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Les défenseurs de l’Histoire

mercredi 25 juin 2008 - 16h:44

Dalia Farouk - Al-Ahram/hebdo

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Quand les Talibans, par exemple, ont détruit les statues de Boudha, la communauté internationale s’est précipitée pour dénoncer ce crime contre l’un des symboles du patrimoine humain. Mais quand le patrimoine mésopotamien est en train de disparaître il y a plus de 15 ans, personne ne réagit.

Archéologie. Le pillage, la destruction et la falsification du patrimoine arabe, notamment en Palestine et en Iraq, ont été le thème d’un colloque organisé cette semaine par l’Union des avocats arabes.


Quand la politique rejoint l’archéologie, c’est toujours cette dernière qui perd. Le patrimoine arabe paie le gage des conflits qui abondent dans la région. De la Palestine à l’Iraq et au Liban, la situation patrimoniale sombre a régné les discussions du colloque du pillage, de la destruction et de la falsification du patrimoine arabe, tenu à l’Union des avocats arabes. « Ce n’est pas le patrimoine arabe qui est en danger, c’est plutôt l’identité arabe elle-même qui court un vrai péril. C’est une véritable mort de l’Histoire, comme l’a appelé le quotidien américain The Independent », explique Ibrahim Al-Samalaly, secrétaire général de l’Union des avocats arabes. « Les Israéliens sont excellents dans les opérations de falsification de l’Histoire et cela dans le but de confirmer que la Palestine est leur terre sainte. Par exemple, les gravures de Aïn Solwane à Al-Qods témoignent que cette ville n’existait pas avant le VIIe siècle. De même, la plaque de Merenptah qui se trouve au Musée égyptien ne renferme pas le nom d’Orchalim (Jérusalem), contrairement à ce qu’inventent les Israéliens », explique Medhat Qobayssi, professeur à l’Université d’Alep.

« Il y a plus de 18 tunnels sous la mosquée d’Al-Aqsa qui risquent de le démolir à n’importe quel moment. Le mur de séparation prive la Palestine de plus de 10 000 sites archéologiques très riches. Toutes ces tentatives ont un seul but : changer la topographie de la Palestine, inventer une nouvelle géographie des lieux en dessinant de nouvelles lignes frontalières et, avant tout, l’anéantissement de la mémoire d’un pays », renchérit Mohamad Al-Kahlawi, professeur d’archéologie et président de l’Union des archéologues arabes.

Pour confronter ces tentatives, l’Union des archéologues arabes a préparé un projet pour exiger de la communauté mondiale, représentée par les Nations-Unies, une garantie internationale pour protéger les lieux saints d’Al-Qods. Ce document se compose d’un rapport qui renferme les arguments concrets, accusant en fait les autorités et quelques archéologues israéliens dans l’affaire de la judaïsation d’Al-Qods sans oublier les violations des droits de l’homme. Cette revendication est aussi adressée aux organisations mondiales, notamment l’Unesco, dont l’un des comités est spécialisé dans la protection du patrimoine culturel et l’Isesco (l’organisation islamique pour l’éducation, la science et la culture) qui se préoccupe des monuments islamiques du monde entier.

L’Union a aussi proposé de créer un Fonds pour la protection des monuments arabes. Cette caisse pourrait être financée par les droits de propriété intellectuelle que représentent des milliers de pièces antiques arabes dont regorgent les musées occidentaux.

La Palestine n’est pas le seul exemple de pillage et de destruction. Avec la guerre acharnée en Iraq, c’est tout un patrimoine archéologique, déjà endommagé tout d’abord par l’embargo ensuite par les bombardements, qui risque de disparaître.

