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Quel avenir pour la pensée nationale arabe ?

samedi 7 juin 2008 - 23h:15

Azmi Bishara

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Azmi Bishara éclaire les défis immédiats qui se posent au renouveau de la pensée nationale arabe.

Il faut davantage que des séminaires et des conférences pour redonner vie à un style de pensé. Ce sont les personnes qui se trouvent au croisement des besoins imposés par le processus socio-historique et de l’évolution de l’histoire des idées qui entreprennent un travail de rénovation de ce genre.

Il y a urgence pour ce travail à trouver des intellectuels tels ceux de la première moitié du 20° siècle qui ont épousé le concept de "l’idée arabe" et marqué ainsi leur époque. Les conférences et les séminaires sont incapables de les produire, de même que tout autre type de pensée innovatrice. En fin de compte, la rénovation viendra d’individus qui s’impliquent dans un processus de créativité intellectuelle.

La pensée nationale arabe étant diverse, son renouveau le sera sans doute aussi. Quelques facteurs seulement la distinguent des autres tendances de la pensée arabe, mais ils font toute la différence. Le nationalisme démocratique et libéral n’a rien à voir avec le nationalisme fascisant. Le nationalisme n’est pas une manière de pensée, mais la politisation d’une affiliation. On peut tout aussi bien imaginer des démocrates que des fascistes favorables à l’idée de politiser une affiliation nationale en tant que plateforme pour parvenir à la souveraineté.

Un mouvement national qui passe de la conscience collective d’une identité culturelle commune en tant que fondation d’une communauté imaginée à une pure idéologie ne peut être que totalitaire et fragile : totalitaire parce qu’il s’efforce de définir toutes ses positions à partir d’un principe unique et fragile parce qu’il fait cela sur la base d’un nombre limité d’hypothèses fragiles qui n’offrent que peu de réponses. Transformer une affiliation nationale en une nation démocratique et souveraine est un concept moderne, au même titre que le fascisme. Les deux sont néanmoins antithétiques.
Quels sont les caractéristiques de la pensée nationale arabe ?

Tout d’abord, elle reconnaît l’existence d’une identité nationale arabe qui a droit à l’expression de sa souveraineté nationale. Ensuite, elle considère que la théorie nationale arabe et la politique qui en découlent doivent reposer sur l’intérêt collectif suprême de l’ensemble du monde arabe et non d’une partie seulement, qu’il s’agisse d’une secte, d’une tribu ou d’une région.
Si ces éléments suffisent à distinguer la pensée nationale arabe d’autres corpus de pensée qui ne reconnaissent pas une identité nationale arabe, ils ne constituent pas une plateforme suffisante pour gouverner un pays. Ils ne permettent pas de définir une politique en matière de démocratie, de droits civiques, d’éducation ou de santé. C’est pourquoi les premiers nationalistes arabes avaient des points de vue divergents sur ce que doivent être les priorités dans leurs pays respectifs.

C’est précisément pour cela que des personnes telles que moi pensent que la démocratie est le meilleur moyen pour un pays d’exprimer sa volonté, que la souveraineté s’accompagne du principe d’égalité des citoyens, des droits civiques et sociaux (la sécurité sociale, l’éducation gratuite, le droit du travail) qui font partie intégrante de la construction d’une nation. C’est aussi pour cette raison que des peuples d’apparence et de tempéraments différents peuvent traduire les deux principaux postulats de la pensée nationale arabe en des expressions totalement différentes.

C’est à cause de la manière dont elle est formulée par les différents mouvements et gouvernements que la pensée nationale arabe a besoin d’être rénovée. Elle se fossilise quand ses partisans sont rejetés du processus politique et social et quand la pensée elle-même se réduit à une simple propagande idéologique pour le régime en place.

Le principal obstacle à une créativité de la pensée politique basée sur le postulat de l’existence d’une identité nationale arabe avec droit à l’expression de sa souveraineté nationale tient à la politique de ses partisans qui sont au pouvoir dans des pays comme l’Egypte, la Syrie ou l’Irak. Cela nuit à l’idée elle-même - l’idée d’un Etat souverain - car c’est en raison de leur politique que les pays arabes ne parviennent pas à s’unir, même entre voisins. Toutes les tentatives de justification de leur incapacité à s’unifier a seulement abouti à affaiblir encore davantage la pensée nationaliste arabe.

La politique de ceux des nationalistes arabes qui sont parvenus au pouvoir s’est avérée être un obstacle à la rénovation de la pensée arabe quant à la démocratie, car leur attitude à l’égard des libertés civiques, des droits des citoyens et du contrôle du pouvoir par ces derniers porte atteinte au crédit de l’ensemble des intellectuels nationalistes qui réfléchissaient à ces questions.
Le second obstacle majeur au développement de la pensée nationale arabe est la marginalisation des nationalistes arabes dans les pays où ils sont exclus du gouvernement.

Dans le meilleur des cas ils sont confinés à une opposition qui clame son soutien à l’unité arabe et rejette une normalisation des liens avec Israël comme contraire à la création d’une opposition dynamique qui propose une alternative démocratique à leur société. Leur pensée ne peut évoluer que si elle cherche à répondre aux défis posés par les préoccupations concrètes de la population, notamment les droits sociaux, les droits civiques, la démocratie et la question de l’identité.
Or le nationalisme ne répond pas à ces préoccupations qui sortent de son champ immédiat. Pourtant il est de la responsabilité des nationalistes que de s’y attacher.

Davantage ils répondront aux besoins urgents de la population sous la forme de programmes et de propositions politiques, davantage ils contribueront au développement de la pensée nationale. Autrement dit, la pensée nationale arabe ne peut évoluer que dans un contexte concret. Toute tentative d’adopter des positions politiques à partir de concepts purement abstraits relève du dogmatisme et ouvre la voie au totalitarisme.

