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Des Afghans préfèrent la sécurité avec les Talibans

samedi 18 octobre 2008 - 07h:26

Anand Gopal - The Christian Science Monitor

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Dans des provinces juste au sud de Kaboul, le gouvernement de l’ombre des insurgés contrôle les routes et assure la justice. L’auteur montre comment se forment les groupes locaux qui composent les forces des Talibans en Afghanistan

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Comme il y a 12 ans, ils gagnent le soutien des gens en faisant régner l’ordre public.




Porak, Afghanistan. Une bande de voleurs semait régulièrement la terreur dans un quartier afghan près d’ici, il y a des mois, et les gens ont décidé un jour que ça suffisait. « Nous nous sommes plaints à plusieurs reprises auprès du gouvernement et nous lui avons même montré où vivaient les voleurs » dit Ahmad qui se présente sous ce seul nom.

Mais les bandits ont continué d’opérer en toute liberté. Alors, les villageois se sont tournés vers les Talibans.

Le gouvernement parallèle des militants talibans dans la province du Logar - à moins de 40 miles de la capitale, Kaboul - a jugé et condamné les voleurs, leur a enduit le visage de goudron, les a exhibés dans tous les environs et les a menacés de leur trancher les mains s’ils étaient à nouveau surpris à voler à l’avenir. Les voleurs n’ont plus jamais dérangé les habitants.

Dans plusieurs provinces proches de Kaboul, la présence gouvernementale est évanescente, voire déjà inexistante, d’après les résidents. A sa place, avec efficacité - et brutalité -, le gouvernement de l’ombre des Talibans gagne du terrain et le soutien local.

« La police n’est là que pour la frime. » dit un habitant. « Ce sont les Talibans qui détiennent le vrai pouvoir ici. »

Une désillusion généralisée devant une criminalité galopante, un gouvernement corrompu, ainsi que le manque de travail ont composé le ferment de l’ascension des Talibans vers un pouvoir de fait - spécialement dans les zones dominées par les Pashtuns, de la même ethnie. Le fait que les Talibans aient des structures de pouvoir si proches de Kaboul montre aussi à quel point le gouvernement afghan a perdu le contrôle du pays.

« C’est un problème majeur pour le gouvernement. » dit Habibullah Rafeh, analyste politique de l’académie des Sciences afghane. « Même si les Talibans ne peuvent s’emparer militairement de Kaboul à cause de la puissance des forces internationales présentes, le gouvernement ne peut les empêcher d’opérer librement jusqu’aux limites de la cité. »

Quand le gouvernement du président Hamid Karzai a d’abord pris le pouvoir en 2001, « les autorités ont remis à chaque famille, dans le Logar, deux kilos de nourriture » dit un habitant qui travaille dans une ONG internationale et qui se présente sous le nom d’Abdel Qabir. « Quand les dons ont cessé, chaque famille a alors reçu 200 $ d’aides. Mais cela aussi a cessé et les gens n’ont plus eu d’argent et les criminels sont apparus partout. »

« Alors, les gens se sont tournés vers les Talibans, » poursuit Mr Qabir. « ils ne pouvaient pas leur donner de travail mais au moins, ils partageaient la même culture et ils leur apportaient la sécurité. »

Les villageois disent que dans presque tous les ménages de la province du Logar, il y a des combattants talibans. Le jour, la zone est calme : la plupart des gens restent chez eux derrière d’épais murs de terre ou s’occupent de leurs champs. Il y a un marché minuscule, sur le bord de la route, où on vend des fruits secs et des boissons non alcoolisées, et les boutiques sont souvent laissées sans surveillance pendant des heures.

A la tombée de la nuit, les combattants talibans émergent lentement des maisons et des collines environnantes, certains portant des lance-roquettes sur l’épaule, prêts à commencer leur travail nocturne. La guérilla a posé des check-points le long de la route principale de la province du Logar, arrêtant camions et taxis pour vérifier les identités.

A quelques kilomètres, il y a un check-point de la police, mais la police elle-même dit ne pas oser pénétrer dans les zones contrôlées par les Talibans. De toute façon, selon de nombreux villageois, ils n’ont aucunement besoin de la police puisque la criminalité a presque disparu.

La présence des troupes étrangères dans le Logar et les provinces voisines reste aussi limitée. Les forces de l’OTAN se contentent de patrouiller dans certains secteurs et concentrent leurs efforts sur des opérations spécifiques, généralement la nuit.

La présence des Talibans est aujourd’hui importante dans tous les sept districts de la province du Logar, contrôlant complètement 4 d’entre eux, disent les gens d’ici. « Dans ces districts, les Talibans patrouillent ouvertement pendant la journée et il n’y a absolument aucune présence gouvernementale. » dit Qabir.

