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Liban : vers une guerre régionale ?

mardi 9 janvier 2007 - 19h:07

Marie Nassif-Debs/PCL

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L’échec de la médiation "arabe" au Liban serait-il la prémice d’une guerre régionale ?

Au même moment où la ministre des Affaires étrangères des Etats-Unis, Condoleeza Rice, décrétait, dans un communiqué surprenant, une interdiction à ses ressortissants de visiter le Liban et « avertissait » ceux qui se trouvent au Liban « d’avoir à prendre des précautions en vue d’une escalade possible contre les intérêts étasuniens », le secrétaire général de la Ligue arabe, Amro Moussa, déclarait ouvertement l’échec de sa médiation et sonnait l’alarme, lui aussi, en appelant les Libanais à se mettre d’accord et à « investir » sur une base patriotique « qui obligerait les investisseurs régionaux et internationaux à prendre en considération les intérêts du Liban »... « Sinon, le pays entrerait dans un tunnel très, très, très noir ».

Y a-t-il corrélation entre les deux déclarations ? Sans aucune doute.

Parce que la médiation de la Ligue arabe, basée sur un accord entre l’Egypte et l’Arabie Saoudite, avait besoin pour se réaliser, selon ceux qui l’avaient préparée, du feu vert de l’administration américaine ; ce que Amro Moussa avait tenté de réaliser en visitant Washington, il y a deux semaines, pour y rencontrer Condoleeza Rice et lui soumettre la proposition des Arabes proches de son pays...

A cette lumière, nous pouvons dire que le dernier discours de Condoleeza Rice constitue la mise en échec de la médiation arabe, vu qu’il coupe tous les ponts possibles entre le Liban et une solution politique à la crise dans laquelle vit ce pays. Et cet échec s’explique, en grande partie, par le fait que les négociations entre les Etats-Unis, la Syrie et l’Iran concernant l’Irak ont, eux aussi, échoué, ce qui a poussé l’administration de Georges W. Bush à faire voter, rapidement, par le Conseil de sécurité de l’ONU, la résolution 1737 stipulant des sanctions économiques contre Téhéran mais aussi à refuser d’assainir la situation tendue au Liban...

Donc, la situation libanaise est de plus en plus liée à ce qui se passe dans le Golfe arabique où Georges W. Bush patauge dans une boue de plus en plus dense et voudrait s’en sortir en impliquant Damas et Téhéran dans la recherche d’une solution qui n’obligerait pas ses généraux et ses troupes à revivre le syndrome vietnamien. Et la seule possibilité existant pour lui d’arriver à ses fins se trouve au Liban, pays divisé et où le Hezbollah et certains de ses alliés sont appuyés par la Syrie et l’Iran dans la guerre menée pour libérer les territoires libanais toujours occupés par Israël.

Cette situation de fait, liée à la présence américaine précaire en Irak, explique clairement la crise aiguë vécue, depuis 2004, par les Libanais, surtout à cause de la résolution 1559 du Conseil de sécurité et de la réponse syrienne à cette résolution, exprimée par la reconduction pour trois ans du président de la République, Emile Lahoud, ami et allié de la Syrie.

En effet, la résolution 1559 contenait, tant par les clauses déjà appliquées que par celles qui ne le sont pas encore, plusieurs détonateurs pouvant mettre le feu aux poudres.
Elle mettait, d’abord, la Syrie hors du Liban après lui avoir retirée la « carte blanche » qui lui fut donnée en 1989 pour la récompenser de sa présence aux côtés de Georges Bush père en Irak. Elle exigeait, ensuite, le départ de Lahoud suivi d’élections présidentielles anticipées qui amèneraient un « ami » des Etats-Unis à la première magistrature. Elle exprimait, surtout, la volonté des Etats-Unis (et de la France) de désarmer le Hezbollah, afin d’assurer à leur allié israélien la sécurité sur la frontière du Liban et de lui permettre de bénéficier de l’eau des fleuves libanais nécessaire pour l’agriculture ; sans pour autant oublier le point le plus important : rendre à Israël la suprématie militaire qu’il avait perdu en l’an 2000 au Sud Liban, ce qui l’a obligé à se retirer de cette partie et de garder les fermes de Chebaa et les hauteurs de Kfarchouba, places stratégiques pour défendre la plaine occupée d’El-Houleh et la région du lac de Tibériade.

