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« Terrorisme » au bulldozer ? Tout dépend de qui est dessus et qui est dessous

samedi 9 août 2008 - 07h:36

Samah Jabr

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En l’espace d’à peine trois semaines, deux Palestiniens ont utilisé un bulldozer pour foncer sur des voitures et des passants à Jérusalem-Ouest.

La première fois, Hussam Duwiyat a tué deux hommes et une femme et en a blessé beaucoup d’autres en percutant un car de banlieue rempli de passagers dans Jaffa Street, le 2 juillet. D’après les informations, Duwiyat était un résident de Jérusalem-Est arabe, et travaillait sur un chantier tout proche. Son épouse, juive, a déclaré à la presse qu’il souffrait d’une psychose provoquée par la drogue et qu’il n’appartenait à aucune organisation nationaliste ou religieuse.

Dans le second incident, Ghassan Abu Teir, 23 ans, d’Umm Touba, au sud de Jérusalem, a repris la même scène dans le centre de Jérusalem, le 22 juillet, près de l’hôtel du Roi David où le sénateur Barack Obama était descendu pendant sa « tournée électorale » en Israël. La déclaration d’Obama devant la conférence annuelle de l’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee - lobby sioniste US) appelant à une Jérusalem unifiée a, certes, courroucé les Palestiniens et spécialement les Jérusalémites. Pour autant, la famille d’Abu Teir a indiqué qu’il s’agissait d’un accident, qu’il avait perdu le contrôle de ses freins et qu’il avait été abattu seulement parce qu’il y avait eu une précédente attaque au bulldozer.

Les Palestiniens se souviennent du chauffeur de camion israélien qui a tué 4 travailleurs palestiniens dans la bande de Gaza, en décembre 1987. Cet accident - et les Palestiniens, aujourd’hui encore, sont convaincus qu’il était intentionnel - a été le détonateur de la première Intifada.

O combien symbolique !

Mêmes spectaculaires, ces derniers incidents restent dérisoires en comparaison de ce qu’Israël fait avec ses bulldozers.

Chaque jour qui passe, Jérusalem-Est arabe disparaît davantage sous les bulldozers qui déblaient des terrains pour toujours plus de colonies israéliennes. Depuis la conférence d’Annapolis de novembre 2007 qui était censée relancer le processus de paix, Israël n’a fait qu’accélérer les constructions dans les colonies et spécialement à Jérusalem ; cela, malgré plus d’une centaine de réunions où les officiels israéliens et palestiniens « négociaient pour la paix ».

Les bulldozers représentent aussi des centaines de villages palestiniens rasés et des milliers de maisons démolies dans la bande de Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem, autant de transgressions forcenées par Israël du droit international. Rien qu’en 2004, Israël a mis bas 2 243 maisons à Gaza et en Cisjordanie, laissant quelque 14 000 Palestiniens sans abri. Raser au bulldozer les maisons palestiniennes au prétexte que leur propriétaire n’avait pas de permis de construire est une pratique courante à Jérusalem.

Les bulldozers ont provoqué aussi des destructions massives sur tout le chemin du mur de séparation israélien qui serpente à travers la Palestine occupée. Leurs conducteurs israéliens les ont utilisés pour arracher des centaines de milliers d’oliviers, de citrus et autres arbres fruitiers qui représentent le gagne-pain des agriculteurs palestiniens ; pour détruire des centaines de puits et d’entrepôts agricoles ; pour défoncer des routes et en bloquer des milliers d’autres avec des blocs de béton et des monticules de terre.

Un cow-boy sur un bulldozer

Dans un récit choquant publié par Yediot Aharonot le 31 mai 2002, Moshe Nissim - lequel, soupçonné d’avoir perçu des pots-de-vin d’adjudicataires ou autres entrepreneurs, avait été suspendu de son poste d’inspecteur principal de la municipalité de Jérusalem -, ce Moshe Nissim, donc, raconte dans ce récit son rôle dans l’opération contre le camp de réfugiés de Jénine en avril 2002. Comment, ivre et torse nu, il s’est déchaîné aux commandes d’un monstrueux bulldozer D-9 de l’armée israélienne dans un carnage officiellement autorisé.

