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La Palestine s’offre des Beaux-Arts

lundi 8 janvier 2007 - 21h:17

Le Monde - Benjamin Barthe

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La galerie Al-Hoash, embryon du futur Musée national d’art contemporain palestinien, a ouvert au coeur de la partie arabe de la ville au printemps 2006.

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Vue générale de Jérusalem, avec le Dôme du Rocher au premier plan.
Photo AFP/YOAV LEMMER

Tout a commencé un soir de l’été 2004, lors d’un dîner donné par Mazen Qupty, un avocat renommé de Jérusalem-Est, qui possède la plus vaste collection d’art palestinien au monde. La singulière beauté des toiles accrochées sur les murs de son salon enthousiasme ses invités, des diplomates étrangers. Il y a un bouquet de fleurs à la mode impressionniste, une scène folklorique nimbée d’une lumière orangée, un vaste damier de collages et de couleurs, des nus stylisés et, en face de la table de la salle à manger, une fantasmagorie avec un gamin sur une balançoire, entourée de figurines de femmes.

A l’idée que ces oeuvres ne constituent qu’un échantillon de la collection, riche de 160 tableaux, les invités s’étonnent que leur hôte n’ait pas encore eu l’idée de faire un musée. "Je leur ai aussitôt répondu que c’était un rêve, un beau rêve, mais un rêve irréalisable, raconte Mazen Qupty, un élégant quinquagénaire qui s’est fait un nom et une fortune en défendant les intérêts des Eglises chrétiennes en Terre sainte. Dans le contexte actuel, les Palestiniens ont bien d’autres priorités que l’art."

L’argument n’a convaincu personne, pas même son auteur. Quelques mois plus tard, Mazen Qupty réunissait une vingtaine d’artistes et d’hommes d’affaires palestiniens désireux de relever le défi et, au printemps 2006, la galerie Al-Hoash, embryon du futur Musée national d’art contemporain palestinien, ouvrait au coeur de la Jérusalem arabe. "Tout commence par un rêve", sourit l’avocat, naturellement nommé directeur du conseil d’administration.

Vernissages, rétrospectives, ateliers, visites pour les écoliers et les femmes du quartier... En quelques mois, l’endroit a fait ses preuves : il a dynamisé la scène artistique palestinienne et redonné du souffle à une communauté en mal d’identité, du fait du mur qui l’isole de la Cisjordanie et de la fermeture par les autorités israéliennes de la Maison d’Orient, siège officieux de l’Autorité palestinienne à Jérusalem. "En arabe, Al-Hoash désigne la cour intérieure des maisons, explique la conservatrice, Salwa Mikdadi, qui a participé au lancement du projet avec le soutien du Programme des Nations unies pour le développement et du Musée national d’art norvégien. C’est un espace traditionnel où la famille reçoit les invités. Le choix de ce terme est intentionnel. Nous voulons créer un centre artistique qui satisfasse non pas les désirs de l’élite mais les besoins de la communauté."

Dans l’esprit des fondateurs, le lieu et l’appellation sont temporaires. Mazen Qupty et les personnalités qui l’épaulent dans cette aventure, comme Zahi Khouri et Mounib Al-Masri, deux des entrepreneurs les plus fortunés des territoires, planchent déjà sur l’étape suivante : la construction d’un véritable musée, auquel Mazen Qupty s’est d’ores et déjà engagé à céder sa collection. "Il est déterminant de rassembler notre patrimoine et de montrer ce que nous savons faire, dit le bienfaiteur des artistes palestiniens. Les Etats-Unis et Israël ont réussi à convaincre le monde que nous sommes des terroristes. Mais nous, nous voulons juste être des êtres humains, et l’art, dans cette optique, a un rôle majeur."

Le projet, qui pourrait prendre la forme d’un village comprenant ateliers et résidences d’artistes, est chiffré à près de 20 millions de dollars. "Comparée aux 400 millions de dollars que va coûter le Musée Guggenheim à Abou Dhabi, notre ambition paraît modeste, mais, à l’échelle de la Palestine, c’est un immense chantier", dit M. Qupty.

L’un des principaux obstacles tient au manque de personnel qualifié. Et, jusqu’à la fin des années 1980, les autorités militaires israéliennes ont entravé l’enseignement des beaux-arts dans les universités palestiniennes. "Cela participait de la même idée que de bannir l’usage du drapeau palestinien ou de prévenir la vente de certains livres, raconte Rime Fadda, directrice de l’Association palestinienne pour l’art contemporain. Il s’agissait, et dans une certaine mesure il s’agit toujours, d’empêcher toute forme d’expression identitaire collective."

Beaucoup d’artistes qui ont grandi dans les années 1970 et 1980 se sont formés sur le tas, comme Khaled Hourani, devenu à 41 ans l’un des plasticiens palestiniens les plus remarqués. D’autres, parce qu’ils décrochèrent une bourse ou parce que leur famille fut chassée de Palestine en 1948, ont étudié à l’étranger, comme le peintre Samir Salameh, âgé de 62 ans, qui fit les Beaux-Arts à Paris.

Aujourd’hui, grâce au soutien des consulats étrangers, cette chance est donnée à un nombre grandissant de jeunes talents, comme Jawad Al-Malhi, un autodidacte parti se perfectionner à Londres. Comparés à leurs voisins jordaniens, les artistes palestiniens témoignent d’une fécondité rare, qui perce de plus en plus sur la scène internationale, notamment dans le domaine de la photo et de la vidéo. Ainsi, la jeune photographe Emily Jacir, qui partage son temps entre Ramallah et New York.

Mais le carcan de l’occupation, plus rigide que jamais depuis le début de l’Intifada, entrave toujours de nombreuses vocations. "Du fait du bouclage de la bande de Gaza, il est impossible de faire venir les créateurs qui y vivent dans les ateliers que nous organisons en Cisjordanie, dit Rime Fadda. Récemment, un jeune artiste de Ramallah qui avait obtenu une bourse pour étudier à l’étranger a été empêché de quitter le pays par l’armée israélienne."

Catherine David, une conservatrice française, membre du jury du concours du meilleur jeune artiste de l’année, organisé fin 2006 par la Fondation Qattan de Ramallah, constate que cette situation se ressent sur la production. "On remarque une tendance au repli sur soi. Beaucoup d’oeuvres sont de l’ordre de la compulsion privée, alors que le travail consiste justement à prendre de la distance par rapport au monde et au matériau." Sa collègue Salwa Mikdadi est plus optimiste : "En dépit de la situation, le milieu artistique palestinien regorge d’énergie. C’est comme un ballon que l’on écrase et qui rebondit à chaque fois."

Pour encadrer ce vivier, l’omniprésent Mazen Qupty et ses complices ont fondé une Académie d’art à Ramallah, qui devrait dispenser dès cette année une formation aux techniques de création contemporaines, en rupture avec l’académisme professé depuis dix ans dans les facultés de Naplouse et de Gaza. Une partie du personnel du futur musée a été envoyée à l’étranger pour se familiariser avec les méthodes modernes de gestion et de préservation du patrimoine artistique. Ouverture prévue dans une dizaine d’années. En espérant, précise M. Qupty, que "les autorités israéliennes consentiront à nous délivrer un permis de construire". Ou bien qu’à cette date, rêve ultime, Jérusalem-Est ne sera plus occupée.

Benjamin Barthe

Publié sur Le Monde : http://www.lemonde.fr/web/article/0...
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