Et, puisque ce qui restait de cette résolution 1559 était difficilement applicable par les seuls Libanais proches de Washington l’administration américaine a eu recours, depuis deux ans, à l’arme de la déstabilisation ; ce qui a permis toutes sortes de crimes, depuis les assassinats politiques et jusqu’à l’agression israélienne de l’été 2006 qui fut, de nouveau, un échec cuisant pour les amis des Etats-Unis.

Comment se présente la situation actuelle ?

Il faut dire, d’abord, que c’est une situation très difficile et très tendue. Le pays est divisé sur des bases plus ou moins confessionnelles qui rappellent en quelque sorte ce qui se passe en Irak. Des heurts se font quotidiennement entre sunnites et chiites, surtout. Et les deux parties qui s’affrontent le font sur les bases du régime politique confessionnel lui-même : les mots d’ordre prônés par les loyalistes visent, surtout, le Hezbollah, l’accusant de vouloir créer un « état dans l’Etat » et de vouloir utiliser les armes qu’il possède pour des fins de politique intérieure ; quant aux slogans lancés par l’opposition, ils ne visent pas un véritable changement des lois sur des bases laïques non confessionnelles, tel que l’Accord de Taëf l’avait en partie décrété il y a de cela plus de 16 ans. Bien au contraire : malgré le traumatisme que cette opposition a subi à cause des positions pro- américaines (et certains vont jusqu’à dire « pro israéliennes ») du Premier ministre Fouad Sanioura et de certaines factions au pouvoir (tels le Parti socialiste, druze, de Walid Joumblat ou les « Forces libanaises » fascistes chrétiennes de Samir Geagea), surtout lors de la dernière agression israélienne, ce qu’elle veut et revendique, c’est tout simplement un « nouveau » gouvernement où elle aurait, aux côtés de ceux qui lui avaient porté un très grand préjudice, le tiers des ministres afin d’empêcher, dit-elle, toute possibilité de coup d’état à son égard... Quant à la suppression du confessionnalisme en politique ou à la promulgation d’une loi électorale basée sur la proportionnelle en dehors des quotas accordés aux confessions religieuses, elle n’en a que faire ! De même, il n’est pas question pour elle de recourir à une campagne contre les privatisations qui se préparent et les projets de nouvelles taxes (dont une TVA à 15%) que Sanioura voudrait voir aboutir lors de la « Conférence de Paris 3 » qu’il prépare avec certains de ses ministres sous le patronage de Georges W. Bush et de Jacques Chirac.

Sur cette division, déjà porteuse de désastres, vient se greffer une autre, tout aussi grave sinon plus, concernant le plan américain pour la région, le projet du « Grand Moyen-Orient » dont le Liban et la Palestine sont les premiers concernés, après l’Irak bien entendu.

Dans cet objectif, il faudra noter que le rapport fait par la commission Baker-Hamilton n’a pas abouti où certains s’attendaient, c’est-à-dire au retrait étasunien de l’Irak et aussi à la recherche d’une solution juste pour le problème palestinien. Georges Bush et son administration en ont décidé autrement : poursuivre leur guerre meurtrière, malgré et contre tout, vu que cette guerre fut menée pour des raisons stratégiques faisant prévaloir des intérêts économiques colossaux ; ce qui met toute la région au-dessus d’une poudrière qui risque d’exploser à tout moment, avec la forte possibilité (dans très peu de temps) d’une guerre-éclair contre la Syrie rendue responsable de la situation plus que précaire qui prévaut à Bagdad, puisqu’on l’accuse de soutenir les résistants irakiens, mais aussi de tous les crimes dont le Liban est le théâtre, puisqu’elle continue à soutenir le Hezbollah.