« Je ne savais même pas comment se conduisait un D-9 » rappelle Nissim. « En deux heures, ils (les soldats israéliens) m’ont montré comment avancer et aplanir un terrain. J’ai attaché le drapeau de l’équipe de foot du "Beitar" à l’arrière du bulldozer et je leur ai dit : "Eloignez-vous, laissez-moi faire". Ils savaient que je n’avais pas peur, que je ne plaisantais pas... »

« Pendant 75 heures, sans arrêt, je n’ai fait que démolir et démolir, j’ai continué à boire du whisky pour lutter contre la fatigue. Par haut-parleur, on les prévenait qu’il fallait quitter leur maison avant que j’arrive pour l’abattre. Mais je n’ai laissé à personne la moindre chance. Je n’attendais pas. Je ne me contentais pas de donner un premier coup sur la maison et d’attendre qu’ils sortent. Non, j’enfonçais la maison d’un grand coup pour la faire tomber le plus vite possible et passer aux autres maisons. Pour en faire le plus possible. »

« A chaque maison qui s’écroulait, j’éprouvais du plaisir car je savais que s’ils ne se souciaient pas de mourir, ils s’inquiétaient pour leurs maisons. Faire écrouler une maison, c’est comme enterrer 40 à 50 personnes pour des générations. Si je regrette une chose, c’est de ne pas avoir rasé le camp tout entier. » (1)

Ecrasée sous un bulldozer

Un an plus tard, en mars 2003, une militante américaine pour la paix de 23 ans, Rachel Corrie, était tuée, écrasée sous un bulldozer Caterpillar de fabrication américaine (2), alors qu’elle essayait d’empêcher l’armée israélienne de démolir la maison d’un pharmacien palestinien, Samir Nasrallah, dans la bande de Gaza. Les internationaux qui étaient avec elle affirment que le soldat israélien aux commandes du bulldozer a roulé délibérément sur Rachel deux fois, en avançant et en reculant, alors qu’elle se tenait sans arme devant la maison.

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Rachel Corrie, le 16 mars 2003, interpellant le soldat israélien sur son bulldozer,
quelques secondes avant d’être écrasée. (Photo ISM)

Un bulldozer politique

« Bulldozer » est aussi le nom de l’ancien Premier ministre belliqueux d’Israël, Ariel Sharon, dont la marche sur Beyrouth et le siège de la capitale libanaise a fait 20 000 morts en 1982. Une commission d’enquête israélienne a établi que Sharon, alors ministre de la Défense, était indirectement responsable du massacre dans les camps de réfugiés de Sabra et Shatila à Beyrouth.

Une décennie plus tôt, Sharon, commandant des FDI pour le secteur Sud, a ordonné de démolir aux bulldozers des centaines de maisons palestiniennes pour ouvrir un chemin direct et assez large pour les troupes israéliennes et leurs véhicules blindés lourds, afin qu’elles puissent se déplacer plus aisément dans le camp de réfugiés de Beach à Gaza. Après avoir jeté dans la rue tout ce que possédaient les Palestiniens, les troupes de Sharon sont venues avec leurs bulldozers et ont commencé à saccager la rue, frappant et tuant quiconque osait protester. Cette rue est connue maintenant sous le nom de Rue des Décombres.

Rien qu’en août 1971, les soldat sous les ordres de Sharon ont détruit quelque 2 000 maisons dans la bande de Gaza, arrachant à leur foyer 16 000 personnes pour la deuxième fois de leur vie.

Une profonde injustice

Dans les deux incidents de Jérusalem avec les bulldozers, les auteurs palestiniens ont été immédiatement stoppés de plusieurs balles dans la tête, par un policier et un civil présents.

