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Les jeunes artistes palestiniennes composent avec les interdits

dimanche 15 juin 2008 - 06h:31

Marie Medina - BabelMed

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"C’est vous sur la photo ?" Inas Halabi est un peu gênée de répondre que oui, c’est bien elle qui dévoile son ventre sur le grand format noir et blanc.

Inas Halabi : l’humiliation dans la chair

"C’est vous sur la photo ?" Inas Halabi est un peu gênée de répondre que oui, c’est bien elle qui dévoile son ventre sur le grand format noir et blanc. Dans la société palestinienne, les femmes ne sont pas censées montrer cette partie du corps. Alors lorsque les visiteurs de l’exposition collective à laquelle elle participe à Jérusalem-Est lui posent cette question, elle se sent "embarrassée et d’une certaine façon humiliée" de répondre par l’affirmative. Mais pour elle, cette humiliation est celle de tous les Palestiniens : "C’est ce que les Israéliens nous font ressentir".

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"Tout le monde a un pays où habiter, sauf nous qui avons un pays qui nous habite"

L’artiste de 19 ans explique avoir été inspirée par une fouille qu’elle a dû subir au point de passage de Qalandia, entre Ramallah et Jérusalem, ainsi que par le poème "Identité" où Mahmoud Darwich psalmodie "Inscris : je suis arabe". C’est précisément ce vers qu’elle a écrit sur son ventre nu.

Inas Halabi habite à Shuafat (Jérusalem-Est) et étudie à l’académie des arts Bezalel, l’une des plus anciennes institutions israéliennes. Elle est la seule Arabe du département de céramique. A Bezalel, elle a de "très bons amis" mais elle évite de parler politique avec eux. Elle garde ses opinions pour ses oeuvres. "J’ai l’impression de pouvoir envoyer un message plus fort sans parler".

Lorsque son professeur de sculpture lui a demandé de reproduire en terre glaise un objet de son quotidien, elle a choisi sa carte d’identité israélienne. Elle en a fabriqué plusieurs exemplaires, sans les cuire, les laissant ainsi fragiles, cassables. Et elle a finalement présenté une série de documents d’argile de plus en plus effrités. "J’ai bien une identité mais ce n’est pas cette carte qui me donne une identité, que ce soit en tant que Palestinienne ou en tant qu’être humain", souligne-t-elle.

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"Inscris : Je suis arabe"

Accroc au Coca, Inas Halabi parle à 100 à l’heure et en anglais, langue dans laquelle elle a suivi toute sa scolarité. Elle confie qu’elle est parfois maladroite avec ses travaux mais que les cassures donnent souvent des résultats intéressants. Par exemple, sa glaise intitulée Honneur représente un ventre de femme qu’une bulle d’air a fait exploser à la cuisson. "Mes premiers travaux parlent beaucoup de la façon dont les femmes palestiniennes sont traitées, du problème des crimes d’honneur et de la société patriarcale". La jeune artiste explique s’être aussi penchée sur les diktats esthétiques et leurs conséquences, comme la boulimie et l’anorexie. Lors d’une précédente exposition, les visiteurs pouvaient piocher dans un pot rempli de confiseries avant de se rendre compte que le récipient était en fait un buste creux aux côtes apparentes.

Inas Halabi est très attachée à la glaise : "C’est vraiment vivant. Ca vient de la terre". Elle n’exclut pas cependant de changer de département à Bezalel pour étudier d’autres techniques - auxquelles elle a déjà recours.

Ainsi, sa série photographique My Palestine a été très remarquée lors de l’exposition collective, fin mai, au Théâtre national palestinien, à Jérusalem-Est. Il s’agit de 11 autoportraits en noir et blanc où elle brandit les 11 mots d’une citation en arabe : "Tout le monde a un pays où habiter, sauf nous qui avons un pays qui nous habite". Au moment de prendre chaque cliché, elle a prononcé le bout de phrase qu’elle tenait entre ses mains. Elle a instinctivement baissé le regard lorsqu’elle a dit le dernier mot, "en nous". Comme si elle regardait à l’intérieur d’elle-même pour voir la Palestine.

Safaa d’Arapyat : "la voix des filles arabes"

A 16 ans, Safaa voulait chanter avec MWR, le trio hip-hop d’Acre (Israël). Mais ses parents ont refusé "parce qu’il n’y avait que des garçons dans le groupe". Qu’à cela ne tienne : elle a monté avec sa voisine Nahwa le premier groupe de rap féminin palestinien, Arapyat. Depuis, le duo tente de faire entendre "la voix des filles arabes".

Aujourd’hui âgée de 22 ans, Safaa se considère chanceuse d’avoir grandi à Acre, près de Haïfa, où vivent nombre d’Arabes israéliens. "C’est une ville assez libre, pas un petit village où tout le monde contrôle tout le monde". Elle raconte que dans le bourg de Muttalat, deux jeunes filles qui avaient suivi son exemple ont dû abandonner le rap : des villageois menaçaient leurs parents de brûler leur maison.

