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Mettre un nom sur les blessés de Gaza

mardi 12 août 2008 - 07h:34

Eva Bartlett - The Electronic Intifada

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Alité mais douloureusement conscient, presque paralysé et devenu insensible de la taille aux pieds, Abdul Rahman (surnommé Abed), 16 ans, est l’une des centaines de personnes blessées par les intenses bombardements et tirs israéliens qui ont eu lieu dans la bande de Gaza entre le 27 Février et le 3 Mars 2008, au cours d’une opération baptisée « Hiver Chaud » par Israël.

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Abed sur son lit d’hôpital au Cairo - Photo : Eva Bartlett

Selon un rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé, au cours de cette période, l’armée israélienne a tué au moins 116 Palestiniens, près de la moitié étaient des civils et plus d’un quart des enfants, dont un bébé de six mois et un autre de 20 jours, et en a blessé 350.

Les derniers comptes portent le nombre tués à 150, dont plus de 55 en une journée seulement. Plus de la moitié des décès et des blessures survenus cette semaine là ont eu lieu dans et autour de Jabaliya, le camp de réfugiés où Abed est né et où il a vécu durant toute sa vie.

À 11h00 le 2 Mars, Abed était sur le toit de la maison familiale, observant que les chars israéliens envahissait le camp. Aucun couvre-feu n’avait été annoncé, et il n’était pas conscient de la présence de soldats sur un toit voisin. L’adolescent a été atteint dans le dos par la balle d’un tireur d’élite israélien, elle a pénétré dans sa colonne vertébrale, détruisant trois de ses vertèbres et le laissant paralysé et perdant son sang sur le toit où il est resté étendu pendant 15 minutes jusqu’à ce que son frère cadet le trouve.

Le petit de 13 ans a traîné Abed jusqu’à l’escalier et l’a descendu dans la maison, en esquivant de plus les tirs des tireurs d’élite israéliens. L’incursion se poursuivait au dehors, empêchant les ambulances de venir chercher Abed. Trois heures après avoir été blessé, l’adolescent est finalement parvenu à un hôpital de la ville de Gaza où les médecins, après avoir vu sa blessure, furent surpris de constater que le jeune était encore en vie. Incapable de fournir les soins d’urgence adéquats à Gaza, ils l’ont immédiatement chargé dans une ambulance afin de le transférer à Rafah, poste frontière avec l’Égypte.

Avec le nombre élevé de blessures graves, le point de passage de Rafah - fermé quasi continuellement depuis Juin 2007, date à laquelle Israël a imposé un bouclage total de la Bande de Gaza - a été ouvert temporairement pour permettre le passage de certains blessés afin qu’ils soient traités dans les hôpitaux égyptiens. En raison de l’état de siège et de ses effets préjudiciables sur la disponibilité des médicaments essentiels et sur le fonctionnement du matériel, les hôpitaux de Gaza ne sont pas en mesure de satisfaire les besoins des patients.

Comptant parmi les plus grièvement blessés, Abed a été transporté à l’hôpital d’Al-Arish, distant d’environ 50 kilomètres de la frontière de Rafah, puis finalement transféré à l’hôpital Nasser du Caire, où il est arrivé plus de 15 heures après avoir été atteint par le tir.

Quatre mois plus tard, Abed git, émacié et maladivement pâle, se demandant comment cela a pu lui arriver et attendant une série d’opérations qui peuvent aider à sa récupération.

Les opérations destinées à renforcer la vertèbre cassée et à réparer le trou causé par la balle dans la moelle épinière d’Abed ont seulement une probabilité minimum de succès, elles lui offriraient le luxe de s’asseoir dans un fauteuil roulant pour le reste de sa vie. Le Dr. Saleh Abu Sobheh, le chirurgien qui a traité Abed à l’Hôpital Palestinien du Caire pendant une période, est plus sombrement réaliste : « la chirurgie de la colonne vertébrale est une procédure à haut risque. Abed sera paralysé à vie, et aura de la chance s’il ne subit pas de lésions au cerveau à cause de l’opération. »

À le voir à l’hôpital, on pourrait imaginer qu’il a toujours été un garçon faible et malade, pas un jeune qui jouait régulièrement au football et levait des haltères chaque jour. L’activité et le sport faisaient partie des choses qu’Israël n’avait pas réussi à lui enlever pendant le siège. Maintenant, il peut à peine lever une bouteille d’eau.

