16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

Géopolitique d’un assassinat

samedi 6 janvier 2007 - 07h:00

M. Saâdoune

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


L’exécution de Saddam Hussein n’a rien à voir avec la justice dont le nom et la valeur sont réellement avilis par ceux qui osent l’invoquer. La mise en scène du meurtre un jour d’Aïd n’est pas un hasard mais obéit à des calculs géopolitiques froids des Etats-Unis. Explications.

Il n’y a que Bush, Blair et les nouveaux « dirigeants » irakiens (les guillemets s’imposent absolument) pour claironner que le procès intenté à Saddam Hussein a été régulier et que sa mise à mort est l’accomplissement de la justice.

JPEG - 64.5 ko
Bethlehem, 2 janvier - des manifestants Palestiniens simulent les funérailles de Saddam Hussein - Photo : AP Photo/Kevin Frayer

L’Europe, elle, se drape dans sa position de principe contre la peine de mort pour éviter de se prononcer sur la parodie de justice qui a été administrée en Irak par la démocratie américaine.

Enfin, il y a l’Irak et le monde arabo-musulman, enjeux directs d’une mise en scène macabre orchestrée de bout en bout par les néo-conservateurs. Le premier ministre irakien n’ayant pas le pouvoir de déplacer un policier, on ne doute pas un instant qu’il n’a été que l’instrument des américains. A lui donc, la paternité « officielle » d’avoir ordonné la pendaison de Saddam Hussein et d’avoir amené sur les lieux du gibet les miliciens de Moqtada Sadr pour hurler des imprécations en soufflant sur la mèche de la guerre confessionnelle. Voilà le fil d’Ariane pour comprendre pourquoi les Etats-Unis ont décidé de jouer sur tous les symboles religieux, de la profanation de l’Aïd Al Adha à la transformation de Saddam Hussein en symbole « sunnite ».

Aurait-on pendu Adolf Hitler le jour de Noël ?
C’est un « processus irakien de bout en bout » clament à l’unisson les supplétifs locaux, l’Amérique est presque sauve. On nous susurre même que c’est grâce à son « humaine » pression que le gouvernement de Maliki a accepté de rendre le corps de Saddam Hussein à son clan plutôt que de le jeter dans une fosse commune. Que l’Amérique est grande ! Mais tout cela est fort grossier et même le film officiel des évènements montre combien tout a été cousu de fil blanc pour que l’assassinat de Saddam Hussein serve les objectifs géopolitiques des Etats-Unis dans la région.

Eliminons d’emblée cette thèse juste bonne à servir de marketing aux Kouchner de service : la mise à mort de Saddam Hussein n’est pas un message aux dictateurs. Ils seront toujours les amis des USA tant qu’ils les servent et tant que le contexte ne commande pas de les rejeter. On connaît la fameuse formule US à propos de Somoza « c’est un fils de p...mais c’est notre fils de p.. » et elle reste plus que jamais valable.

Des nervis bien utiles

Examinons donc les faits tels que les tacticiens de la Maison-Blanche ont voulu qu’ils apparaissent. Les Kurdes d’Irak ne se mêlent pas de l’affaire et restent fort discrets. Ils ont pratiquement fait sécession avec la bénédiction des Etats-Unis et ils ne se mêlent donc pas des affaires « arabes ». C’est donc un Premier ministre chiite qui signe les papiers nécessaires et qui offre aux miliciens de Moqtada Sadr les premières loges face au gibet.

Saddam Hussein, d’une dignité remarquable devant la mort, a réagi en nationaliste arabe en évoquant une ultime fois la Palestine. Rien dans son attitude, y compris son mépris pour les petits fiers à bras crachant leur haine n’est susceptible d’être utilisé. Au contraire, il y avait tant de défi dans cet ultime moment que cela a du provoquer le dépit des scénaristes de la Maison-Blanche.

La diffusion sur Internet de l’enregistrement intégral de la mise à mort et les acclamations bruyantes des pistoleros de Moqtada sert précisément les objectifs géopolitiques des américains. Ce sont les chiites qui se vengent de Saddam Hussein, subitement transformé - contre toute évidence historique - en symbole sunnite. Le crime américain - c’est ainsi que l’on qualifie toute exécution extrajudiciaire - devient presque parfait. Ils n’y sont pour rien, leurs vieux protégés kurdes n’y sont pour rien, il n’y a que des arabes, chiites et sunnites, qui se font la guerre.

Il ne reste plus qu’à ramasser la mise. On orchestre la haine entre Irakiens « arabes » et avec cette mise à mort symbolique (le sunnite tué le jour de l’Aïd), on hâte le démembrement de l’Irak, prélude à l’accouchement du nouveau Moyen-Orient de Madame Rice. Les recommandations de la commission Baker-Hamilton sont déjà caduques et Bush pourra envoyer un supplément de troupes. Il suffit d’attendre les effets de cette embuscade de l’Aïd et faire que la mayonnaise de la haine confessionnelle prenne définitivement. Ceci au niveau de l’Irak.

Au plan régional, les choses étaient déjà en place avec des inquiétudes ouvertement exprimées par les Saoudiens, Jordaniens et Egyptiens (fidèles alliés de l’oncle Sam) au sujet de l’influence grandissante de l’Iran et de « l’arc chiite ».

Erreur d’appréciation iranienne

La mise à mort de Saddam Hussein, qu’ils détestaient cordialement, leur donne subitement l’occasion d’exprimer leur aversion d’un acte appliqué le jour d’Aïd avec une évidente dimension de vengeance sectaire. Les Saoudiens qui ont déjà signifié qu’ils aideraient les sunnites en cas de retrait américain n’ont pas à se forcer, leurs religieux donnent depuis longtemps dans le mépris à l’égard des chiites. Mais le plus frappant est de voir l’Iran tomber dans le panneau en acclamant l’assassinat de Saddam Hussein comme étant un « châtiment divin ».

Apparemment à Téhéran, on pense que les dirigeants irakiens en place peuvent servir dans le jeu régional et dans le bras de fer avec les Etats-Unis sur le nucléaire. Mais le calcul est dérisoire, les Etats-Unis tiennent tous ces dirigeants entre leurs mains et même s’ils peuvent s’attendre à des nuisances de la part des groupes chiites en Irak, cela ne comptera pas énormément dans leur éventuelle décision de frapper l’Iran. L’attitude iranienne est gravement fautive même s’il est clair que ce pays est dans un rapport d’influences réciproques avec les milices chiites irakiennes. Mais, elle confère une légitimation à la montée en cadence des régimes pro-américains de la région qui avaient du mal à faire passer l’idée que l’Iran est plus dangereux qu’Israël.

On est bien au c ?ur de jeu géopolitique des Américains qui entendent rester « très longtemps » sur place tout en poussant à des reconfigurations de la région sur des bases ethniques et confessionnelles. Ce sera les arabes contre les perses, les chiites contre les sunnites, les kurdes contre les arabes... L’assassinat de Saddam Hussein doit servir à faire passer les crimes sectaires qui ont lieu chaque jour en Irak en guerre civile définitive ou chacun n’a plus le choix de son camp.

Cela se passe en Irak et c’est généralisable à toute la région. Le nouveau Moyen-Orient dessiné par les néos-cons sera une constellation d’Etats confessionnels et ethniques et la pérennité d’Israël sera ainsi garantie pour l’éternité. Il y a bien une géopolitique du meurtre.

Diffusé par le réseau CCIPPP le 5 janvier 2007


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.