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Bientôt la fin des munitions à dispersion ?

mercredi 21 mai 2008 - 05h:18

IRIN News

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JOHANNESBOURG, 20 mai 2008 (IRIN)

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Des bombes à dispersion israéliennes

Pour de nombreuses personnes, l’interdiction d’une arme militaire dont 98 pour cent des victimes seraient des civils devrait être une affaire vite réglée ; pourtant, pendant deux semaines, les représentants des gouvernements et les parties concernées seront guidés par les termes « munitions à dispersion ayant des conséquences humanitaires inacceptables » pour rédiger une convention destinée à freiner l’usage de ces armes, voire à les interdire complètement.

Depuis le 19 mai, à Dublin, capitale irlandaise, des représentants gouvernementaux venus des quatre coins de la planète se réunissent en effet à l’occasion de la Conférence diplomatique de Dublin sur les munitions à dispersion. Aucun protocole n’aura suscité une telle vague de soutien international depuis la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel de 1997, signée par 155 Etats.

L’on s’attend toutefois à ce que les 37 Etats qui n’ont pas signé la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel, également connue sous le nom de Traité d’Ottawa (dont la Chine, l’Inde, Israël, la Russie, l’Arabie Saoudite et les Etats-Unis) refusent également d’être parties à une convention qui limiterait l’usage des munitions à dispersion.

Si les parties parviennent à un consensus, quel qu’il soit, un traité sera ratifié dans le courant de cette année en Norvège, où le processus a été lancé, en février 2007.

« Nous devons mettre un terme aux souffrances humaines inacceptables, causées par l’usage des munitions à dispersion », avait alors déclaré le ministre norvégien des Affaires étrangères Jonas Gahr Store, au cours d’une conférence tenue à Oslo, la capitale. « Ces souffrances ne sont pas une conséquence inévitable et inéluctable de la guerre moderne. Elles sont l’effet d’un groupe particulier d’armes, créées pour des scénarios de conflit autres que ceux auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui ».

« L’objectif de cette conférence véritablement historique [de Dublin] est de négocier les dispositions finales d’un traité international qui interdira l’usage, la production, le stockage et le commerce des munitions à dispersion, et établira un cadre pour assurer que les droits des rescapés et des communautés touchées sont convenablement appliqués », a dit Thomas Nash, coordinateur international de la Cluster Munition Coalition, qui représente plus de 250 organisations non-gouvernementales (ONG) dans 70 pays.

Mais le diable risque fort d’être dans le détail.

Le diable dans le détail

Handicap International (HI), une ONG dont l’objectif est d’améliorer les conditions et la qualité de vie des personnes handicapées dans les pays en voie de développement et les zones en période d’après-guerre, définit ainsi les sous-munitions à dispersion : il s’agit d’explosifs qui, pour agir, se détachent de la munition principale ou d’un distributeur de munitions.

Cette définition inclut tous les explosifs conçus pour exploser un certain temps après la dispersion ou le largage à partir de la munition à dispersion principale, ainsi que les munitions parfois désignées sous le nom de sous-munitions (larguées à partir de munitions à dispersion), les grenades (lancées à partir du sol, à l’aide de lance-roquettes ou de lance-missiles) et les « munitions conventionnelles améliorées ».

May-Elin Stener, conseillère ministérielle à l’ambassade de Norvège à Pretoria, en Afrique du Sud, a expliqué à IRIN qu’elle s’attendait à de longs débats techniques à Dublin ; il sera en effet essentiel, a-t-elle dit, de définir les munitions à dispersion aux conséquences humanitaires inacceptables pour pouvoir élaborer une convention qui assure la protection humanitaire nécessaire.

Selon les analystes qui connaissent bien les objectifs de cette convention sur l’interdiction des munitions à dispersion, une interdiction complète et générale qui s’appliquerait à toutes les armes composées de plus d’une sous-munition explosive compromettrait l’usage de certaines munitions, qui ne ressemblent guère aux munitions à dispersion traditionnelles.

De nombreuses munitions à dispersion frappent sans discernement, malgré le principe de guerre selon lequel les souffrances civiles disproportionnées, provoquées par des attaques armées sont illégales.

Dès lors, le développement et l’usage d’armes capables de distinguer une cible militaire -par exemple une caserne à côté d’un hôpital- font l’objet d’une obligation juridique et humanitaire.

Selon les experts, il est probable que la convention visera à interdire toutes les munitions à dispersion qui laissent un grand nombre de restes explosifs après avoir été lancées, même si elles sont équipées de mécanismes de sécurité intégrés.

Il est en revanche peu probable que les munitions à dispersion capables de faire la distinction entre les cibles militaires et les civils (à condition qu’elles soient équipées de mécanismes de sécurité intégrés) entrent dans le cadre de la convention : l’on ne considère pas qu’elles vont à l’encontre de l’objectif de prévention des « conséquences humanitaires inacceptables ».