Samir (qui préfère être appelé par son prénom), comptable égyptien et bénévole humanitaire, est volontaire pour aider les patients palestiniens de Gaza traités au Caire, il visite différents hôpitaux afin de voir si les patients reçoivent un traitement adéquat et s’ils ont la possibilité de payer leurs soins. Samir, qui a suivi le cas d’Abed depuis son arrivée au Caire et a consulté ses médecins, explique que « la première opération sera de renforcer ses vertèbres avec une sorte d’attelle de métal. » Si l’on ne renforce pas ses vertèbres, même le poids maintenant négligeable de son corps émacié ferait subir une pression énorme sur les autres vertèbres, provoquant de nouveaux dégâts.

Samir ajoute : « Les deux opérations auront lieu sur une durée d’une semaine. Des prélèvements qui ont été pris il y a deux mois sur la moelle épinière d’Abed seront réinjectés dans le trou laissé par la balle." À l’instar du Dr. Saleh, Samir est également préoccupé et il met en garde sur le fait que « cette chirurgie est très expérimentale.  »

Les choix pour Abed sont restreints : rester au lit toute sa vie ou risquer des lésions cérébrales pour tenter de retrouver de la sensibilité dans la partie inférieure de son corps et être en mesure de s’asseoir en position droite. D’autre part, selon le Dr Saleh, « les gens qui souffrent de blessures à la colonne vertébrale développent habituellement des maladies respiratoires. » Au final, les perspectives de futur n’offrent aucun espoir capable de l’encourager durant ses longues journées d’attente. Il est l’un des nombreux blessés de Gaza qui sont devenus des numéros disparaissant dans les statistiques.

Celui qui s’occupe de lui sur place est « l’oncle » Rahme, un palestinien sans relations au Caire qui est venu de Jérusalem pour superviser le traitement médical de ses deux nièces.

Bien qu’ils ne s’étaient jamais rencontrés, l’oncle Rahme a eu pitié de l’isolement et de la dépendance d’Abed. « Bien sûr, j’aide Abed. Son père n’est pas autorisé à quitter Gaza, et il n’a pas de famille ici. Moi je suis ici, donc je fais ce que je peux pour lui. Mais il est très malheureux d’être loin de sa famille. Il n’est pas habitué à cela. »

Depuis son arrivée au Caire, Abed a été transféré dans cinq hôpitaux différents en raison des traitements spécialisés et de considérations de coût. L’oncle Rahme a suivi Abed de l’Hôpital Palestinien du Caire à l’hôpital al-Farook de Maadi dans la banlieue du Caire. Mais dans quelques semaines, lorsque l’oncle Rahme retournera à Jérusalem, Abed sera abandonné à lui-même pour faire face à ses blessures et à la paralysie : les tentatives de son père pour obtenir un permis de sortie de Gaza afin d’être au côté du garçon ont jusqu’ici été refusées.

Au bout du couloir de Abed, avant son transfert de l’Hôpital Palestinien, Ziyad Hashan 34 ans attendait que son tractus intestinal soit suffisamment guéri pour subir une colostomie, une procédure nécessaire à la suite de sa blessure intestinale. Son bassin a entamé le lent chemin vers la récupération, le temps étant le seul remède, et ses blessures au niveau de l’urètre et de la vessie ont été traitées chirurgicalement à Gaza. Pourtant, il doit attendre une période supplémentaire de trois mois avant que les médecins puissent effectuer la colostomie.

Les blessures compliquées de Ziyad sont le résultat d’une attaque israélienne sur Khan Younis fin Mars. Peu avant 4 heures du matin, le 28 Mars, Ziyad était en route pour la maison de ses parents juste à côté, il allait chercher son père pour les prières du matin. Quatre coups de feu ont éclaté, dont l’un est venu le frapper par derrière, dans le bassin. Il n’est jamais arrivé à la mosquée où son père l’attendait déjà.