Safaa a commencé à écouter cette musique à 13 ans, avec des rappeurs américains comme 2Pac. Elle est tout de suite séduite par le "beat" (rythme), mais beaucoup moins par les thèmes du Gangsta Rap qui domine alors la scène US (l’argent, les filles faciles, la drogue). Deux ans plus tard, elle découvre le hip-hop palestinien, notamment les groupes MWR et DAM (Da Arabian MC’s). C’est la révélation. "Ils parlaient des problèmes des gens", explique-t-elle, en relevant le contraste avec la pop arabe et ses chansons d’amour sucrées. "J’aime bien ça aussi mais je préfère le hip-hop".

Pour pouvoir chanter, elle crée donc un groupe avec sa voisine Nahwa, de deux ans son aînée. Leur nom, Arapyat, est une contraction des mots "arabe", "rap" et "yat" qui signifie filles en arabe. Le duo fait ses débuts sur scène en 2002 à la fin d’un concert de hip-hop à Haïfa, avec MWR et DAM. "Nous étions la surprise", s’amuse-t-elle. Le public a d’abord été étonné mais a ensuite apprécié leurs morceaux.

Les chansons d’Arapyat parlent des problèmes sociaux (pauvreté, chômage, drogue), des injustices subies par les Palestiniens, de la violence du conflit, mais aussi de résistance. L’une d’elles, Arabian Girl, réclame plus de liberté pour les jeunes filles. "Nous aimerions pouvoir choisir par nous-mêmes notre façon de vivre", souffle Safaa. Une autre chanson parle des sentiments qu’un jeune homme éveille en elle.

Pour le moment, le duo enregistre ses morceaux dans un home-studio. Il met sa musique en ligne sur MySpace et souhaiterait qu’une maison de disques l’aide à sortir un CD.

En attendant, Arapyat continue à composer et à chanter, ce qui est déjà une première victoire sur les sceptiques. "C’était trop étrange pour eux. Nous sommes musulmanes. Ils voulaient qu’on arrête. Ils pensaient que seuls les garçons pouvaient faire du hip-hop. Nous avons prouvé que c’était faux", se réjouit Safaa. "Le hip-hop, c’est pour les gens qui veulent s’exprimer".

Amal Khatib : la danse comme passion, mais pas comme métier "respectable"

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Amal Khatib adore danser.

Amal Khatib adore danser. Du haut de ses 17 ans, elle tiendra bientôt le rôle principal de La Vallée des Roses, spectacle écrit par le poète palestinien Hussein Barghouti. Elle a un temps songé à devenir professionnelle mais pense maintenant s’orienter vers des études de commerce et vers "un métier qui soit réellement respecté dans la société palestinienne".

"Ici, lorsque vous dites danseuse, tout le monde pense aux danseuses du ventre égyptiennes. Ils pensent que vous étiez mauvaise à l’école", explique la jeune fille, originaire de Betunya, près de Ramallah (Cisjordanie).

Elle vient d’achever ses études secondaires et durant tout le mois de juin, elle passe des examens qui détermineront quelles études universitaires elle pourra choisir. Elle va donc manquer de nombreuses répétitions avec sa troupe, Sirreyeh, ce qui la rend triste. "Lorsque je reste trop longtemps assise à mon bureau, à écrire, mon dos fait des bruits. Mon corps a besoin de bouger", explique Amal, qui a commencé la danse il y a quatre ans.

Elle a reçu sa formation de base sur la dabke, la danse folklorique palestinienne. Trois mois après son entrée dans la troupe, elle est montée sur scène pour la première fois. C’était en Allemagne - ce qui l’a beaucoup émue car ses parents n’ont pas le droit de quitter les Territoires palestiniens. Elle se souvient très bien de ce spectacle, une sorte de dabke moderne. A un moment, elle s’est assise par terre comme le prévoyait la chorégraphie mais elle a coincé malencontreusement son châle sous son pied. Elle n’a donc pas pu se lever pour le mouvement suivant. "Je souriais quand même", s’amuse-t-elle encore.

Dans le spectacle suivant, At the checkpoint, elle incarnait une femme qui voulait sortir des Territoires palestiniens. Cette fois-ci, ce n’était pas de la dabke mais de la danse contemporaine. Et c’est ce qu’Amal préfère. "C’est plus personnel. C’est plein d’émotions", note-t-elle. "Il n’y a pas de limites aux mouvements (...) Je me sens plus libre".

Dans sa vie, la jeune fille pose cependant des limites à sa propre liberté. Cela aurait été "un rêve" pour elle d’étudier la danse à l’étranger. Elle pense même que ses parents auraient pu accepter ce choix. Mais pas sa famille élargie. Dans la société palestinienne, les métiers respectés englobent "la médecine ou la comptabilité" - en aucun cas la danse. Alors, pour ne pas "laisser tomber" son père et sa mère qui lui ont tant donné, Amal envisage de poursuivre des études de commerce.

"En Palestine, les danseurs prennent toujours la danse comme second emploi, jamais comme métier principal. La danse reste un loisir. C’est pour ça que les répétitions ont lieu le soir, et jamais quotidiennement", observe-t-elle. Lorsqu’elle n’est pas en période d’examens, elle répète avec Sirreyeh trois fois par semaine, de 18h à 21h.

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"Il n’y a pas de limites aux mouvements (...) Je me sens plus libre"

Si Amal a renoncé à faire de la danse son métier, elle n’abandonnera jamais cette passion. "Même quand je serai vieille et que mon corps ne me permettra plus de danser, je veux rester dans la troupe, à les aider, à les conseiller, à préparer des spectacles".

3 juin 208 - BabelMed


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