30 pieds de hauteur, encerclant le camp par l’est, le nord et une partie de l’ouest.

Comme vous, j’ai été nourri de l’amour de mon pays. Comme vous, je me souviens de mon passé et du présent, je me souviens des clés rouillées de la maison de mes parents à Beit Nateef, des clés de portes qui n’existent plus mais des clés qui trouvent leurs portes dans nos c ?urs et dans notre imagination. Ces clés rouillées sont toujours avec moi. Je me souviens que nous avons été élevés avec cette conviction éternelle que le droit est le droit et que rien ne peut justifier de l’ignorer. Je me souviens que notre droit au retour dans nos villages et foyers d’origine est éternel, et que rien ne peut le modifier, ni les faits sur le terrain ni les accords politiques, car c’est un droit qui est aussi garanti par le droit international et les résolutions des Nations unies.

Jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, et année après année, nous vivons dans le mensonge et les promesses trahies pour le changement, et si un changement se produit : c’est pour aller vers le pire et non vers le meilleur. Rien ne s’améliore avec toutes ces négociations. Aucune promesse d’indépendance pour les Palestiniens n’a été respectée, même après 60 ans.

Je crois en la paix et la non violence, dans l’espoir et le droit, et la justice. Je crois dans les valeurs qui font de l’humanité ce qu’elle est. Je n’ai jamais haï personne. Mes parents étaient pleins d’amour et de paix. Ils ne nous ont jamais enseigné, à moi et à mes frères, autre chose que le respect des autres et un amour infini pour donner aux autres, les aider. Ils nous ont appris que lorsque vous usez de violence, vous perdez une part de votre humanité. Mais en même temps, ils nous ont appris à défendre ce qui est juste et à nous lever contre ce qui est injuste et faux. Par conséquent, j’ose le dire, vous avez devant vous de grands défis, et vous en êtes pleinement conscient. Mais ce qui demeure après tout, c’est ce que vous avez déclaré, ce sont les valeurs que vous défendez et l’héritage que voulez laisser à vos deux filles et aux générations futures. Je redoute le jour où mes trois fils et mes deux filles, ou tout autre enfant dans mon pays occupé, ou dans n’importe quel autre pays, viendront me demander, demain ou dans dix ans, ou vingt ans : « Qu’as-tu fait pour que le monde change ? ». C’est pour cela que je continue à ?uvrer pour un changement effectif et pour des lendemains meilleurs, à un moment où chaque jour qui vient est pire que celui qui l’a précédé. C’est pour cela que je continue, car je serai en mesure de leur répondre et de leur dire que j’ai agi pour que vienne le changement.

Je ne sais si vous lirez ces mots ou non mais j’espère que de tels mots qui viennent de mon c ?ur vous parviendront et que vous y lirez l’espoir et la force que notre peuple porte toujours en lui. J’espère que vous tiendrez votre promesse de changement, que vos filles resteront fières de leur père et de ce qu’il réalise. Le droit est le droit, et la justice est la justice. Tous les hommes sont égaux et aucune race ni couleur de peau ne sont supérieures aux autres.

Je vous souhaite la force et le pouvoir de porter le grand fardeau que vous héritez de votre précédent gouvernement et le courage de garder l’espoir et la force dans le changement que vous voulez réaliser, et la capacité à garder le peuple dans l’assurance qu’il n’est jamais trop tard pour le changement.

L’espoir vivra aussi longtemps que nous serons le changement que nous voulons. Et mon espoir est que nos enfants puissent profiter d’un monde en paix, sûr, propre et juste. Mes fils, Canan de 9 ans, Adam 7 ans et Ahmad 5 ans, mes filles, Rafa 3 ans, et Safa 4 mois, mon épouse et moi-même, vous souhaitons nos meilleurs v ?ux dans l’apport au monde du changement dont nous avons besoin.


AbdelFattah Abusrour, PhD
Membre Ashoka

* Abdelfattah Abusrour est le directeur du centre culturel et de formation théâtrale Al-Rowwad :

Directeur du centre culturel et de formation théâtrale Al-Rowwad dans le camp de réfugiés d’Aïda, près de Bethléhem, en Cisjordanie occupée


email : alrowwadtheatre@gmail.com ou aabusrour@gmail.com
web sites :
http://alrowwad.virtualactivism.net
http://www.amis-alrowwad.org
http://www.imagesforlifeonline.com

Du même auteur :

- Lettre ouverte au Président Abbas
- L’Eïd de l’espoir

6 novembre 208 - The Electronic Intifada - Traduction : JPP


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