L’armée israélienne maintient, dans des déclarations faites à l’avocat gazaouite de Ziyad, que Ziyad a été pris dans des combats entre l’armée et des combattants palestiniens à Gaza. Son père, qui a été autorisé à accompagner Ziyad de Gaza jusqu’au Caire pour le traitement, raconte : "Il n’y a pas eu combat. Il s’est passé cinq minutes avant qu’on ne tire sur Ziyad. Je n’ai rien entendu. Il n’aurait pas quitté la maison s’il y avait eu des tirs ». Au lieu de cela, dit-il, il y avait des soldats israéliens infiltrés habillés en civil, se faisant passer pour des Palestiniens. Ziyad n’a rien remarqué d’anormal.

Après qu’il [Ziyad] a été abattu, le père a raconté que lui-même et un autre de ses fils avaient transporté Ziyad sur un demi kilomètre ; les ambulances ne pouvaient pas s’approcher car un avion de chasse israélien survolait la zone : "Ziyad perdait tant de sang qu’il a failli mourir."
Pourtant, il se trouve lui-même "chanceux" parce que quelqu’un était là pour le porter à l’abri. Au cours du même incident, un voisin a été tué par les tirs, un autre blessé à l’avant-bras.

Avant Ziyad travaillait au sol à l’aéroport de Gaza, jusqu’à ce que il soit fermé par Israël. Depuis lors, il a eu des difficultés à nourrir ses trois enfants en bas âge. Cela sera encore pire avec les frais médicaux permanents de Ziyad qui, une fois qu’il aura quitté l’hôpital, sera un fardeau pour lui. Même après la chirurgie, il sera toujours nécessaire d’effectuer des bilans pour surveiller son état et sa guérison.

L’avocat de la famille a pris contact avec un avocat israélien qui envisage de déposer une plainte contre l’armée israélienne pour avoir tiré sur un civil non armé. Ziyad, peut-être affaibli par ses blessures et la dépression, se fait moins entendre que son père qui met en lumière l’injustice : "C’est juste un citoyen normal qui allait frapper à la porte de la maison de ses parents, en route pour aller prier."

Le siège d’Israël, soutenu par les États-Unis et l’UE, a plus que paralysé la bande de Gaza, et a fait en sorte que des Palestiniens blessés comme Ziyad et Abed, ainsi que des centaines d’autres souffrant de cancer, de maladies chronique du rein, du foie et du c ?ur, ne puissent être traitées dans les limites de Gaza. Le Comité Populaire de Gaza Contre le Siège liste plus de 180 patients qui sont morts au cours de la dernière année en raison d’une chirurgie hors d’atteinte ou de l’absence de médecine en raison des fermetures imposées par Israël. Dr. Saleh souligne que, compte tenu des circonstances, « la qualité des soins d’urgence dans les hôpitaux de Gaza est phénoménale. »

Toutefois, ajoute-t-il, les interventions chirurgicales graves et les traitements compliqués sont hors de portée. Selon le Dr. Saleh, « ce sur quoi nous devons réellement nous centrer, c’est d’obtenir des médecins étrangers dans la bande de Gaza. Avant le siège, les spécialistes avait l’habitude de se rendre dans les hôpitaux de Gaza pour partager les connaissances et les techniques avec les médecins de Gaza. » Depuis le siège, cela est devenu impossible.

De retour chacun dans leur lit d’hôpital du Caire, en attente de leur opération, Abed et Ziyad ne sont que deux victimes sans visage, témoins de l’agonie des Palestiniens à Gaza confrontés aux attaques militaires permanentes et à un état de siège d’une grande cruauté qui a été largement ignoré et minimisé par la communauté internationale. Abed espère un jour s’asseoir dans un fauteuil roulant avec son père à ses côtés, et comme Ziyad, veut voir la fin du siège israélien et des attaques qui les ont amenés ici.

* Eva Bartlett est une avocate canadienne indépendante spécialiste des droits de l’homme qui a passé huit mois en 2007 en Cisjordanie.

Chroniques : Live from Palestine, publié le 09 juillet 2008.


Cet article peut être consulté à :
http://electronicintifada.net/v2/ar...
Traduction de l’anglais : Brigitte Cope


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