Développer la pensée nationale arabe suppose de clarifier sa position à l’égard de la démocratie et des droits civiques et sociaux, ce qui passe par un engagement concret plus clair et plus constructif. Un engagement de ce type intégré au contexte des courants sociaux et des tendances politiques offre non seulement des réponses concrètes, mais permet de déjouer le piège des réponses illusoires données par la théorie agressive du revivalisme national, l’autre face du dogmatisme, un autre langage éloigné de la vie des gens et du dynamisme des activités sociales et politiques.

Il reste encore à la nouvelle pensée arabe à résoudre concrètement, la question de la citoyenneté démocratique comme consubstantielle à l’Etat (et non à une affiliation). Lorsqu’elle s’attaquera à cette question elle réalisera que le chemin vers l’unité arabe passe par l’exercice de la démocratie à partir de la base comme cela a été le cas avec l’Union européenne, et non par l’application d’une théorie qui vient du sommet.

Grâce à leur engagement concret aux cotés du peuple, les Arabes de gauche qui ont été marginalisés de la vie politique et sociale au point d’exprimer une certaine admiration pour la démocratie israélienne, se trouveront en situation non seulement de condamner la version israélienne de la démocratie en tant que modèle colonialiste, mais aussi d’apprécier à sa juste valeur les réussites des nationalistes arabes, au lieu de ne voir que leurs défauts et leurs échecs.

Lorsque les nationalistes arabes d’essence démocratique et ouverts d’esprit prendront véritablement en compte les besoins du peuple, ils ne s’en sentiront que plus forts. Ils découvriront que l’identité n’est pas un vague concept théorique, mais une préoccupation répandue avec des conséquences concrètes et que l’identité arabe, contrairement à une identité sectaire ou tribale, est source de force pour le mouvement national arabe et sa pensée.

Telle qu’elle ressort des deux conditions mentionnées plus haut, la pensée nationaliste est moderne. Une nation est une communauté imaginée, imaginée à partir de ses éléments constitutifs, notamment la langue, la culture et une Histoire commune (alors qu’une ethnie repose sur une origine commune imaginée ou sur des ancêtres communs). La modernité fournit les instruments - la presse, les moyens de communication et même l’avènement d’une classe moyenne - dont a besoin le nationalisme pour transformer les éléments constitutifs d’une communauté imaginée en un Etat souverain.

Le nationalisme arabe est tout aussi moderne que les autres mouvements nationaux. Il ne faut pas le confondre avec l’arabisme qui existe depuis plus de 1000 ans. Il n’est pas fondé sur le concept d’ethnie avec des ancêtres communs. Il a inclus beaucoup de non-arabes (au sens ethnique du terme) à l’époque où l’arabisme était un mouvement urbain formé d’intellectuels, de membres de la classe moyenne qui s’étoffait, d’officiers de l’armée ottomane et de marchands. L’identité nationale arabe n’est pas une question de liens de sang ou de liens ethniques, c’est une communauté imaginée avec les outils du langage et des moyens de communication modernes mis au service de la création d’une nation souveraine. Le soubassement théorique de cette recherche constitue l’idéologie nationaliste arabe.

Ce type de théorisation était répandu dans des pays dont le développement capitaliste prenait du retard, dans lesquels une économie capitaliste avancée faisait défaut pour unifier naturellement le marché et l’Etat et dans lesquels des monarchies absolues ne remplissaient pas cette fonction. C’est pourquoi les idéologies nationales se sont construites sur les ruines d’empires écroulés et non en parallèle avec l’évolution de la monarchie absolue vers l’Etat nation.

Plus ces expressions nationalistes sont récentes, plus vivement elles éprouvent le besoin de se justifier. Pourtant, toutes les idéologies nationalistes ne sont pas justifiables et il n’y a aucune raison qui empêche les nationalistes d’essence démocratique de considérer favorablement l’alternative consistant à vivre dans un pays démocratique multinational. La Yougoslavie par exemple aurait pu servir de modèle au lieu d’être le théâtre d’une série de bains de sang et de nettoyages ethniques lorsqu’elle s’est trouvée sur la voie de l’éclatement en plusieurs "Etats démocratiques" séparés.

La pureté nationale comme base de sécession et comme condition à la création d’un pays ostensiblement démocratique conduit presque à coup sûr à des massacres, à des transferts ethniques et la diffusion d’une idéologie totalitaire.

Quand on parle de la citoyenneté du point de vue de la pensée nationale arabe, il faut se souvenir que si le nationalisme arabe correspond à une communauté imaginée qui cherche son expression souveraine, des groupes qui ne sont pas arabes vivent dans les pays arabes. Nous devons non seulement reconnaître que chaque membre de ces groupes doit jouir de la totalité de ses droits civiques, mais aussi reconnaître les droits collectifs des groupes qui continuent à se définir comme n’étant pas arabes et qui veulent exprimer leur identité nationale.

Ce sont quelques-uns des défis qui se posent au renouveau de la pensée nationale arabe. Mais il est impossible d’y répondre sans tenter d’apporter une réponse concrète innovante aux problèmes et aux préoccupations du peuple. Il y faut l’humilité voulue pour recevoir dans le respect critique l’héritage intellectuel et concret que nous laissent les premières générations de nationalistes arabes.

Du même auteur :

- L’Etat des Croisés
- Annapolis : Madrid redux
- Obtenir de vos victimes qu’elles vous aiment
- Retour à la case départ
- D’une négation l’autre

24 avril 2008 - Al Ahram Weekly - Vous pouvez consulter cet article à :
http://weekly.ahram.org.eg/2008/894...
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz


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