Dans la province voisine du Ghazni, les Talibans ont le contrôle total de 13 des 18 districts, selon les habitants. De même, dans la province du Wardak, limitrophe à Kaboul, les insurgés contrôlent 6 des 8 districts. Aucun, pourtant, dans l’une ou l’autre des régions, des 6 districts dominés par les Hazaras n’est tenu par les Talibans.

Dans les zones sous leur contrôle, les Talibans ont installé leur propre gouvernement, avec des chefs de police, des juges et mêmes des commissions d’enseignement.

C’est un universitaire islamique qui dirige la commission judiciaire de chaque district sous contrôle taliban et nomme généralement deux juges qui rendent leur décision sur une interprétation stricte de la Sharia, selon des habitants et des Talibans. « Nous préférons ces tribunaux à ceux du gouvernement. » dit Fazel Wali, de la ville de Ghazni et salarié d’une ONG. « Les tribunaux talibans sont réputés pour être plus diligents que ceux du gouvernement qui mettent souvent des mois pour rendre leur décision et sont englués dans la corruption, dit-il. »

Le gouvernement parallèle des Talibans s’est aussi impliqué dans l’enseignement local. Les employés de la Coordination des secours afghane, une ONG afghane qui travaille à Ghazni et forme des enseignants, disent que les autorités des Talibans leur ont remis récemment une lettre détaillant les « programmes autorisés » dans les écoles locales.

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Les USA travaillent à renforcer le professionnalisme de la police afghane. Mais dans plusieurs provinces autour de Kaboul, les gens disent que les Talibans sont beaucoup plus efficaces pour le maintien de l’ordre. (Andy Nelson/The Christian Science Monitor)

Abdul Hakim, « Emir taliban de l’Enseignement et de la Culture », de la province de Ghazni, dit que son groupe contrôle tous les manuels scolaires pour s’assurer qu’ils adoptent bien leur version de la Sharia. « Nous voulons être sûrs que notre jeunesse sera formée avec un enseignement islamique. », explique-t-il. « D’abord, ils doivent apprendre la Sharia et suivre l’enseignement religieux. Puis, les sciences et les autres matières... Mais nous ne brûlerons ni ne fermeront les écoles si elles sont d’accord avec l’Islam. »

Toutefois, d’après les habitants, le nombre d’écoles dans les territoires contrôlés par les Talibans a baissé rapidement. Sur les 1 100 écoles qui enseignaient il y a trois ans dans la province de Ghazni, seules 100 existent toujours d’après le ministre de l’Education. Il ne reste quasiment aucune des écoles de filles à l’exception de près d’une dizaine dans le centre de la province sous contrôle gouvernemental.

Le groupe taliban implante aussi son interprétation austère de l’Islam dans les zones qu’il contrôle, bannissant les musiques non religieuses et les fêtes de mariage exubérantes. Dans le Logar, les gardes, aux check-points talibans, arrêtent régulièrement les véhicules et frappent les conducteurs qui passent de la musique.

La police gouvernementale refuse souvent de pénétrer dans les territoires talibans. Quand, il y a quelques mois, dans la province du Logar, les Talibans ont mis le feu en pleine nuit à des maisons de gens suspectés de sympathiser avec le gouvernement, les habitants, désespérés, ont fait appel à la police. « Mais la police nous a dit seulement d’attendre jusqu’au matin, car elle n’aime pas sortir la nuit », se souvient un habitant. Et les maisons ont complètement brûlé.

Mozafaradeen Wardak, chef de la police dans la province du Wardak, réfute ces allégations et dit que, si les insurgés contrôlent effectivement les provinces de Logar et de Ghazni, la police assure ses patrouilles régulièrement.

Selon un analyste politique indépendant, Waheed Muzhdan, la progression des Talibans depuis le sud vers Kaboul ressemble à la précédente, lors de leur première prise de pouvoir il y a 12 ans. « Dans les deux situations, dit-il, ils ont gagné le soutien des gens en faisant régner l’ordre public. »

« Nous n’avons pas la télévision. Nous ne pouvons pas écouter de la musique. Nous n’avons pas de fêtes, » dit Abdul Halim de la province de Ghazni, où, comme dans les autres zones, on soutient les Talibans. « mais au moins, nous avons la sécurité et la justice. »

Anand Gopal est maître assistant en Systèmes informatiques à l’Ecole des Affaires Robert H. Smith School, Université du Maryland.

Du même auteur :

- Les drapeaux du Hamas flottent sur les camps du Liban

15 octobe 2008 - The Christian Science Monitor - Traduction : JPP


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