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En Palestine, même une caméra ment

samedi 26 juillet 2008 - 05h:55

Akram Salhab
Palestine Chronicle

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Selon Benny Morris, les Palestiniens (ou les Arabes, comme il les appelle) ont un « penchant à l’exagération », par conséquent on ne peut les considérer comme des sources crédibles. Les Arabes, nous dit-il, sont tout simplement incapables de dire la vérité.

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Outre les abus légitimés par le régime d’apartheid, les soldats, individuellement, violent en permanence et en toute impunité la mince protection juridique dont profitent les Palestiniens.

Je conduis une délégation d’étudiants britanniques en Cisjordanie et je me demandais si ce voyage pouvait profiter au peuple palestinien. Quand les étudiants dépensent de l’argent ils participent à l’activité économique des Palestiniens, leur solidarité aide à faire remonter le moral et quand ils sont les témoins d’abus et mauvais traitements, ils contribuent à établir le bien-fondé des réclamations palestiniennes contre l’oppression.

La force que donnent aux Palestiniens les qualifications internationales relatives aux mauvais traitements et aux abus a été démontrée en début de cette semaine par la publication d’une vidéo montrant un soldat tirant un coup de fusil sur un jeune palestinien. Dans la vidéo, on voit un militaire qui saisit un jeune homme et le tire vers lui. Le jeune homme a les yeux bandés et les mains menottées et, le voyant dans une position instable, l’officier supérieur qui le tient donne l’ordre à un soldat tout proche de lui tirer une balle dans la jambe. Le soldat lève son fusil et tire, à ce moment-là, surprise, la jeune fille qui filme la scène arrête sa caméra et quand la caméra revient sur la victime, celle-ci est au sol et parait vraiment souffrir. (Voir : Un soldat tire à bout portant sur un prisonnier palestinien, menotté et les yeux bandés)

Quand les Forces de défense israéliennes ont eu à s’expliquer sur cet incident, leur combine habituelle où elles prétendent n’être absolument pas au courant n’a pas marché : malheureusement pour elles, l’incident avait été filmé. Elles ont suggéré sans insister trop que le moment où la caméra n’était plus sur le sujet était dû à une sinistre manoeuvre de montage, mais elles ont aussi rapidement laissé tomber par crainte d’embarras. Finalement, elles n’avaient plus qu’à s’excuser, à contre c ?ur, et à essayer de faire croire autant que possible que ce n’était qu’un fait isolé. L’incident, a prétendu Ehud Barak, « était sérieux et une faute, mais non représentatif des normes des FDI », « les guerriers ne se comportent pas comme ça », a-t-il conclu philosophiquement.

On peut raisonnablement supposer qu’Ehud Barak, dans sa longue et violente carrière, a au moins et sans pour autant le respecter entendu parler de ce genre de chose qu’on appelle Rapport sur les droits de l’homme. Ce type original de document contient normalement une évaluation de ce qui se passe dans certaines parties du monde et indique si les actions des communautés dans tel ou tel endroit répondent, ou ne répondent pas, aux normes établies par les accords internationaux sur les droits de l’homme. Pour quelqu’un qui n’a jamais lu un tel rapport sur la Palestine, regarder une vidéo montrant un Palestinien se faire tirer dessus sans nécessité immédiate doit être en effet surprenant. Mais pour un ministre israélien, il n’y a pas d’excuse.

B’Tselem est une organisation israélienne pour les droits de l’homme qui édite fréquemment des publications sur les abus et mauvais traitements qui ont lieu, et elle tire cette conclusion : « L’armée et la police des frontières ont encore à clarifier explicitement auprès des forces de sécurité en poste dans les territoires occupés qu’il est absolument interdit de maltraiter et de frapper les Palestiniens ». Jusqu’à ce jour, estime B’Tselem, quand elles l’ont fait, c’était « du bout des lèvres et non pour essayer franchement et honnêtement d’éradiquer le phénomène une fois pour toutes. »

Le rapport d’Amnesty International sur la façon dont les soldats traitent les Palestiniens mérite aussi d’être cité longuement :

« L’impunité est restée généralisée pour les soldats et les colons israéliens responsables d’actes illégaux, meurtres, mauvais traitements et autres violations des droits de l’homme sur les Palestiniens et agressions contre leurs biens. Les enquêtes et poursuites relatives à de tels abus sont rares et, habituellement, elles n’existent que lorsque les abus sont dénoncés par des organisations pour les droits de l’homme et par des médias. »

Des rapports semblables par Human Rights Watch, Al-Haq, Physicians for Human Rights, Breaking the Silence et beaucoup, beaucoup d’autres, montrent un même tableau ; outre les abus systématiques, en Cisjordanie, légitimés par le régime d’apartheid, les soldats, individuellement, violent en permanence et en toute impunité la mince protection juridique dont profitent les Palestiniens. Pour quelqu’un qui prend le temps de faire une recherche sur Droits de l’homme et Israël, la brutalité de la situation que connaissent les Palestiniens apparaît facilement évidente, et il voit que l’incident filmé sur la vidéo, au lieu d’être un fait isolé exceptionnel, est en réalité pleinement représentatif de la façon dont les « guerriers » israéliens se comportent.