Le cas de l’Iraq

Les dégâts qui ont été occasionnés au patrimoine iraqien ont d’ailleurs commencé bien avant l’invasion américaine de l’Iraq en 2003. D’ailleurs, la dernière guerre du Golfe en 1990 a été la cause directe de la catastrophe dont souffre actuellement le patrimoine culturel de l’Iraq, un pays qui a été le berceau d’une civilisation aussi ancienne et riche que celle pharaonique. Plus de 12 000 sites archéologiques sont éparpillés sur 2 millions de kilomètres qui constituent la superficie totale de l’Iraq. Plus de 4 000 pièces antiques iraqiennes ont disparu du pays. Le pire encore est que l’embargo imposé à Bagdad à cette époque a réduit les capacités de l’Iraq à préserver son patrimoine. C’est avec nostalgie que les archéologues iraqiens se souviennent des années qui ont précédé « la tempête du désert ».

« Le département des antiquités et du patrimoine en Iraq avait entamé une large campagne de fouilles dans les quatre coins du pays. Pour assumer cette tâche, les responsables ont recruté plus de 28 000 ouvriers et ont déterminé un budget annuel consacré à ces travaux dépassant 1 million de dollars. Des laboratoires très sophistiqués ainsi que tout le matériel nécessaire à la restauration étaient à la disposition des archéologues. Ceux-ci publiaient un magazine annuel sur leurs travaux. Et bénéficiaient, dans la plupart des cas, de bourses qui leur permettaient de poursuivre leurs études dans les meilleures universités du monde et d’assister régulièrement aux colloques et conférences internationaux. Ce qui a contribué sans doute au perfectionnement du niveau technique des archéologues iraqiens », se souvient avec amertume Rafée Al-Félahi, professeur à l’Université de Bagdad.

Son émotion reflète l’inquiétude ressentie non seulement par les Iraqiens, mais aussi par de nombreux cercles archéologiques internationaux quant au sort qui attend des monuments plusieurs fois millénaires. Plusieurs réunions des archéologues arabes ont eu lieu exprès pour confronter cette agression contre le patrimoine en Iraq. « On a adressé plusieurs pétitions à l’Unesco et à l’Isesco pour nous soutenir dans cette situation vraiment dangereuse dans le cadre de la convention de La Haye, promulguée en 1954, pour la protection des sites patrimoniaux en temps de conflits militaires, mais en vain. Pourtant, quand les Talibans, par exemple, ont détruit les statues de Boudha, la communauté internationale s’est précipitée pour dénoncer ce crime contre l’un des symboles du patrimoine humain. Mais quand le patrimoine mésopotamien est en train de disparaître il y a plus de 15 ans, personne ne réagit », s’insurge le Dr Mohamad Al-Kahlawi, président de l’Union des archéologues arabes, qui a beaucoup apprécié l’intérêt accordé par l’Union des avocats arabes à ce sujet. Il espère que les efforts conjugués des hommes de droit et des archéologues pourront être beaucoup plus fructueux pour la défense de cette cause.

Dans la capitale Bagdad, « la ville des milles et une nuits », le Musée national a subi beaucoup de dégâts depuis l’invasion des forces américaines de l’enceinte du musée, située au centre de la capitale, juste en face de la gare principale ; en fait, une cible très facile pour n’importe quelle attaque. Plus de 20 000 pièces ont disparu de ce musée ainsi que de milliers de plaques portant des gravures sumériennes très importantes.

Les pillages ne sont pas tout. Les dégâts sont pire encore. « Les soldats américains s’entraînaient au tir sur les statues colossales qui abondent en Iraq comme la porte d’Astarté qui est actuellement perforée et risque de se détruire n’importe quand », assure le Dr Al-Félahi. Ce n’est pas seulement le Musée national qui souffre, mais aussi tous les sites patrimoniaux qui courent un vrai péril.

