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Cadavres en exil

samedi 19 juillet 2008 - 07h:40

Javier Espino - El Mundo

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L’échange de morts est une des pratiques les plus enracinées et scabreuses du conflit du Proche-Orient au point qu’ Israël a établi deux cimetières à cet effet, où sont gardées les dépouilles pour les utiliser à des échanges successifs.

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Les corps de près de 200 combattants palestiniens et libanais sont emmenés à Beyrouth - Photo : AFP

BEYROUTH - Le salon de la maison qu’occupe la famille de Dalal al Mughrabi à Beyrouth est orné d’un immense portrait de la jeune-fille. « C’est la dernière photo qu’on a faite. On l’a offerte à ma mère », précise Shadi Mughrabi. Le nom de Dalal Mughrabi est associé à une époque tumultueuse du Proche-Orient. L’époque dans laquelle les Feddayins (combattants) palestiniens de Yasser Arafat, luttaient contre les troupes israéliennes à partir de bases libanaises.

Pour les Palestiniens, c’est la jeune-fille qui est morte à 19 ans. Arafat s’est référé à elle en 1995 comme une icône brillante, l’appelant "étoile". "C’est la femme dont nous sommes fiers et par laquelle nous avons atteint la gloire", a t-il ajouté.

Toutefois, à Tel-Aviv on s’en souvient comme de la dirigeante d’un commando qui s’est infiltré dans le pays, a pris en otage un autobus aux abords de la capitale et dont le périple s’est achevé dans un bain de sang qui a coûté la vie à une quarantaine d’israéliens et à presque tous les attaquants.

Le ministre de la défense israélien de l’époque, Ezer Weizman, l’a décrite comme la "pire attaque" subie par Israël depuis 30 ans. En guise de représailles, trois jours après l’armée de ce pays a envahi le Liban pour la première fois dans ce qu’on appelle l’ ’Opération Litani », qui a fait plus de 2000 morts dans la nation arabe.

Le souvenir de Mughrabi a été ravivé devant la possible incorporation de son corps dans l’échange de prisonniers que doivent négocier dans les jours à venir Israël et le Hezbollah. Les premiers remettraient environ 200 cadavres au mouvement libanais, dont la plupart — 155, selon l’agence Maan — sont des combattants palestiniens qui ont été tués au cours des trois dernières décennies du vingtième siècle.

L’échange de morts est une des pratiques les plus enracinées et scabreuses du conflit du Proche-Orient au point qu’ Israël a établi deux cimetières à cet effet, où sont gardées les dépouilles pour les utiliser à des échanges successifs.

Déjà en 1999, l’organisation israélienne B’Tselem a publié un rapport intitulé « Cadavres captifs » dans lequel elle dénonçait la « prise d’otage » dans son propre pays des restes de combattants ennemis qu’elle considérait comme "moralement inacceptable" et contraire à toutes les lois internationales. Le texte citait une déclaration d’un député de gauche de l’époque Yossi Sarid, faisant référence à ce comportement : "Faire du commerce avec des corps nous fait descendre au plus bas niveau de la moralité humaine." L’organisation chiite libanaise Hezbollah maintient la même attitude au Liban et il n’y a même pas l’équivalent de B’Tselem pour critiquer ces pratiques.

Le dernier pacte a suscité la controverse parmi les Palestiniens installés dans les pays arabes parce que la plupart des familles de ces combattants ont refusé que leur corps soient "envoyés en exil" selon l’expression de Shadi Mughrabi. "Dans les échanges des années 1985 et 2004, on nous a offert de ramener le corps, mais nous avons refusé. Nous voulions que Dalal reste en Palestine", dit le jeune frère de Dalal.

Une légende

Alors que la famille de Mughrabi parle avec le journaliste, le Sultan Abu Ayna se présente à la maison. Le plus important chef du Fatah (le parti du chef palestinien Abou-Mazen) au Liban vient précisément pour expliquer à Amina Ismail, la mère de la militante, les détails du pacte imminent.

"Dalal est une légende et nous avions demandé qu’ils nous rendent sa dépouille pour l’enterrer à côté de Abou Amar [Arafat] à Ramallah. Les Israéliens disent que c’est impossible, parce que son corps est mélangé à d’autres. Mais nous allons continuer à lutter pour qu’elle revienne à Ramallah. Nous avons parlé avec les familles des martyrs et tous veulent que les corps restent là-bas", dit-il.

L’oncle de Mohamed Rayi Sarna, autre membre du commando de 13 personnes conduit par Dalal, s’est également exprimé dans des termes similaires. "Nous demandons à l’Autorité nationale palestinienne de faire pression sur la communauté internationale pour que les corps restent sur leur terre. Deux jours avant sa mort, Mohammed a dit à sa mère : ’Maman, j’ai rêvé que j’allais en Palestine et que je mourrais là-bas parce que je ne peux pas rester en exil au Liban’", a déclaré Mohamed Sharaan, 70 ans, résident du camp de Miye-Miye.

L’entourage a apporté de nouvelles affiches avec le portrait de Dalal qui sera publié dans les prochains jours dans les camps palestiniens. Même si le sort s’oppose au destin des corps, le Fatah a l’intention de profiter politiquement de l’occasion et d’organiser des commémorations populaires.

Parmi les corps qu’enverra Israël au Liban figure aussi celui du militant libanais Yahya Skaff, dont le sort pendant de nombreuses années a été une source de controverse parce que les Palestiniens assuraient qu’il avait été exécuté après avoir été capturé vivant dans la même action menée en 1978.

"Ils l’ont assassiné parce qu’ils ne pouvaient laisser en vie aucun membre de cette opération héroïque. Nous sommes revenus 30 ans en arrière. Je ne sais pas s’il faut rire ou pleurer. Bien que je sache qu’à partir de ce jour, je pourrai dormir tranquille en sachant que mon fils repose en paix à côté de moi", a déclaré Aysha Taleb, la mère du défunt, à New TV.

9 juillet 2008 - El mundo - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.elmundo.es/elmundo/2008/...
Traduction de l’espagnol : Charlotte


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