Pourquoi, alors, un tel débordement de colère et de lamentations dans ce cas particulier fixé sur la pellicule ?

Il faut assurément évoquer la force de l’image. Une photographie, c’est souvent le cas, vaut mille mots et on le voit souvent, elle convainc. Mais au-delà des clichés, il y a une raison plus profonde, plus sinistre qui explique pourquoi malgré les monceaux de preuves, dans d’autres cas, l’image ne fait qu’attirer l’attention, à défaut de la justice qu’elle mérite.

L’attitude habituelle qui fait que les réclamations des Palestiniens restent ignorées est manifeste dans tous les aspects de l’histoire et de la politique de la Palestine. Benny Morris, l’un des historiens les plus francs d’Israël passés commentateurs politiques, a écrit tout un livre sur le plus grand crime perpétré contre les Palestiniens, la Nakba, en produisant très peu des précieuses preuves de première main émanant des témoins palestiniens. La raison ? Parce que, selon Morris, les Palestiniens (ou les Arabes, comme il les appelle) ont un « penchant à l’exagération », par conséquent on ne peut les considérer comme des sources crédibles. Les Arabes, nous dit-il, sont tout simplement incapables de dire la vérité.

Edward Saïd a écrit, il y a trente ans, sur le comportement orientaliste de l’Occident dans ses rapports avec le monde arabe. Il met en avant que l’Arabe y est représenté comme « le bon sauvage », implacable, impitoyable et indigne de confiance. Quand on observe aujourd’hui l’occupation de la Palestine et la façon avec laquelle les réclamations palestiniennes à propos des abus sont ignorées, on ne peut s’empêcher de penser que l’orientalisme est toujours vivant et se porte bien.

Alors que notre délégation avait entendu, maintes fois, parler de coups, de tortures et de harcèlements quotidiens, l’un d’entre nous s’est senti obligé de me demander : « S’il y a tant de cas de mauvais traitements et tant de témoignages de première main, alors pourquoi n’y a-t-il pas des mesures de prises ? ». Un homme que la délégation a rencontré a expliqué comment sa mère avait été abattue sur les marches devant leur maison. Il nous a emmenés sur sa tombe, il nous a parlé des blessures qui l’ont touchée à mort et montré les impacts des balles sur les murs proches. Pourquoi attendait-il toujours que justice soit rendue ?

Un autre rapport de B’Tselem indique que lorsque des Palestiniens viennent se plaindre de mauvais traitements, ils se trouvent face à « un système qui tend à ne pas les croire, mais qui tend à protéger, plutôt qu’à les poursuivre, ceux qui les ont maltraités ». Dans la plupart des cas où un crime a été commis, la procédure consiste à prendre la version des évènements des gens incriminés, et à la retenir comme preuve des faits qui se sont déroulés, et ainsi rendre la justice en conséquence. Le fait que les plaintes des Palestiniens sont écartées d’emblée montre que les Palestiniens ne sont pas jugés assez humains pour être considérés comme des témoins sérieux.

Une partie de ce qu’a déclaré Barak est très révélatrice à cet égard. Parmi le flot de mots creux et les larmes de crocodiles, il s’est engagé « à exiger toute la loi dans ce cas ». « Seulement dans ce cas », car aucun Palestinien, avec leur façon de mentir, ne sera jamais en mesure de prouver au monde que les mauvais traitements qu’il a subis sont réels, et même s’il y arrivait, à moins que le crime soit aussi patent que l’incident filmé en vidéo, même s’il y arrivait, il a pu fabriquer un mensonge approprié pour les établir.

Même un crime fixé sur pellicule, cependant, n’est pas une preuve suffisante pour une condamnation, et du fait que le soldat qui a tiré lors de l’incident cité était encore libre le mardi [8 juillet, les faits se sont déroulés le 7], les Palestiniens se demandent ce qu’ils doivent faire pour que le monde prenne au sérieux les agressions quotidiennes auxquelles ils sont confrontés. En Palestine, semble-t-il, même la caméra ment.


Akram SAlhab est Palestinien de Jérusalem qui prépare actuellement un diplôme universitaire de premier cycle en Politique, à l’Université de Leeds. Il participe activement au mouvement étudiant britannique « Action Palestine », et il est aussi coordinateur national des étudiants pour la Campagne Solidarité Palestine. Il travaille avec ces organisations aux campagnes de sensibilisation sur la situation désespérée des Palestiniens et pour donner un élan au mouvement de Boycott, désinvestissement et de sanctions pour la fin de l’apartheid. Il a participé à cet article pour PalestineChronicle.com

Cisjordanie, le 24 juillet 2008 - Palestine Chronicle - Traduction : JPP


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