Non loin de Bagdad se trouve la ville de Stisévon. Là, se trouve, dit-on, le premier village de l’Histoire, ce qui fait de cette ville le berceau de la civilisation humaine par excellence. On y trouve le plus grand arc en brique qui a défié le temps et est resté à sa place depuis plus de 2 000 ans. A proximité de Moussoul, au nord de l’Iraq, où a vécu la célèbre auteure de romans policiers Agatha Christie avec son mari, Max Mallowan, l’un des premiers archéologues à fouiller dans la région, l’on trouve les ruines de l’ancienne ville assyrienne de Ninive. Cet emplacement a été témoin des premières fouilles archéologiques de cette partie de l’Asie. Le palais d’Assurbanipal qui s’y trouve n’est pas non plus à l’abri de la destruction en cas de nouveaux bombardements. A quelques kilomètres, se trouve la ville de Nimroud qui était une capitale assyrienne prospère. De cette ville, il ne reste que des épaves où se développent les herbes sauvages. Quant à l’ancienne Babylone qui recevait auparavant des visiteurs par milliers, elle n’est pas en meilleur état. Au sud de l’Iraq, la situation est plus sombre, des sites comme Larsa et Obbeid ont été complètement fermés à cause des dégâts majeurs qu’ils ont subis.

Malheureusement, puisque c’est là où se trouvait Ur en Chaldée, ville natale d’Abraham, prophète vénéré par les trois religions révélées. « Des fouilles soupçonnées ont lieu surtout à Ur par un Américain qui s’appelle Giovani Pitinato qui est un expert de linguistique et philologie. Je crois que ce n’est pas pour faire la fraude des monuments, mais pour trouver des interprétations falsifiées pour les pièces ou les gravures découvertes », explique Medhat Qobayssi, professeur d’archéologie à l’Université d’Alep. « Ces fouilles clandestines expliquent l’existence de 7 000 pièces représentées au Danemark dans une exposition privée que possède un citoyen là-bas, sans que personne ne l’arrête », se lamente le Dr Al-Félahi.

3 Questions à Rafée Al-Félahi, professeur d’archéologie à l’Université de Bagdad.

« Les choses vont de mal en pis, la situation est très difficile sous l’occupation »

Al-Ahram Hebdo : Avez-vous une liste précise des pièces archéologiques endommagées ou bien volées ?

Rafée Al-Falahi : Jusqu’à maintenant, l’on ne connaît pas exactement le nombre de pièces volées, surtout que l’Iraq comme l’Egypte est riche en monuments qui se trouvent partout sur le territoire. En plus, depuis plus de cinq ans, l’on ne sait pas s’il y a de nouvelles révélations ou pas. En outre, avant la guerre, les responsables du Musée national ont déposé les trésors iraqiens, comme ceux assyriens par exemple, à la Banque Centrale iraqienne pour les protéger en cas d’invasion. Jusqu’à présent, l’on ne sait pas le sort de ces collections qui se montent à des milliers de pièces. A cet égard, tout est ambigu.

- Dans ces conditions, comment les archéologues iraqiens peuvent-ils conserver leurs monuments ?

- Tout d’abord, l’on a besoin d’enregistrer le reste du patrimoine iraqien pour conserver ce que l’on peut. Ensuite, l’on doit établir des projets de restauration soit pour les pièces, soit pour les sites archéologiques. En même temps, j’espère encore que l’on enseignera l’archéologie dans nos écoles. La formation des archéologues est actuellement une nécessité, surtout que nous sommes en retard d’une décennie par rapport au reste des pays du monde. Les nouvelles technologies, les innovations scientifiques en matière de fouille et de restauration leur sont inconnues. D’autre part, les antiquités iraqiennes portent un cachet propre. Lors de leur parution dans n’importe quel pays, elles seront facilement identifiées. Toutes les antiquités qui ont été exposées et conservées dans le musée sont enregistrées. Ainsi les archéologues iraqiens doivent-ils poursuivre les ventes aux enchères des pièces antiques, et des catalogues et revues qui s’intéressent à l’archéologie pour pouvoir récupérer nos trésors pillés.

- Après cinq ans d’occupation, l’atmosphère archéologique ne s’est-elle pas améliorée ?

- Je pense que les choses vont de mal en pis. La situation est très difficile sous l’occupation. Nous-mêmes, en tant que spécialistes, nous n’avons pas le droit d’entrer au Musée national pour examiner l’état des pièces endommagées afin de les restaurer et conserver les pièces qui sont en bon état.

Propos recueillis par Dalia Farouk

Al-Ahram/hebdo - Semaine du 25 juin au 1er juillet 2008, numéro 720 (Voyages)


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