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Siège de Gaza : témoignage (10) - Souvenirs de la Nakba

dimanche 18 mai 2008 - 00h:05

PCHR Gaza

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« Je ne suis pas CERTAINE de l’année de ma naissance. Mais c’était il y a à peu près 78 ans, en Palestine ». Handuma Rashid Najja Wishah est assise dans son patio surplombant son grand jardin.

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Handuma Rashid Najja Wishah passe autant de temps que possible dans son jardin de Gaza, sauvegardant ici “son amour intime de la terre”.

Elle se remémore l’histoire turbulente de sa longue vie. « Je suis une palestinienne originaire du village de Beit Affa » raconte-t-elle tout en repliant sa longue écharpe sous son menton. « C’était un ravissant village et notre vie était belle. Une petite colonie juive appelée Negba se trouvait tout près du village. Nos relations avec les juives étaient bonnes. Chaque fois qu’il y avait des mariages, nous les invitions aux célébrations et nous, les femmes, nous dansions la dabka (une dans traditionnelle palestinienne) avec elles. Le muktar (chef de la colonie) s’appelait Michael. Il arrivait toujours au mariage avec un cadeau, comme une chèvre, et nous la faisions cuire et partagions la viande entre nous ».

Beit Affa était un village d’environ 500 habitants situé au sud de la Palestine, 29 kilomètres au nord-est de la Bande de Gaza. La plupart des villageois étaient des fermiers mais ceux qui ne dépendaient pas uniquement de l’agriculture entretenaient « une relation intime avec la terre » raconte Handuma. Comme beaucoup de femmes de la région, elle s’était mariée jeune et était restée au village.

Mais en 1948, à la fin du Mandat Britannique en Palestine et avec la déclaration du nouvel état d’Israël sur la terre palestinienne, une violence de masse a éclaté. « Les sionistes ont refusé que le terre soit divisée en deux états et les massacres ont commencé » raconte-t-elle. « Le premier massacre était à Deir Yassin où ils ont assassiné plus de 100 personnes. » Les villageois de Deir Yassin ont été massacrés par les fameux gangs Lehi et Etsel qui avaient à l’origine fait partie des milices de la Haganah (50.000 hommes) et qui plus tard sont devenus le c ?ur même des Forces de défense Israéliennes (IDF). Ces gangs de sionistes surarmés étaient déterminés à faire partir en masse les Palestiniens. Après le massacre de Deir Yassin, ils ont visés tous les villages de la Palestine, menaçant les Palestiniens qui ne fuyaient pas immédiatement leurs maisons de les tuer comme à Deir Yassin.

« C’était une époque terrible. Les sionistes tuaient les femmes et les enfants, jeunes et vieux. La Haganah égorgeait les femmes. Nous étions tous terrifiés. » Handuma et sa famille dont son fils de 18 mois, Ibrahim, sont restés chez eux à attendre. Elle se souvient des armées jordaniennes et égyptiennes qui en arrivant à la frontière de la ville proche d’Ashdod, demandaient aux Palestiniens de la région de quitter volontairement leurs maisons, les rassurant qu’ils pouvaient y retourner en l’espace d’une semaine. « Ma famille a refusé de quitter le village. C’était l’époque des moissons et nous venions juste de stocker notre blé. Nous espérions qu’avec la présence des troupes égyptiennes et jordaniennes, nous serions en sécurité ».

La milice de l’Haganah est entrée à Beit Affa à l’été 48. « Ils sont arrivés à 1 heure du matin »se souvient Handuma « et ont commencé à tuer nos gens. J’ai vu le cousin de mon mari tué à coups de hache et une femme âgée être assassinée. Nous nous cachions dans nos maisons mais les tueries ont continué jusqu’à 7 heures du matin. Puis la Haganah a enfoncé les portes d’entrée de nos maisons et nous ont dit de sortir. Ils ont séparé les femmes des hommes puis ont pris ces derniers, les ont bandé les yeux, lié leurs mains et les ont emmené dehors sous le soleil brûlant. »

La vie des villageois qui avaient survécu a été sauvée à l’arrivée des troupes égyptiennes qui ont réussi à expulser la Haganah de Beit Affa. « Mais nous avons été obligés de quitter notre village » raconte Handuma. « Nous craignions encore pour notre vie et pour l’honneur de nos filles. La terre devra encore nous attendre. Je n’ai rien pris de la maison et j’ai laissé la porte d’entrée ouverte ». Elle dit que tous les villageois de Beit Affa sont partis ensembles.

Handuma, son mari Motlaq et le jeune Ibrahim ont voyagé avec beaucoup de villageois pendant environ 6 mois. Elle se souvient facilement des noms des villages où ils sont restés pendant un mois chaque fois avant de repartir. « Nous étions à Karateya puis à Al-Falluja (connu aujourd’hui sous le nom israélien de Kiryat Gat). Puis nous sommes allés à Herbya. Nous n’arrêtions pas de nous déplacer. Les gens des villages voyageaient ensemble en grands groupes. Nous avions quelques nouvelles de Beit Affa : nous savions que le village avait été sous contrôle égyptien durant 6 mois puis que les Israéliens l’avaient occupé ».

