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Bolivie : bras de fer entre l’oligarchie et Evo Morales

samedi 20 septembre 2008 - 08h:42

Paul Sorel

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Depuis des mois, la situation est tendue en Bolivie. L’oligarchie et tout ce que le pays compte de réactionnaires est en lutte ouverte, et parfois armée, contre le gouvernement central du pays dirigé par Evo Morales.

La droite tente, depuis le début de la présidence, de contrecarrer les réformes, même les plus modestes, en faveur des déshérités. Mais le président bolivien vient de recevoir le soutien, non seulement du président du Venezuela, Chavez, qui le soutient depuis le début, mais des États voisins : Brésil, Chili, Colombie, etc.

Une rébellion ouverte

Le 13 septembre, le département du Pando, un des cinq départements où la droite mène une agitation sécessionniste, a été placé en état de siège. Des affrontements armés avec des milices d’extrême droite, mises sur pied sous la responsabilité du gouverneur auraient entraîné la mort d’une trentaine de personnes. L’armée, qui se montre jusqu’ici fidèle au président Morales, recherche désormais le gouverneur.

Ces affrontements font suite aux multiples heurts qui ont eu lieu dans les cinq départements dont les gouverneurs réclament l’autonomie, voire menacent de faire sécession, qui forment la « media luna » (le croissant de lune) à l’est du pays. Autour de la ville de Santa Cruz, où a été lancé ce mouvement pour l’autonomie, la population des quartiers pauvres résiste avec force à la tentative de sécession menée par les riches industriels et les grands propriétaires.

Excédé du soutien ouvert des États-Unis à ces opposants, le président Morales a renvoyé l’ambassadeur, connu auparavant pour son soutien matériel et politique aux sécessionnistes de Bosnie et du Kosovo. Le président du Venezuela, Chavez, en solidarité avec son homologue bolivien, a fait de même, se déclarant prêt à intervenir directement si le gouvernement était destitué ou s’il était attenté à la vie d’Evo Morales. Ce dernier, devant des milliers de partisans rassemblés à Cochabamba, en a appelé à la mobilisation du peuple bolivien « pour défendre le changement » en déclarant : « Si nous ne pouvons pas vaincre, il faut mourir pour la patrie et le peuple bolivien. »

L’emprise de l’impérialisme

Morales, ancien leader syndicaliste paysan, est venu au pouvoir, appuyé par une forte mobilisation populaire, en promettant de lutter contre les injustices, de nationaliser les riches réserves énergétiques, de faire une réforme agraire, de lutter contre l’analphabétisme et de redistribuer une plus grande part des richesses à la population pauvre.

En Bolivie, le pays le plus pauvre de l’Amérique latine, 40 % de la population reste rurale. Jusqu’ici 7 % de grands propriétaires terriens possédaient 87 % des terres cultivables, les meilleures. Cette oligarchie latifundiaire est concentrée dans l’est du pays, où elle est omnipotente. C’est elle qui organise la rébellion contre le gouvernement. C’est aussi à l’est que sont concentrées les riches réserves de pétrole et surtout de gaz. La majorité de la population est indienne et est méprisée en tant que telle. Le racisme des riches Blancs est d’autant plus ostentatoire que Morales est indien.

Si la Bolivie a été, comme bien des pays de cette région, sous la férule directe de l’impérialisme américain qui y a contrôlé le pouvoir, au travers de l’armée, pendant des dizaines d’année de dictatures militaires successives, sa population pauvre, une classe ouvrière, des habitants des quartiers populaires et une petite paysannerie, a souvent fait preuve d’une grande combativité au cours des soixante dernières années.

Après des mobilisations qui ont pris toute leur ampleur à partir de l’année 2000, Evo Morales a créé son parti, le MAS (Mouvement vers le socialisme) et a été élu président avec 53,7 % des voix en décembre 2005. Quelques mois plus tard, les élections à l’Assemblée ont renforcé son assise électorale. Au mois d’août dernier, un référendum l’a confirmée, avec 67 % des voix en sa faveur.

