Les échecs des politiques américano-israéliennes au Liban et en Palestine semblent avoir mis fin, pour l’instant, aux projets « de chaos créatif » un moment adoptés avec un enthousiasme criminel.
- Une illustration quotidienne du "chaos créatif" mis en oeuvre par les USA et Israël : un Palestinien manifestant contre le mur d’Apartheid à Bi’lin a été blessé aux jambes par des tirs israéliens - Photo : AP/Giulio Petrocco
Le 15 mai, le président Bush a fait un discours devant la Knesset israélienne, s’en prenant aux « radicaux et terroristes » (fondamentalement quiconque s’oppose aux Etats-Unis et à Israël). Ses références archaïques à la « terre promise » et au « peuple élu » ont certainement fait écho aux vues tout aussi périmées et ségrégationnistes de beaucoup de membres de la Knesset, mais cependant pas tous, qui semble-t-il ont vu dans Bush la quintessence du sionisme.
Quelques jours plus tard, Bush a passé son message à Sharm el-Sheikh, en disant, « nous devons nous tenir aux côtés des personnes bonnes et respectables en Iran et en Syrie, qui méritent tellement mieux que la vie qu’ils ont aujourd’hui. Chaque nation pacifique dans la région a intérêt à stopper ces nations qui soutiennent le terrorisme. »
Mais le 21 mai, la presse a fait savoir qu’Israël et la Syrie étaient engagés dans des entretiens pour la paix en Turquie. Les deux côtés ont semblé optimistes, les officiels syriens disant qu’Israël a montré qu’il était prêt à se retirer de toutes les Hauteurs du Golan, occupées depuis 1967 et illégalement annexées en 1981.
Dans les jours qui ont suivi la prise de position apparemment ferme de Bush contre tout « apaisement » — et qui a déclenché en retour un orage politique dans son propre pays — Israël a paru vouloir faire exactement ce à quoi le président des Etats-Unis s’était opposé avec une telle ardeur.
La décision du premier ministre israélien Ehud Olmert de s’engager [dans des pourparles] avec la Syrie a rencontré beaucoup de scepticisme en Israël et dans le monde arabe. Les analyses des médias sur les intentions d’Olmert s’accordent sur les paramètres suivants : il s’agit de casser l’alliance entre l’Iran, la Syrie et le Hizbullah, d’isoler l’opposition palestinienne basée à Damas, et de détourner l’attention des brûlant scandales pour corruption qui le poursuivent à domicile.
Tout aussi francs que peuvent être les faucons (en Israël et aux Etats-Unis) au sujet du « besoin » d’une autre guerre, beaucoup savent à ce jour qu’une invasion à grande échelle de l’Iran serait un suicide politique, voir militaire. L’Iran a un gouvernement stable et populaire avec des ressources suffisantes et beaucoup d’années de préparation psychologique et physique pour une épreuve de force militaire. Il a également tout un choix d’options pour répliquer et dispose d’une grande influence parmi les milices irakiennes qui, sur un simple signe, tourneraient leurs armes contre les forces d’occupation américaines.
La perspective d’attaquer le Hizbullah est maintenant également en retrait. Olmert n’est peut-être pas dirigeant avisé, mais il n’est certainement pas un idiot. Vu l’échec total de l’approche militaire conventionnelle dans la guerre contre le Liban en juillet-août 2006, il est peu susceptible de vouloir user à nouveau de la même stratégie. La tentative de déstabiliser le Liban avec l’espoir de déclencher une longue guerre civile a également produit de funestes effets puisque le Hizbullah a facilement pris le contrôle de Beyrouth.
Le résultat d’avoir voulu montrer les muscles au Liban a été une autre claque pour ceux qui espéraient affaiblir le Hizbullah et ses alliances régionales. Les résultats des affrontements ont causé un réveil brutal des dirigeants pro-américains au Liban, montrant que l’équilibre des forces n’était pas en leur faveur. Le triomphe du Hizbullah a conduit aux entretiens passionnés et suivis d’un accord entre les organisations concurrentes, dans Doha au Qatar. Le 21 mai, les deux blocs — celui du premier ministre Fouad Al-Siniora et celui du Hizbullah — se sont mis d’accord pour en finir avec la crise en décidant que Michel Suleiman soit président.