Selon l’historien palestinien Walid Khalidi : « Il ne reste plus de traces des maisons du village ; seuls les sycomores, les caroubiers et les cactus marquent le site de Beit Affa ». Comme des milliers d’autres Palestiniens, Handuma Wishah porte toujours la clé de sa porte d’entrée de sa maison à Beit Affa.

Quand Handuma, Motlaq et Ibrahim sont arrivés en décembre 1948 à Gaza, ils ont rejoint selon les chiffres des Nations Unies les 914.000 Palestiniens qui avaient été poussés hors de la Palestine en tant que réfugiés de la Nakba (Catastrophe). Près de 200.000 des réfugiés sont arrivés dans la Bande de Gaza, accablants la population palestinienne locale de 80.000 âmes. « Nous avons passé notre première semaine dans la ville de Gaza » raconte Handuma. « Puis nous sommes allés à Nusseirat (au milieu de la Bande de Gaza) et y sommes restés. Nous n’avions rien. Nous avons dormi sur le sol, en plein air, jusqu’au moment où l’UNRWA est arrivée et nous a donné des tentes. »

L’UNRWA (United Nations Relief and Works Agency) a été crée en 1949 pour venir en aide aux réfugiés palestiniens et il demeure de loin la plus importante opération des Nations Unies au Moyen Orient. A Gaza, l’UNRWA a commencé à compter les réfugiés et leur a distribué des tentes selon la taille de chaque famille. Handuma et sa petite famille a reçu une tente et des couvertures de l’UNRWA mais pas de lits. « La chose dont nous avions le plus besoin était les médicaments » dit-elle. « Il n’y en avait pas. Mon fils Ibrahim, était en train de mourir devant moi et je ne pouvais rien faire ». Ibrahim est mort à Nusseirat ; il était âgé de deux ans et deux mois.

Les réfugiés se sont lentement divisés en camps ; il y a aujourd’hui huit camps dans la Bande de Gaza et ils représentent certains des endroits les plus surpeuplés sur terre. Handuma et Motlaq sont par la suite passés de leur petite tente à une petite maison dans le camp de réfugiés de Bureij où elle vit depuis 1953.

« Les premières années ont été très difficiles » raconte-t-elle. « Après la mort de mon premier fils, j’ai donné naissance à un autre garçon qu’on a également appelé Ibrahim. Mais il est décédé 45 jours plus tard. Si j’avais su quelle souffrance j’allais causer à mes enfants, je n’aurais jamais quitté mon village. » Elle commence à pleurer en silence et s’excuse pendant quelques minutes. Cette femme âgée venait de se souvenir des luttes les plus difficiles et amères de sa vie : la douleur d’avoir perdue sa terre et la lutte pour sauver ses enfants.

Le troisième fils d’Handuma, Jaber, a survécu. Puis elle a eu trois autres fils et quatre filles. Um Jaber (Mère de Jaber), nom sous lequel elle est connue depuis des années dans la Bande de Gaza, a également été une activiste politique assidue pendant plus de 50 ans. Elle est reconnaissante à l’UNRWA pour son aide mais est extrêmement critique envers les Nations Unies et surtout la Grande Bretagne pour leurs rôles dans la Nakba. « Nous les Palestiniens, nous ne sommes pas des terroristes » dit-elle. « Nous vivons sous occupation et sous le siège des Israéliens et nous continuerons à résister tant que nous ne retournerons pas dans nos maisons. Nous sommes un peuple patient ».

En 1995, à l’âge de 65 ans, Um Jaber a commencé une campagne politique majeure en soutien aux prisonniers politiques palestiniens incarcérés dans les prisons israéliennes. « Mes quatre fils étaient emprisonnés » raconte-t-elle « et à travers eux j’ai rencontré d’autres Palestiniens qui avaient aussi besoin de soutien. Chaque jour j’allais visiter les prisons en Israël. »

Les autorités israéliennes ont refusé depuis juin 2007 les droits de visite aux mères des Palestiniens détenus dans les prisons israéliennes et Um Jaber se joint toujours aux veilles hebdomadaires à Gaza pour demander le droit pour les mères palestiniennes de rendre visite à leurs fils, maris et filles emprisonnés en Israël. Mais aujourd’hui Um Jaber passe autant de temps que possible dans son grand jardin en s’occupant de ses fleurs et plantes et sa bande de poules et de pigeons. « Je n’ai jamais perdu mon amour profond pour la terre » dit-elle. « J’ai apporté cet amour à mes enfants et mes petits enfants et je pratique ici autant que possible la vie traditionnelle de mon village ».

En se souvenant de sa propre Nakba, Um Jaber dit qu’elle n’a jamais perdu espoir de retourner sur le site de son village. « Le jour de la Nakba sera un jour triste et difficile. Je me souviendrai de mon village et notre vie là-bas. Je me souviendrai aussi du respect qui existait entre nous et les juifs. Mais ce n’est pas nous qui sommes le problème, nous sommes le peuple occupé. Le problème est l’occupation israélienne de notre terre palestinienne ».

Lisez les autres témoignages :

- Informations PCHR Gaza
- Rapports PCHR Gaza

15 mai 2008 - Palestinian Centre for Human Rights [PCHR] - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.pchrgaza.org/files/campa...
Traduction de l’anglais : Ana Cléja


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