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Les messages mystérieux de Damas

samedi 18 octobre 2008 - 12h:02

Hassan Abou-Taleb - Al-Ahram/hebdo

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Pour la troisième fois en quelques mois, la Syrie connaît un événement inhabituel. En février dernier, Emad Moghniya, l’un des plus importants dirigeants militaires au Hezbollah libanais, a été assassiné dans un quartier de Damas où les mesures de sécurité sont très strictes. Le mois dernier, a été annoncé l’assassinat du colonel Mohamad Soliman, qui est le conseiller sécuritaire du président Al-Assad. Puis, il y a eu l’explosion de la voiture piégée le 27 septembre dernier, qui a causé 17 morts et un grand nombre de blessés parmi les civils.

De prime abord, ces trois attentats dévoilent un grand paradoxe. Ce sont des actes terroristes dont les objectifs ont été choisis avec soin, et les événements de chaque attentat se sont déroulés avec grande aisance. Ce qui dénote la perfection de la planification et de l’exécution, et ce dans un Etat reconnu par le rigorisme sécuritaire. Ce qui suscite une question concernant les limites de l’infiltration extérieure et de la défaillance sécuritaire. Ces accidents nous poussent à dire que la Syrie n’est plus le pays de la sécurité, et qu’elle entre dans une phase dangereuse.

En plus de ce paradoxe, il y a une autre remarque aussi importante. Aucun organisme n’a revendiqué sa responsabilité envers ces attentats et les autorités syriennes n’ont pas encore annoncé la clôture des enquêtes effectuées par les services de sécurité syriens, concernant les deux premiers attentats. Il est question de « terrorisme qui a franchi les frontières », d’« ennemi historique de la nation arabe » ou « de ceux qui veulent du mal à la Syrie », etc. La théorie de l’implication intérieure directe signifie qu’il y a des différends et des différences entre des clans importants au pouvoir, y compris les services de sécurité qui leur sont affiliés et qui sont nombreux en Syrie. A cause de l’absence de mécanismes politiques et juridiques normaux capables de trancher ces différends. C’est alors qu’il y a eu recours à l’arme et à l’envoi de messages qui semblent mystérieux pour le public, mais très clairs pour ceux qui sont impliqués dans les événements mêmes. La liquidation est un message qui porte une dimension intérieure et qui a un prolongement extérieur.

Or, si cette théorie est valable pour l’assassinat de Emad Moghniya, elle ne l’est pas pour l’assassinat du colonel Mohamad Soliman, qui est responsable de la sécurité du Centre de recherches scientifiques et qui est en relation avec un programme et des activités nucléaires syriens. Il est donc normal qu’il soit impliqué dans les investigations effectuées par l’AIEA, autour du bâtiment mystérieux qui a été bombardé par des avions israéliens pendant l’été dernier. C’est alors qu’il avait été annoncé, mais sans preuve réelle, que c’était un projet nucléaire secret effectué avec la coopération de la Corée du Nord.

Il est donc probable que son assassinat ait pour objectif de priver l’AIEA des informations qu’il n’avait pas encore dévoilées. Donc la théorie de l’implication intérieure interprète les faits, non en tant que conflit intérieur entre les clans, mais en tant que protection du régime, surtout que les autorités syriennes n’ont annoncé aucun détail concernant l’assassinat. Et ce alors que le Dr Baradei considère cet assassinat comme une grande perte pour les investigations de l’AIEA.

Deux jours après l’explosion de Damas, il a été officiellement annoncé que l’opération était un attentat suicide, dans lequel sont impliqués des éléments de Gond Al-Cham, qui est une organisation locale en relation avec Al-Qaëda au moins en ce qui concerne la pensée et l’idéologie. Actuellement, des négociations indirectes entre la Syrie et Israël, sous un parrainage turc, sont en cours depuis 6 mois. Et la Turquie n’a accepté d’assumer cette mission qu’après avoir obtenu des garanties de la part des deux parties de ne commettre aucun acte qui mettrait en péril les négociations. Donc, si Israël est en relation avec l’explosion terroriste, ceci impliquerait un message d’animosité adressé non seulement à la Syrie, mais également à la Turquie. C’est peut-être pour cela qu’un ministre israélien a vite fait de nier toute relation avec l’explosion.

D’autres analyses mettent un lien entre l’explosion et le pouvoir iranien croissant à l’intérieur de la Syrie. Cette théorie peut aussi être justifiée, partant du fait que les intérêts iraniens régionaux peuvent être influencés par les négociations syro-israéliennes. Il se peut donc que Téhéran ait voulu adresser un message à Damas pour la prévenir contre les dangers que pourrait engendrer l’éloignement de la République islamique. Or, il semble qu’il est trop tôt pour Téhéran de recourir à des messages aussi sanglants, puisqu’il possède de nombreuses méthodes pacifiques, auxquelles il n’a pas encore eu recours, pour influencer la méthode de négociations syrienne dans le cas où les négociations avec Téhéran deviendraient directes sous un parrainage américain comme l’espère le président syrien.

En contrepartie, l’interprétation qui fait un lien entre l’explosion de la voiture piégée et les organisations fondamentalistes djihadistes, ?uvrant à l’intérieur de la Syrie ou dans un pays voisin comme le Liban, semble très logique. La Syrie a toujours joué un rôle principal en tant que passage pour des groupes djihadistes vers l’Iraq juste après son occupation. Et ceci ne pouvait se produire que dans le cas de facilités logistiques autant officielles que populaires. Il se peut que ces groupes aient pu fonder les cellules syriennes pour les utiliser en cas de besoin. C’est alors qu’il y a eu l’infiltration iranienne chiite en plus du changement des positions syriennes envers le gouvernement iraqien et des négociations avec la Syrie. C’est ainsi qu’un fort message peut être adressé pour annoncer l’insatisfaction de ces groupes djihadistes envers les nouvelles tendances syriennes.

Cet attentat peut alors être une réponse à la réclamation du président syrien, adressée à son homologue libanais, de diriger l’armée vers Tripoli pour dominer les groupes fondamentalistes en conflit avec les Alaouis libanais. On raconte au Liban qu’Al-Assad aurait dit à Michel Soliman que c’étaient les groupes terroristes ?uvrant au Liban qui étaient responsables de l’attentat.

Si ceci est vrai, il est possible que les derniers mouvements militaires syriens aux frontières libanaises portaient un message pour annoncer que Damas ne resterait pas les bras croisés face aux actes nuisant à sa sécurité. Ce sont ces groupes qui ont pris l’initiative de l’attaque et Damas devra répondre. Et il semble que les territoires libanais seront la scène des prochains affrontements, ce qui changera énormément l’image de l’environnement régional dans lequel ?uvrent la Syrie, le Liban et nombre d’Etats concernés dans la région.

Du même auteur (politologue) :

- Comment sortir de la crise libanaise ?
- Motifs et obstacles de la réconciliation palestinienne
- Le Liban ... un cas unique

Al-Ahram/hebdo - Semaine du 15 au 22 octobre 2008, numéro 736 (Opinion)


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