« La plupart des débats engagés au cours des négociations porteront sur la définition des munitions à dispersion, sur les taux d’échec et les "solutions" techniques », pouvait-on lire dans Circle of Impact : The Fatal Footprint of Cluster Munitions on People and Communities, un rapport sur l’impact des munitions à dispersion sur les personnes et les communautés touchées, publié par HI en 2007.

Le rapport cite les propos d’un représentant de l’armée, qui a demandé pourquoi les chercheurs étaient « surpris » par le constat initial que 98 pour cent des victimes des sous-munitions à dispersion étaient des civils.

« Il importe néanmoins de rappeler que les munitions à dispersion sont des armes imprécises, conçues pour frapper une superficie plus vaste que bien d’autres armes conventionnelles, en dispersant des sous-munitions explosives plus petites mais particulièrement mortelles », notait le rapport de HI.

Un usage remis en question

Les premières demandes d’interdiction de ces armes ont été formulées il y a 30 ans, mais c’est l’usage qu’en ont fait les forces israéliennes aux derniers jours du conflit israélo-libanais de 2006 qui a donné l’élan nécessaire à l’adoption d’un traité destiné à interdire ou à limiter leur utilisation.

Les munitions à dispersion ont été utilisées pour la première fois par les forces soviétiques contre les formations de chars allemands pendant la Deuxième guerre mondiale, et leur deuxième utilisation connue est attribuée à l’armée de l’air allemande, pendant l’attaque de la ville portuaire britannique de Grimsby.

Ce témoignage, livré par un témoin oculaire il y a plus de 60 ans, pourrait aisément être confondu avec les dernières expériences des villageois libanais. « Il y en avait sur les toits, dans les lits, pendues par une aile à travers les plafonds, et le seul moyen pour les équipes de déminage de s’en débarrasser était de les faire exploser avec une charge à l’endroit même où elles étaient tombées », aurait rapporté un pompier de Grimsby.

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Une jeune victime d’une bombe à dispersion au Liban en 2006

A l’époque, seuls 25 pour cent environ des 1 000 sous-munitions larguées sur Grimsby avaient explosé immédiatement ou dans les 30 minutes qui avaient suivi l’impact, faisant 14 morts.

Dans leur article sur le bombardement de Grimsby, intitulé The Humanitarian Effects of Cluster Munitions : Why Should We Worry ? (Les Conséquences humanitaires des munitions à dispersion : pourquoi s’inquiéter ?), John Borrie et Rosy Cave ont cité les propos de plusieurs habitants de Grimsby : « Le reste des sous-munitions non-explosées traînait sur les routes et les toits, ou dans les branches des arbres et les haies. Une heure après l’annonce de la fin de l’alerte, il y avait 31 morts de plus, et bien d’autres blessés ».

« Malgré la réaction immédiate des autorités, il aura fallu plus de 10 000 heures de travail, réparties sur les 18 jours suivants, pour retirer les sous-munitions et rouvrir le port », ont noté John Borrie et Rosy Cave.

« On estime que pendant le seul conflit de 2006 [au Liban], largement plus de quatre millions de sous-munitions à dispersion ont été larguées », observait HI dans Circle of Impact.

La plupart de ces munitions à dispersion dataient de l’époque du Vietnam, et les sous-munitions avaient un taux d’échec élevé.

Environ un million de personnes ont fui le Sud-Liban, ce qui a sans aucun doute réduit le nombre des victimes, selon HI, mais les frappes aériennes ont fait 16 victimes signalées, dont neuf étaient des enfants. Seules deux des victimes ont été touchées par des sous-munitions à dispersion non-explosées pendant la période du conflit ; il s’agissait d’un père et de son fils de 11 ans.

Mais tandis que les personnes déplacées retournaient chez elles au cours du premier mois qui a suivi le cessez-le-feu du 14 août 2006, « les munitions à dispersion faisaient trois victimes par jour. Jusqu’à la fin de l’année 2006, on comptait en moyenne deux victimes par jour, et en janvier (2007), on recensait en moyenne deux victimes par semaine », selon HI.

Utilisation militaire

Deux cent dix types différents de munitions à dispersion auraient été produits dans environ 34 pays. Selon Human Rights Watch, une organisation internationale de défense des droits humains, environ 75 pays en constituent actuellement des réserves, qui représenteraient plusieurs millions de munitions à dispersion, composées de milliards de sous-munitions distinctes.

Les munitions à dispersion ont été développées pendant la Guerre froide pour être utilisées contre de vastes formations de chars et d’infanterie pendant le conflit conventionnel opposant les forces du Pacte de Varsovie à celles de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord.

À ce jour, elles ont été utilisées dans au moins 21 pays, mais rarement, sinon jamais, comme il était prévu qu’elles le soient, -c’est-à-dire en tant qu’armes à lancer contre des chars et d’importantes formations d’infanterie- et généralement à proximité immédiate des populations civiles.

20 mai 2008 - IRIN
Photos : Human Rights Watch et Dina Debbas/UNICEF
Vous pouvez consulter cet article à :
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