Une telle guerre, pense Bush, lui rendrait une partie de sa popularité perdue, à la veille des élections pour la présidence des Etats-Unis, puisqu’il espère pouvoir mettre la main sur le régime syrien et, par le fait même, sur ses alliés au Liban et en Palestine. De plus, il croit qu’une victoire contre la Syrie serait plus facile pour son allié israélien et aiderait ce dernier à sortir de la crise qu’il vit depuis l’été dernier, à cause de la victoire enregistrée par le Hezbollah et la Résistance patriotique libanaise qui ont pu arrêter l’agression de juillet, malgré le déséquilibre des forces en présence et le recours des généraux israéliens aux bombardements intensifs des cibles civiles (abris, ambulances, ponts, immeubles).

Voilà pourquoi, Il n’a eu de cesse, ainsi que son administration (et ses alliés européens), de proclamer la nécessité de porter aide et assistance au gouvernement libanais de Fouad Sanioura, qu’il qualifie de « gouvernement élu démocratiquement » et de « meilleur représentant de la jeune démocratie libanaise », bien qu’il sache que la majorité actuelle n’aurait pu prendre naissance que parce que Sanioura, et Joumblat avec lui, avait passé des alliances avec les chiites du Hezbollah lors des élections de juin-juillet 2005, tant dans la région de Baabda que dans celles de la Békaa-ouest et du Sud...

D’autre part, Bush oublie aussi qu’il n’est pas le seul « joueur » à détenir des atouts dans la région et qu’il ne lui suffit pas de se présenter sous le visage de celui qui lutte contre le terrorisme pour avoir l’aval des peuples de la région, surtout que c’est sa politique et celle de ses prédécesseurs qui fut à la base de tous les terrorismes et que ses guerres au Moyen Orient, depuis l’Afghanistan et jusqu’à l’Irak, n’ont abouti qu’à des résultats désastreux sur tous les plans, y compris pour les Etats-Unis.

Donc, le pire est à prévoir pour la région arabe. Au Liban surtout, en tant que voisin proche de la Syrie et dans lequel vivent plus de 300 000 Palestiniens rejetés par Israël qui leur refuse le droit au retour dans leurs terres.

Et, si certains reviennent beaucoup sur des possibilités d’intervention indirecte de la part d’Israël, c’est qu’ils tiennent compte de la présence de cellules appartenant au MOSSAD (dont une fut démantelée il y a quelques mois) et qui avaient fait leurs preuves dans des actes terroristes, dont des assassinats de cadres palestiniens, à Saïda, et des plasticages de lieux publics et d’hôtels dans des régions proches de Beyrouth. Il n’en reste pas moins de dire que l’exacerbation des sentiments religieux et les campagnes menées sur cette base n’ont rien d’innocent.

La solution adéquate ?

Elle réside dans la laïcité qui mettrait fin à deux siècles de guerres fratricides religieuses et empêcherait toutes les tentatives de la part de la classe politique libanaise de faire appel à la tutelle étrangère afin de garantir son pouvoir ou de préserver ses privilèges.

Une telle solution demande, bien entendu, beaucoup de temps pour se réaliser.

En attendant, et pour préserver la paix civile menacée, surtout à cause de l’influence de la situation régionale sur la situation intérieure libanaise et de l’influence directe des « grands joueurs » américains, syriens et iraniens sur les forces politiques libanaises qui s’opposent aujourd’hui, un plan en trois points peut ramener une certaine accalmie et donner aux belligérants et aux autres forces non confessionnelles le temps discuter des problèmes réels.

Ces trois points sont :

  • D’abord, la constitution d’un gouvernement provisoire qui aurait des prérogatives importantes qui lui permettraient de présenter, dans un délai de deux mois, une loi électorale basée sur la proportionnelle.
  • Ensuite, et sur les bases d’une telle loi, le gouvernement appellerait à des élections législatives anticipées.
  • En dernier lieu, le nouveau parlement élirait un président de la République et constituerait un gouvernement d’unité nationale dont la tache première serait de trouver une solution aux problèmes socio-économiques et de résoudre les problèmes politiques les plus pressants.

Mais les Etats-Unis de Georges W. Bush permettraient-ils la réalisation d’une telle solution ?

Marie NASSIF-DEBS

Membre du Bureau politique du PCL

Beyrouth, le 25 décembre 2006

http://www.lcparty.org/080107_11.html


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