Qu’est-ce que cela signifie pour le Liban comme pour les politiques régionales des Etats-Unis ? Bien qu’il s’agisse d’un autre échec de la politique extérieure de l’administration Bush et d’une déception sans égale pour Israël, cela ne signifie pas la fin des tentatives de déstablisation contre le Liban, le Hizbullah et ses alliés. Un autre élément ironique est que l’accord de paix a été mis au point au Qatar, un allié des Etats-Unis, et à peine à quelques kilomètres de la plus importante base militaire américaine dans la région.
En attendant en Egypte, Israël et le Hamas ont eu des contacts, bien qu’indirectement. Bien que l’ont ait mentionné peu de progrès, le fait demeure qu’Israël a commencé à discuter avec ceux qu’il a voulu affaiblir, abattre et humilier depuis des années.
Comment interpréter tout cela : des entretiens de paix avec la Syrie (enterrés depuis 2000), des contacts avec le Hamas, et si peu interférer dans le règlement pacifique de la crise libanaise, tout en intensifiant la rhétorique contre l’Iran et ses alliés, et l’engagement à ne pas discuter avec les « radicaux et terroristes » ?
Il y a quelques raisons dans cet apparent « refroidissement » de la stratégie américano-israélienne. La volonté de marginaliser complètement le Hamas a produit une immense douleur humaine parmi les Palestiniens, mais l’échec subi a réellement renforcé le groupe démocratiquement élu. Chaque tentative de supprimer le Hizbullah a eu l’exact effet contraire, et le groupe est maintenant plus fort que jamais. L’ardent désir israélien de déclencher une guerre américaine contre l’Iran a rencontré peu d’enthousiasme aux Etats-Unis alors que les jours de Bush à son poste sont comptés. Il est peu probable que les huit mois qui restent sous le régime de Bush mèneront à la reconfiguration géopolitique longtemps souhaitée au Moyen-Orient et dont les néo-conservateurs avaient fait une véritable obsession dans le passé.
Il est également très douteux que les entretiens d’Olmert avec la Syrie soient une affaire exclusivement israélienne, imaginée pour distraire de ses ennuis personnels. Les implications régionales de cette décision — le futur de l’axe Syrie-Iran, et de l’alliance entre la Syrie et l’opposition palestinienne et la relation politique entre israël et la Turquie — ont trop d’importance pour n’être qu’une question de jeu personnel. D’ailleurs, alors que certains peuvent voir la décision d’Israël de discuter avec la Syrie comme une indication de l’indépendance politique avec laquelle Israël fonctionnerait, il est cependant peu probable que les Etats-Unis laisseraient une main entièrement libre à Israël pour remodeler la politique régionale alors qu’ils sont engagés dans une guerre froide toute autant qu’active dans la même région.
Les échecs des politiques américano-israéliennes au Liban et en Palestine semblent avoir mis fin, pour l’instant, aux projets « de chaos créatif » un moment adoptés avec un enthousiasme criminel. Le Liban n’a pas succombé à un conflit civil, et les Palestiniens à Gaza ne veulent toujours pas se soumettre aux diktats israéliens. La nouvelle stratégie est susceptible de dépasser des schémas nationaux, d’engager chaque partie séparément, ne concédant que peu de choses voir rien du tout, et de travailler activement pour casser des alliances régionales. On s’attend à ce que ceci commence par la Syrie, de qui on attend qu’elle mette fin à sa lune de miel avec les groupes de l’opposition palestinienne.
(*) Ramzy Baroud est l’auteur de « The Second palestinian Intifada : A Chronicle of a People’s Struggle » et rédacteur en chef de « PalestineChronicle.com »
Site Internet :
www.ramzybaroud.net
Du même auteur :
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2 juin 2008 - Transmis par l’auteur - Vous pouvez consulter cet article à :
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Traduction de l’anglais : Claude Zurbach