Mais ni la petite minorité de privilégiés qui contrôle l’économie et les médias, ni Washington, ne veulent admettre le moindre abandon de leurs privilèges antérieurs. Evo Morales n’a pas exproprié les grands groupes industriels et commerciaux, il s’est montré modéré et conciliant, mais il a aussi cherché à respecter, au moins en partie, les engagements pris devant ses électeurs populaires. C’est ce que l’oligarchie et l’impérialisme américain ne lui pardonnent pas.

Sans vraiment nationaliser, le gouvernement a renégocié les conditions d’exploitation des richesses énergétiques. Les rentrées pour l’État bolivien ont grimpé de 300 millions de dollars en 2005 à 1,6 milliard en 2007. Il a annulé le contrat qui permettait au groupe français Suez-Lyonnaise des Eaux de piller les populations et qui avait entraîné des soulèvements. Il envisage une réforme agraire qui répartirait 16 millions d’hectares. Il a créé une sorte de minimum vieillesse et des droits à la santé pour les couches les plus pauvres, en prélevant sur les rentrées financières nouvelles de l’État. Enfin, avec l’aide des instructeurs cubains, il a entamé un programme d’alphabétisation du pays, parmi les plus retardataires du continent.

L’oligarchie ne veut rien céder

Il est symbolique que la révolte menée contre le gouvernement de Morales par une partie des couches dirigeantes se mène essentiellement contre la réforme agraire annoncée, qui « mettrait en danger l’économie ». À leurs yeux, la petite retraite donnée aux plus pauvres serait un « gaspillage ».

Après avoir fait pendant des mois de l’obstruction à l’Assemblée, pour tenter d’empêcher la promulgation de ces réformes, l’oligarchie économique met désormais en avant la revendication d’autonomie, voire la sécession des départements les plus riches, au nom de la « liberté ». Les représentants de la droite et des possédants des départements autonomistes ne « veulent pas payer pour les pauvres » des autres régions et veulent garder pour eux les richesses produites dans leurs régions. Mais le « pour eux » est bien restrictif, puisque les comités qui mènent la rébellion sont dirigés par les plus grands propriétaires terriens du pays et de très grands industriels. Et le tout s’accompagne d’un flot de déclarations racistes anti-indiennes, de provocations, comme la résurgence à Sucre (la capitale historique du pays) de l’ancienne pratique coloniale interdisant la ville aux Indiens.

L’avenir est entre les mains des masses pauvres

Alors qu’Evo Morales s’est vu interdire de fait pendant un temps l’accès à certaines régions par les milices sécessionnistes, il y a eu en sa faveur une importante mobilisation. Même dans les fiefs de la réaction, les partisans de Morales font face et rendent parfois coup pour coup. L’opposition a osé s’en plaindre et réclamer, sans rire, la « fin des violences » dans les départements qu’elle contrôle !

La mobilisation populaire en faveur du gouvernement n’est peut-être pas étrangère à l’attitude de l’armée, jusqu’ici relativement passive, et qui s’oppose désormais aux milices sécessionnistes. Et cette situation explique sans doute aussi pourquoi l’opposition a fini par engager des négociations avec le gouvernement.

Cependant la droite n’a pas capitulé et nul ne peut dire si l’armée va continuer à soutenir le gouvernement, ou si elle ne va pas finir, comme elle l’a si souvent fait dans le passé, par tenter d’imposer sa dictature au nom du « rétablissement de la paix civile ». Nul ne peut dire non plus si Morales persistera dans sa fermeté.

Les possédants et l’impérialisme, eux, font la démonstration que même les « réformes tranquilles » leur sont insupportables et que tant qu’ils conservent du pouvoir, même simplement économique, ils entendent s’opposer à tout progrès et à tout partage des richesses, même modeste. Et, quelle que soit l’issue des négociations en cours, les masses populaires boliviennes devront compter avant tout, même pour imposer des revendications limitées, sur leurs propres forces.

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18 septembre 2008 - Lutte Ouvrière - Vous pouvez consulter cet article à :
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