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Les mots et la terre. Les intellectuels en Israël

mardi 2 janvier 2007 - 16h:04

Shlomo Sand

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L’élaboration de l’idée de nation juive a débuté bien avant que le mouvement sioniste ne s’organise et s’est prolongée bien après la création d’Israël.

Dans Les mots et la terre, Shlomo Sand s’interroge sur la contribution des intellectuels juifs et israéliens à ce processus. Il étudie et met en cause un à un tous les mythes fondateurs de l’État d’Israël, à commencer par celui d’un peuple déraciné par la force, un peuple race qui se serait mis à errer de par le monde à la recherche d’une terre d’asile. Un peuple qui se définira donc sur une base biologique ou « mythologico-religieuse », comme l’attestent les termes d’« exil », de « retour », de « montée » vers la terre d’origine, qui nourrissent toujours les écrits politiques, littéraires ou historiques israéliens.

La majorité des intellectuels en Israël persistent à assumer depuis 1948 cet imaginaire ethno-national et à embrasser une identité étatique exclusive à laquelle seuls les juifs peuvent s’associer. Les premières fissures dans cette conception dominante n’ont fait leur apparition qu’au cours des années quatre-vingt, à travers les travaux novateurs d’historiens que l’on a qualifiés de « post-sionistes ».

En rappelant également la façon dont les clercs israéliens se sont positionnés face à la guerre du Golfe dans un contexte de modernisation des moyens de communication, c’est finalement à une réflexion globale sur le statut de l’intellectuel dans nos sociétés que nous convie Shlomo Sand.


Extraits :

(...) « A la question cardinale : « Est-il possible de percevoir les juifs comme un peuple territorial expulsé lors de la destruction du second Temple, et qui a survécu en tant qu’entité nationale pendant 2000 ans, », il répond par la négative. Aucun peuple n’est éternel. Au cours de l’histoire, des peuples se sont formés et dissous, et les juifs ne font pas exception à la règle. Si, dans l’Antiquité, au temps des royaumes d’Israël et de Juda, un peuple possédait une culture commune, c’est au moment de sa division que s’est formé et élaboré la religion juive, et c’est l’élite culturelle exilée à Babylone qui a fait du judaïsme une identité collective, rapportant les limites de son appartenance à la croyance de ses fidèles.

Une frange issue de cette nouvelle tradition a développé, en vase clos, des tendances « ethniques » et séparatistes - les livres d’Esdras et de Néhémie en sont les reflets idéologiques - mais cette croyance monothéiste d’avant-garde est aussi devenue la première religion universelle à pratiquer le prosélytisme. Car la croissance de la population juive dans l’Empire romain ne saurait s’expliquer sans reconnaître cette dynamique du judaïsme antique. Grâce à ces tendances prosélytes, ancrées dans toutes les tendances monothéistes, se sont crées des communautés juives en Afrique du Nord, au Yémen, et plus tard, dans le Caucase. (...)

Partant des hypothèses de travail inspirées par Max Weber, Boaz Evron établit que, à compter de la désintégration du peuple d’Israël, le judaïsme peut être perçu historiquement comme une culture religieuse diversifiée, transmises par des castes religieuses qui ont toujours été dépendantes des sociétés dans lesquelles elles vivaient. La Galut, l’ « exil », n’a jamais constitué un état géographique, ainsi que l’historiographie sioniste a voulu la présenter, mais elle est bien un état existentiel sur lequel s’est constitué la définition de l’essence juive au cours des siècles. Toutes les tentatives de reconstitution de l’histoire des juifs comme histoire nationale d’un peuple territorial exilé issu d’une même origine recèlent d’insolubles contradictions internes. Les juifs n’ont jamais fait montre de normes culturelles laïques communes et se sont toujours intégrés à la langue et à l’économie des autres populations. (...)

« C’est seulement en Europe orientale, dans le contexte d’une concentration démographique importante et d’une aliénation linguistiques et culturelle déterminante, que s’est constitué, parallèlement à l’affaiblissement de la croyance religieuse, le peuple yiddish, au sein duquel est née une culture laïque radicalement différente de celle des populations environnantes. De ce peuple-là, du rejet et des menaces qu’il a dû subir par suite de l’éveil du nationalisme chez ses voisins, est né le sionisme. Ce courant minoritaire, héritier direct de la détresse du peuple yiddish et non d’une identité nationale anhistorique, a engagé l’entreprise colonisatrice nationale qui a mené à la création de la nation israélienne. »

Dans Le Monde diplomatique d’août 2006, Dominique Vidal présente Les mots et la terre comme suit :

Benny Morris, Avi Shlaim, Ilan Pappé, Tom Segev, etc., ces noms de « nouveaux historiens » israéliens sont désormais plus familiers. Il faut y ajouter celui de Shlomo Sand, dont le dernier livre, qui rassemble plusieurs essais, frappe par sa profondeur et sa pugnacité. Un temps passionné par Georges Sorel, puis par le cinéma du XXe siècle, ce professeur d’histoire contemporaine à l’université de Tel-Aviv passe à présent au crible de sa pensée critique le cheminement et les concepts-clés du sionisme.

Car la grande majorité des intellectuels israéliens persistent - entre autres - à s’enfermer dans un imaginaire ethnonational, que l’auteur déconstruit en recourant à la sociologie, à la linguistique et, bien sûr, à l’histoire. On lira notamment le chapitre sur le postsionisme. Mais l’apport le plus étonnant de cet ouvrage est l’éclairage radicalement neuf apporté sur la réalité du judaïsme en Palestine et en Méditerranée au Ier siècle de notre ère : les faits établis questionnent jusqu’à la notion même de « peuple juif ».



Shlomo Sand est né en 1946 à Linz (Autriche) et a vécu les deux premières années de sa vie dans les camps de réfugiés juifs en Allemagne. En 1948, ses parents émigrent en Israël, où il a grandi. Il finit ses études supérieures en histoire, entamées à l’université de Tel-Aviv, à l’École des hautes études en sciences sociales, à Paris. Depuis 1985, il enseigne l’histoire de l’Europe contemporaine à l’université de Tel-Aviv. Il a notamment publié en français : L’Illusion du politique. Georges Sorel et le débat intellectuel 1900 (La Découverte, 1984), Georges Sorel en son temps, avec J. Julliard (Seuil, 1985), Le XXe siècle à l’écran (Seuil, 2004).

Préface de Pierre Vidal-Naquet
Traduit de l’hébreu par L. Frenk, M. Bilis et J.L. Gérard

Editions Fayard, Paris, avril 2006 - 20 ?


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