Nissim, lui, a été considéré comme le plus dévoué et le plus brave ; certainement comme le conducteur le plus destructif. Après la publication de son témoignage - et en dépit de celui-ci - l’unité à laquelle il appartenait a été citée, par le commandement militaire, à l’ordre de l’armée pour service exceptionnel. Pas étonnant de la part d’un système et d’une armée qui ont choisi un ivrogne pour cette mission de destructions !

En juin 2003, une enquête de l’armée diligentée par le bureau des juges assesseurs des Forces de défense israéliennes a conclu à la mort accidentelle de Rachel Corrie. « Le conducteur à aucun moment n’a pu voir ou entendre Corrie ».

Une commission israélienne a enquêté sur le massacre de Sabra et Shatila et, en février 1983, elle rendait publiques ses conclusions : Ariel Sharon était responsable du massacre. Le 14 février 1983, il était relevé de ses fonctions de ministre de la Défense, pour entrer sur la scène politique en tant que Premier ministre quelques années plus tard, comme sauveur d’Israël.

Les crimes perpétrés quotidiennement par les bulldozers restent sans suite et sont acceptés ; on peut s’en remémorer de nombreux, les Israéliens qui conduisent régulièrement sur nos maisons et nos écoles et sur le cou des Palestiniens sont toujours restés impunis. Cela ne devient du terrorisme que lorsque l’auteur est un Palestinien, ou la victime un juif !

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Le D-9, de chez Caterpillar, tel qu’utilisé par l’armée israélienne. (Remarquer le soldat au pied de l’engin pour l’échelle).

Alors que le Shin Bet, le service de sécurité israélien, n’a pas encore conclu officiellement que les attaques de Jérusalem avaient des motivations politiques, les autorités israéliennes s’empressent de sévir contre les résidents de Jérusalem-Est : on assiste à Jérusalem à une présence massive de policiers et de citoyens en armes, les fonctionnaires expédient les procédures d’autorisation pour les mesures de répression, telles que raser la maison de la famille, expulser les familles des Palestiniens impliqués dans des attaques contre des Israéliens et retirer les cartes d’identité israéliennes à leurs proches.

Un Palestinien qui crée un incident contre les Israéliens est abattu, qualifié de terroriste et toute sa famille est punie alors qu’un soldat israélien qui tire à bout portant sur un Palestinien qui a les yeux bandés, les mains menottées et qui est désarmé, reste libre ! (3) Est-il besoin de se demander pourquoi les gens s’entretuent dans cette région ?

Les deux incidents au bulldozer faisaient suite à une précédente attaque, à Jérusalem-Ouest, où un homme armé de Jérusalem tuait 8 étudiants dans une école religieuse, en mars. Il semble que ni la dissuasion ni la répression ne soient des outils efficaces pour arrêter quelqu’un qui a décidé de sacrifier sa vie pour protester contre l’occupation. Une injustice profonde nous laisse prévoir de nouvelles attaques. Hussam et Ghassan peuvent faire des émules ; il n’existe aucune mesure de sécurité ni aucun moyen pour contrer la réaction palestinienne à l’exploitation du pouvoir par Israël, sauf à faire la paix et à reconnaître les droits nationaux et humains des Palestiniens pour ouvrir la voie à un avenir différent, un avenir qui reflète l’intégration, la tolérance et l’adaptation, et où tous les citoyens de ce territoire mettront en ?uvre leurs capacités, leurs possibilités et leurs ressources, même leurs bulldozers, pour construire un monde meilleur.

(1) Vous pouvez lire un témoignage complet de cet Israélien notamment sur Euro-Palestine.

(2) Sur l’emploi des bulldozers : voir Caterpillar, rapport alternatif,
sur le site AFPS, avril 2005.

(3) Un soldat tire à bout portant sur un prisonnier palestinien, menotté et les yeux bandés.

Du même auteur :

- Un vol sur El Al
- Histoires de sièges et de zatar
- Une patrie, pas un Etat insignifiant !
- La marche du retour part de Jérusalem

Reçu de l’auteur le 7 août 2008 par les Amis de Jayyous - traduction : JPP


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